Take the pain away from me (Sameli #5)

La pluie commence à tomber en grosses gouttes sur le pare-brise, balayée par le va-et-vient rythmé des essuie-glaces. La radio est éteinte, octroyant un moment de silence – coupé par des tic tic tic – à un Sami aux dents serrés qui conduit en plein milieu de la nuit. Il se rend à un point marqué sur une carte virtuelle. Un point envoyé par un type dont il n’avait pas eu de nouvelles depuis plusieurs semaines. Eli avait échappé à la récidive, s’était présenté religieusement à tous les rendez-vous fixés le mardi avec son CPIP, alors leur collaboration tumultueuse s’était conclue par une poignée de mains d’hommes qui se promettent, d’un regard, de ne plus jamais croiser le chemin de l’autre. Des choses s’étaient passées entre eux. Des événements que Sami aimerait pouvoir rayer de la chronologie tant ils le couvrent de honte maintenant qu’il y songe avec du recul. Il a cru un instant qu’il était tombé sous le charme de ce type qui n’avait rien pour lui plaire. Un imbécile qui ne sait pas faire la différence entre le bien et le mal, un malotru, irrespectueux, arrogant, égocentrique…

Et pourtant. Pourtant ça arrivait encore à Sami de songer à lui quand il allait à la rencontre de sa dixième date Tinder du mois, cherchant dans les traits de ces personnes, qui passent et qui repartent, ceux d’Eli. Il avait beau se pincer, il ne sortait pas de ce mauvais rêve, et voilà qu’il reprenait forme juste sous ses yeux, une supplication au téléphone et un mystère qui n’attendait qu’à se faire décortiquer. Si Sami avait les dents serrées en conduisant, c’était parce qu’il avait peur de tomber nez-à-nez avec un crime. Dans sa poche, il avait déjà entré le numéro de la police afin de les contacter en une seule touche. Prêt à la moindre éventualité. Son travail l’avait conditionné à rester sur le Qui-Vive tel le chat qui ne dort jamais vraiment.

Devant une ruelle, il ralentit la cadence de sa voiture et scrute le filtre de pluie qui broue sa vision. Il croit être arrivé. Appuyée au raz de la façade d’un établissement, une silhouette subsiste dans la griseur de la scène. Sami stoppe son moteur et quitte le sec de l’habitacle. Lentement, il se dirige vers Eli, qu’il entend sangloter. Il a gardé sa main dans sa poche, où est abrité son téléphone prêt à envoyer un appel d’urgence. Déjà ses cheveux se colles à ses tempes. Ses vêtements alourdis sculptent son corps svelte. Il traverse une flaque d’eau plus large que les autres, ruine ses chaussures, avance prudemment puis lance : « Je suis là. » Pas encore d’empathie pour l’animal qui a peut-être mordu le premier.  

Faites qu'il n'a pas tout gâché.

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 @Sami Cadburry  ☆ Eli Cash

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octobre / 2024
au coin d'une rue

Eli attend, laissant la pluie battre sur ses paupières et emporter avec elle le sang qui coule le long de son visage. Il ne sait pas pourquoi il a composé ce numéro et pas un autre, n'importe quel autre. Il n'a pas réfléchi, laissant ses doigts pianoter tant bien que mal jusqu'à entendre cette voix dont il commençait à oublier les contours. Cette voix qui hante parfois encore ses rêves mais qui se distort de plus en plus, laissant un flou planer sur la réalité. Il le supplie de venir avant de raccrocher, ne laissant pas la place aux regrets qui seraient pourtant nombreux alors que son coeur bat la chamade de la douleur qu'il ressent dans tout son corps - mais pas que. Il a appelé Samuel car c'est la seule personne qui s'est imposée à son souvenir alors que les coups fusaient et que l'inquiétude en lui montait - est-ce que le mec va s'arrêter ou est-ce qu'il est tombé sur un fou qui ne le laissera pas ramper vivant d'ici ? Alors il a pensé à lui, et peut-être qu'il se déteste un peu pour ça. Il a pensé à lui et à ce fichu bracelet et au fait que ça pourrait tout foutre en l'air alors qu'il arrive enfin à peu à peu ranger sa vie désordonnée. Il a pensé à lui et à ce qu'il dirait s'il retrouvait son cadavre dans une ruelle - dommage ou je m'en doutais ?

Il tenait pourtant bien, les rendez-vous se sont d'abord espacés pour ne plus tenir qu'à des emails et un papier à faire signer à ses employeurs, pas de drogue, pas d'alcool, aucune infraction. Il se tenait à carreaux, jusqu'à aujourd'hui semble-t-il et il sent son coeur tambouriner d'inquiétude. Est-ce qu'il a tout gâché, est-ce que Samuel l'écoutera ou est-ce que ce sera un aller simple vers la case prison ? Il regrette déjà d’avoir composé son numéro de téléphone, mais la machine est en route et il ne trouve pas la force en lui de réparer son erreur. Tant pis.

Les secondes passent, les minutes et la pluie bat toujours son plein. Il s’interroge, est-ce que Sami l’a oublié ? Est-ce qu’il a finalement décidé qu’il n’en valait strictement pas la peine ? L’ex-détenu ne serait pas tant surpris mais la pointe de doute et de peine qui menace d’envahir son coeur pour prendre le dessus sur toutes les douleurs physiques qu’il ressent actuellement lui renvoie en pleine face toutes ces émotions si mal enfouies au fond de lui. Plus qu’à attendre. « Je suis là. » Le regard d’Eli se tourne brusquement vers la voix, vers Samuel qu’il n’attendait presque plus. Et pourtant, le voici en chair et en os, trempé de la tête aux pieds mais là, prêt à venir l’aider malgré la mine figée qu’il devine sur ses traits. Les siens ne renvoient que la douleur et l’étonnement. Il est là, pour de vrai, et c’est tout ce qu’il semble capable de répondre. « T’es là. » Et maintenant quoi ? D’une main posée contre le mur, Eli tente maladroitement de se relever mais tout son corps le fait souffrir : son visage où il peut sentir un filet de sang couler le long de son arcade jusque dans sa bouche, laissant un goût métallique ; son ventre qui a supporté pas mal de coups de pieds pour le mettre à terre et l’y maintenir ; sa tête qu’il ne se souvient pas avoir cogné mais qui le fait tout de même souffrir.

Il ne devrait pas être là. En chemin, sa voiture dévalant les routes humides, au risque que les pneus dérapent et qu’une collision soit mortelle, il s’est demandé pourquoi il faisait ça. Il a découvert la radio de la nuit, des voix murmurées des présentateurs fatigués, de la musique moins populaire qui coûte moins cher à mettre en onde. Il a gardé son téléphone sur ses cuisses, sans le regarder, avec le minuscule espoir que celui-ci se mette à vibrer pour qu’on lui dise de rentrer chez lui. Hélas, il s’était rendu jusqu’au point rouge sur la carte de Google Map, et désormais il confronte la pluie en face à face, les vêtements déjà trempés et les chaussettes qui couines dans ses chaussures gâchées. Merde ! Ces Adidas étaient neufs !

La silhouette d’Eli, frêle et tremblante, se détache du muret contre lequel elle reposait en cadavre mutilé. Sami s’immobilise, ses doigts devenus blancs à force de serrer le téléphone dans la poche de son jean. Il n’entend pas sa respiration dans le brouhaha du déluge, seulement le cliquetis des gouttes qui percutent le toit en métal de l’établissement, le béton de la ruelle, le clapet bleu d’une grosse poubelle commerciale. Il tente de faire entendre sa voix et de signaler. Il craint de découvrir un animal. Mais la voix d’Eli, qui s’élève à son tour dans le filtre de pluie malodorante, vient calmer ses doutes. Il n’y a pas de colère en elle. De la douleur, de la peur, de la peine aussi, mais pas de colère. N’avançant pas plus, Sami scrute l’ex détenu tandis qu’il puise dans toutes ses forces pour se hisser sur ses jambes alourdies. Il ne voit pas encore son visage et ses milles et unes coupures et ecchymoses. Dans la noirceur, il ne remarque pas non plus le col de son t-shirt imbibé de sang violacé. Sévèrement, puisque c’est le protocole, il exige des explications : « Qu’est-ce que tu fais là ? Qu’est-ce que t’as fait, Eli ? » A-t-il piétiné tous ces mois de travail à ses côtés, de comptes-rendus hebdomadaires, de promesses faites à la société qui accueillait sa réinsertion à plusieurs conditions ? Les réflexes et le travail reprennent le dessus sur la moindre empathie qu’il aurait pu ressentir à son égard. C’est sa manière de se protéger. De quoi ? Sûrement pas de ses émotions… « Tu sais très bien que tu n’as plus le droit de sortir après vingt-deux heure. » Parce que si Eli retourne derrière les barreaux, ça signera la fin du jeu de la chasse à la souris.

Il ne s'agit que de ça, pas vrai ? Un jeu qui oppose deux joueurs misérables.

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 @Sami Cadburry  ☆ Eli Cash

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octobre / 2024
au coin d'une rue

Sami est là et Eli n'est même plus certain que ce soit la réalité ou simplement son esprit qui décide de lui jouer des tours - ça serait fortement possible quand on pense aux différents coups qu'il a pu prendre. Sa silouhette se dessine peu à peu à travers les gouttes de pluie, et son visage s'approche ; son esprit serait-il capable de reproduire jusqu'à la courbe de son corps ou est-ce qu'il se doit de reconnaître qu'il est bien là, que Sami est bien venu jusqu'à lui ? « Qu’est-ce que tu fais là ? Qu’est-ce que t’as fait, Eli ? » Eli ferme les yeux, car les mots viennent frapper contre ses tempes et il souffre du trop de bruit mais aussi parce qu'il entend le ton accusateur et il ne peut presque pas le supporter. Il n'aurait pas dû, et le voilà qui regrette à nouveau d'avoir laissé parler son coeur au lieu de sa raison. Sami est là et bien sûr qu'il pense que tout est de sa faute à lui. Ex-taulard, ex-mandiant, violent, idiot, menteur, il les connaît les mots qui le caractérisent, ils sont inscrits en lui au fer rouge, une étiquette invisible qui dicte ses moindres faits et gestes mais surtout, qui dicte ce que les autres peuvent penser de lui - ce que Sami peut penser de lui. « Tu sais très bien que tu n’as plus le droit de sortir après vingt-deux heure. » Il n'était que quinze heures quand il s'est aventuré dehors, un pas après l'autre pour redécouvrir cette vie qui le surprend encore malgré les mois qui passent. Il était dix-sept heures quand il est tombé sur ce mec. « C'est pas moi j'te jure. » Mais sa voix est trop faible, peut-être parce qu'il n'y croit pas vraiment lui-même ? Peut-être parce qu'il pense - sait - que rien de ce qu'il pourra dire ne le sortira de cette situation ? Une nouvelle fois, il lève les yeux vers celui qui s'est imposé à sa mémoire quand il a fallu trouver une solution, celui qu'il a appelé sans hésitation avant de le regretter amèrement, celui qui lui donne envie d'hurler, comme il lui donne envie de chuchoter, celui qu'il ne comprend pas vraiment et qui ne le comprend sûrement pas en retour, celui qui est là, malgré tout. Et c'est ce qu'Eli doit retenir. Il est là. « Il m'est tombé dessus. J'ai même pas pu le toucher. » Qu'il arrive alors à articuler avant de cracher sur le sol - du sang, voilà ce qui le gêne. Sa main contre le mur remonte pour l'aider à s'appuyer et il pose une épaule pour accompagner son geste ; petit à petit, dans la douleur et les dents serrées, il se redresse pour montrer son visage à la lumière vacillante qui tente désespérement d'éclairer la petite ruelle. « Tu dois me croire. » Qu'il réclame comme une supplique, plongeant son regard perdu dans les yeux durs de celui qui lui fait face, incapable de savoir quelle sera la réponse mais mettant à cet instant sa vie entre ses mains. Maintenant debout et à bout de force, il sent les vibrations dans son crâne et bien vite, ses jambes ne le tiennent plus. Dans un dernier effort, il avance une main pour agripper la manche de Sami, se laissant tomber sur lui, espérant que l'autre aura assez de tenue pour le récupérer.

Dans l’atmosphère brouillée de pluie bruyante, la scène est risible. Sami n’a aucun mal à s’imaginer dans l’une de ces séries à l’eau de rose pour adolescents. Eli a fait quelque chose de mal. Ils ne s’étaient pas parlé depuis des lustres, les rencontres s’étaient espacées de plus en plus parce que l’ex détenu faisait du progrès et accordait un intérêt véritable à son retour en société. Il n’avait jamais cessé les blagues de mauvais goûts, mais le CPIP s’était habitué, avait même pris goût à son humour douteux, s’était souvent retenu de trop rallonger les conversations pour ne pas construire quelque chose qui se détruirait sans aucun doute. Parce que, la vérité dans cette histoire de chat et de souris, c’est que Sami avait décidé de se fermer à Eli parce qu’il n’apprécie pas de perdre le contrôle. Il veut décider de la position de son crayon sur son bureau, la hauteur du crochet sur lequel il suspend sa veste, la pression qu’exerce les lacets de ses souliers autour de ses pieds. Son cœur, il le garde enfermé dans une cage et le nourrit seulement de passion passagère, à un tel point qu’il a réussi à le convaincre qu’il n’avait pas besoin d’être aimé. Puis il y a eu ce baiser qui n’a existé que pour établir l’autorité de Sami sur ce garçon, la manipulation pour faire croire qu’il ne s’agissait que d’une partie de role play, puis le maître du jeu qui s’est pris les pieds dans… le jeu.

Il voulait seulement posséder Eli. Pas l’aimer. Sauf que les choses ont changé lorsque ce dernier a refusé de se faire trimbaler comme un pantin de droite à gauche, et que la résistance est devenue plus forte que l’attirance qu’ils ressentaient indéniablement l’un envers l’autre. Sami n’est pas un habitué des relations ; il les fracasse au sol dès le moment où il commence à s’attacher. Parce qu’il a peur de se faire trahir. Autant trahir le premier, ça évite les blessures.

« C'est pas moi j'te jure. » Les supplications d’Eli fendent la pluie en douceur. Sami reste bien droit et immobile à une distance sécuritaire de l’animal piteux. Il sent ses paupières lui brûler comme s’il avait envie de parler, ou de lever la voix pour lui faire regretter de se retrouver dans cette situation. « Il m'est tombé dessus. J'ai même pas pu le toucher. » Un souffle d’agacement s’échappe de sa gorge. Ses dents se serrent dangereusement, mais il a détendu sa poigne au niveau de son téléphone. Il n’a pas l’impression qu’il est en danger. Eli, par contre, c’est différent. À cause de la noirceur, il ne peut pas encore voir tous les dégâts dans son visage, mais la quantité de sang imprégné à ses vêtements lui laisse facilement s’imaginer le pire. « Tu dois me croire. » Il n’a pas cessé de le fixer avec austérité. Désormais, le jeune homme est debout contre le mur, et sa silhouette est fragile comme une feuille d’automne. Il commence à faire froid, dans cette température typiquement anglaise. Il allait prononcer son verdict, mais il a à peine le temps d’ouvrir la bouche que le corps d’Eli s’effondre contre lui. Avec toute sa force bien entretenue à coup de smoothies protéinés, il le retient. « Tais-toi, tu gaspilles ta salive. »

Il l’emporte jusqu’à sa voiture, sa prise autour de sa taille se faisant de plus en plus glissante à cause de l’eau qui s’accumule dans ses vêtements. Ensemble, ils font le poids de trois hommes aux jambes cassées. « Attention à la tête. » Il annonce après avoir ouvert la portière du côté passager. Il maudit déjà les taches de sang que laissera Eli sur le siège après s’y être posé. Il boue de colère, est toujours incapable de ressentir la moindre empathie. Pour l’instant, il doit remédier au problème le plus évident : Eli a besoin de soins. L’hôpital n’est pas une option parce que des comptes lui seraient demandés. Il a besoin de l’interroger avant que la police ne le fasse. Derrière le volant, le pied sur la pédale de l’accélérateur, il dit : « On va chez moi. Mais sache que ce n’est pas un service que je te rends. Je veux savoir ce que tu as fait avant qu’ils décident de te refoutre derrière les barreaux sans droit de parole. » Parce que sa libération était venue avec une condition bien claire : tolérance zéro pour la récidive. « Y’a des mouchoirs dans la boîte à gants. »

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octobre / 2024
au coin d'une rue

« Tais-toi, tu gaspilles ta salive. » Et c'est la douche froide, plus encore que la pluie qui ruisselle sur eux et les ploc ploc qui résonnent sur les murs adjacents, plus encore que les barreaux qui le retenaient il n'y a encore pas si longtemps ; c'est la douche glacée et elle fait mal. Pourquoi ? Comment pouvait-il avoir encore une once d'espoir après ces mois écoulés ? Une once d'espoir de quoi ? Lui-même serait bien incapable de trouver une réponse à ces questions et la douleur qui envahit son corps pour se loger dans sa tête ne lui permettent pas de se lancer maintenant tout de suite dans la quête de la vérité. Il n'a pas la force de répondre, cette dernière l'a complètement quitté et les différents membres de son corps ne réagissent plus que très peu, soutenus par un Sami trempé de la tête aux pieds, avec sûrement aucune envie de se trouver ici, et qui pourtant ne le lâche pas et le guide jusqu'à l'habitacle. « Attention à la tête. » Alors il fait attention, réagissant comme un robot sans aucune réflexion supplémentaire. Il n'est plus là Eli, trop accaparé par ses sens en alerte, trop perdu dans son palpitant qui bat à un rythme effrenné pour ce qu'il reconnaît comme de la peur. Il a peur, et ce, pour tout un tas de raisons qu'il ne saurait prendre le temps de nommer. Il a peur, il a mal, il a froid. « On va chez moi. Mais sache que ce n’est pas un service que je te rends. Je veux savoir ce que tu as fait avant qu’ils décident de te refoutre derrière les barreaux sans droit de parole. » Il entend, ce qui ne veut pas spécialement dire qu'il écoute et qu'il fait les différents liens possibles. Posant sa tête contre le repose-tête, il ferme les yeux, tentant de faire sens de tout ce qui vient de se passer, tentant de trouver un semblant d'explications à cette journée - il n'y en a pas, aucune explication. « Y’a des mouchoirs dans la boîte à gants. »

En temps normal, il aurait sûrement trouvé une demi-douzaines de phrases à la con qu'il aurait pu sortir à Samuel, un petit sourire posté sur le coin des lèvres pour témoigner de tout ce qu'il pense - et il en pense habituellement des choses. Aujourd'hui est bien différent, et l'ambiance dans la voiture est tout autre que ce qu'ils ont connu. Eli ne pense pas, il atttend simplement que les secondes s'écoulent, incapable de se préparer à la suite et aux explications qu'il devra donner. Son regard se pose sur les gouttes collées contre la vitre, il en observe une entamer sa course vers le bas, allant plus vite que la deuxième pendant quelques secondes pour se faire bien vite rattraper - et écraser. Comme lui. Ses yeux se ferment, il lui semble que la douleur se calme ou peut-être qu'il s'habitue peu à peu. Utilisant le peu de force qu'il lui reste, il se penche vers la boîte à gants, l'ouvre d'un doigt peu habile et en sort un sachet de mouchoirs qu'il s'empresse de libérer et d'utiliser, plaquant le tissu sur son visage entier. Quand il soulève le tissu, celui ressort rouge vif ; une bonne indication de l'état futur de sa figure.

Quand Eli tourne finalement la tête vers le conducteur, il lui semble redécouvrir le visage qu'il a pourtant dû apprendre à supporter - si seulement c'était le bon mot. Les derniers mois ont été vides, en comparaison à ce qu'il s'était imaginé. Un baiser puis plus rien, des mots échangés par téléphones interposés, une sensation de rejet - encore - et il a lâché, se concentrant sur la raison première pour laquelle les deux jeunes hommes s'étaient rencontrés : sa réinsertion. Les mois ont passé, la froideur d'Eli s'estompant peu à peu pour laisser place à sa personnalité première, mais jamais les choses ne sont revenues comme les premières semaines, jamais il ne s'est laissé tenter à nouveau par la pomme maudite. Plus jamais, sauf aujourd'hui. « Merci. » qu'il souffle simplement, observant son profil. Des mots qu'Eli n'est pas habitué à prononcer, s'il les a seulement prononcés aussi sincèrement un jour. « D'être venu. » qu'il précise quelques secondes plus tard, pas certain de faire sens. Un souffle et il tourne de nouveau la tête, cherchant à éviter un quelconque regard qui viendrait le chercher.

Quand la voiture s'arrête finalement, Eli observe l'endroit où ils se trouvent. Ils sont chez Sami, et il ne sait pas vraiment que faire de cette information. Posant la main sur l'ouverture de la porte, il grimace ; bouger le bras lui fait mal aux côtés et il imagine déjà la couleur de son torse - malheureusement, ce ne sera pas la première fois. « T'habites là ? » Pas de jugement, une simple question alors qu'il lève les yeux pour observer les lieux. Pas un quartier qu'il connaît. « T'habites seul ? » Loin de lui l'idée de se préoccuper d'une quelconque vie sentimentale - quoi que -, il n'est simplement par certain que l'idée de débarquer dans cet état en pleine nuit soit la meilleure chose pour toutes les parties. « J'vais avoir besoin d'aide. » qu'il gromelle en grimaçant, détestant l'idée d'être diminué et de devoir demander de l'aide une nouvelle fois, ça fait beaucoup pour une même soirée.

D’un silence solennel, Sami répond aux remerciements de son fardeau. Juste à sa gauche, qui coule de sang et de honte, l’odeur de l’humidité de ses vêtements qui lui monte au nez, lui donne envie de grimacer. Toute sa colère s’agglutine dans ses doigts et les contracte autour du volant. Le bien et le mal se fracassent dans sa cervelle. La bataille est féroce, aucun des deux camps n’arrive à sortir vainqueur, les essuie-glaces chassent les gouttes de pluie autant que les pensées d’un Sami confus. Il se refuse de regarder Eli. Il ne veut pas revoir la bêtise qu’il a commise. Bien sûr qu’il ne le croit pas. Comment pourrait-il le croire ? Il a l’habitude des menteurs, des hypocrites. Il les côtoie tous les jours, tente de les faire sortir de leur boucle éternelle, et il pensait avoir réussi à faire en sorte qu’Eli réussirait. Pour de vrai. Qu’il retrouverait une vie normale, qu’il n’aurait plus autant besoin de faire d’efforts pour se fondre à la masse. Il avait eu tort de le penser. Il ne veut pas vraiment entendre sa version des faits parce qu’il n’arrivera pas à mettre son biais de côté. Mais il préfère être la première oreille présente plutôt que de le balancer aux flics – ce qu’il aurait fait avec n’importe qui d’autre… Alors pourquoi n’avait-il pas envie de jeter Eli aux ordures ? Il avait trahi sa confiance. Il se mériterait le même traitement qu’il offre à tous ceux qui sont passé par l’étape de la probation et qui en ont fait qu’à leur tête, sans se ficher des conséquences. C’est peut-être parce qu’Eli est entouré d’une aura de honte et de culpabilité. Il n’en rit pas, lui qui rit de tout. Il sait qu’il a merdé. C’est déjà un pas vers la prise de conscience.

Arrivé chez lui, il gare la voiture juste devant la façade turquoise de son loft original. La pluie s’est un peu calmée depuis qu’ils ont quitté le centre-ville. Malgré la noirceur de la nuit, son terrain parfaitement entretenu se présente à la lumière des lampadaires. L’herbe est coupée nette, les plantes de milles et une sortes différentes se multiplient, s’entrecroisent, se font l’amour au ras de ses fenêtres. En hiver, elles mourront toutes pour renaître au printemps prochain. « T'habites là ? » Son trousseau de clefs fait clic clic clic quand il s’en empare après avoir stoppé le moteur. Pas la peine de répondre à cette question idiote. « T'habites seul ? » « Oui. » Qu’il répond du tac au tac en détachant sa ceinture. Certes, il y a une boule de poils qui l’attend à la fenêtre, mais Sami se doute bien que l’interrogation d’Eli ne concernait pas les animaux. Il voulait savoir s’il y aurait des témoins. « Je ne suis pas con, je ne t’aurais pas ramené là où quelqu’un d’autre pourrait te voir. » Il sort de la voiture et, juste avant qu’il ne claque sa portière, Eli ravale son égo et admet avoir besoin d’aide pour le suivre. Sans réagir, le CPIP le rejoint de son côté, ouvre sa portière sans délicatesse et se suspend au-dessus de lui pour détacher sa ceinture. « Commence par tes jambes. » Il l’aide à basculer son corps sur le côté, pour le placer face à la sortie. « À trois. » Il glisse son tronc sous son épaule pour lui servir de béquille. Heureusement que son métier l’oblige à se maintenir en forme. Il arrive sans trop de mal à soulever Eli, à soutenir son poids contre lui, et à fermer la portière de sa voiture avec son pied. « Tu empestes. » Il ne se gênera pas pour lui faire savoir que sa sortie nocturne l’a affublé d’une odeur nauséabonde. Où a-t-il trainé, cet imbécile ?

Direction la salle de bains, jusqu’à laquelle Malco les suit en collant son museau aux jambes d’Eli pour déterminer l’origine de cette odeur chelou. « Il empeste, n’est-ce pas ? » Demande Sami au chat noir, préférant faire la discussion à l’animal plutôt qu’à l’humain qui se prend pour un animal. « Fais attention, tu vas choper une maladie si tu te colles trop à lui. » Autant le charrier un peu, pour décompresser et se débarrasser de cette envie de lui en coller une. Si le loft est d’une propreté remarquable, le nombre de décorations de tous les styles ne s’ignore pas. Vinyles sur le mur, coin jeux vidéos avec des statuettes de personnages de League of Legends ou Stardew Valley, une étagère débordante de plantes rampantes qui s’accrochent à la grande poutre apparente séparant la pièce en deux. Le loft de Sami est un bordel propre. Il n’y a pas meilleurs mots pour le décrire. Sur le rebord du bain assez large, il peut poser Eli, et déjà soupirer en constatant que son sang se met déjà à tacher son carrelage blanc. « Retire ton t-shirt. » Il ordonne tout en cherchant sa trousse de premiers soins sous le lavabo. S'il arrive à se défaire du vêtement sans aide, il ne s'est rien cassé. S'il chouine comme un gamin et abandonne au milieu du geste, il sera obligé de le conduire à l'hôpital et de le laisser aux autorités.

@Eli Cash  

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 @Sami Cadburry  ☆ Eli Cash

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octobre / 2024
au coin d'une rue

Menteur. C’est écrit sur son front, marqué au fer rouge et tatoué à vif. C’est noté en lettres capitales dans ses yeux, si gros qu’il lui semble qu’il ne pourra jamais s’en défaire. Eli, menteur, mot devenu nom l’accompagnant dans chacune de ses frasques, c’est ce qu’il est devenu et ce qu’il sera sûrement à jamais ; incapable de rattraper les erreurs du passé et de corriger ce que les gens pensent désormais savoir de lui. Il ment, il joue, il manipule et ce, d’aussi loin qu’il se souvienne, alors qu’il n’était qu’un ado naviguant difficilement dans une vie qui ne lui appartenait pas complètement. Il pouvait se cacher derrière sa jeunesse, ce qu’il ne peut plus faire aujourd’hui. Alors il ne se cache plus, laisse l’étiquette l’engloutir et guider ses pas ; quand il essaie de faire autrement, on le rappelle à l’ordre. Eli, menteur, manipulateur, imbécile ; c’est ce qu’il est, pourquoi en serait-il autrement ?

Aujourd’hui pourtant, il ne ment pas. Cet homme qui lui est tombé dessus sans raison, l’a attaqué pour un regard mal placé, un semblant de reconnaissance là où il n’y en avait tout simplement pas. Eli ne s’est pas tant débattu, faut dire qu’il n’en a pas eu beaucoup l’occasion ; il est tombé sur plus fort que lui, bien plus fort et il n’a plus eu qu’à encaisser et à attendre. Assis dans l’habitacle, il peut sentir le poids des accusations et il ne peut que regretter d’avoir appelé Samuel à la rescousse, peut-être qu’il aurait dû contacter sa soeur, finalement ; Meryl même, mais il ne souhaitait pas la mêler à ce qu’il est et ce qu’il restera, semble-t-il. La voiture s’arrête, les maisons sont les unes à côté des autres et Eli ne peut qu’enchaîner les questions stupides ; peut-être une façon d’éviter que le silence ne vienne l’engloutir, lui et ses démons et ses prétendus mensonges. Mais il y a forcément quelque chose de rassurant dans le fait de se trouver ici ; il n’est pas au commissariat, peut-être alors que Sami le croit un peu ? Peut-être alors que le peu de moments qu’ils ont partagé ensemble voulait dire quelque chose ? Peut-être qu’il a une chance, aussi maigre soit-elle, de s’en sortir sans repasser par la terrible case prison ? « À trois. » A trois, le conseiller vient le soutenir et Eli laisse poser son poids sur le sien, une nouvelle fois. « Tu empestes. » Que d’accusations supplémentaires auxquelles Eli décide de ne pas répondre ; il veut bien le croire de toute façon, y’a pas de doute qu’il pue le sang séché et la transpiration - y’a peut-être la peur aussi qui n’a pas été nettoyée par la pluie battante.

L’étrange duo brinquebalant est accueilli par un chat noir ; voilà qui leur va bien. Eli n’a jamais été trop le genre à apprécier les animaux et il ne s’était jamais vraiment posé la question concernant le Cadburry ce qui explique sûrement l’air de surprise qui s’installe sur son visage pour y rester à mesure que l’autre décide de se lancer dans une conversation avec son animal de compagnie. La douleur ne s’est pas calmée, il la sent pulser un peu partout, mais elle devient plus gérable à mesure que son corps s’y habitue - malheureusement, il s’y connaît et sait qu’il s’agit-là d’une bonne nouvelle. Y’a sûrement rien de cassé. Ces instants de répit lui permettent d’observer un peu les lieux ; chaque recoin de cet endroit en dit forcément long sur le maître des lieux, et il ne pensait pas pouvoir un jour entrer ainsi dans l’intimité du CPIP. Y’a beaucoup d’informations et un animal qui ne cesse de vouloir donner de l’amour au grand blessé, pas pour autant intéressé par cette perspective. « Fais attention, tu vas choper une maladie si tu te colles trop à lui. » « Hilarant. » qu’il se contente alors de répondre, avant de se laisser tenter par la perspective de discuter avec la bête à poils. « L’écoute pas. » Il n’ira pas plus loin ; un chat, ça ne comprend pas les mots des humains.

« Retire ton t-shirt. » Assis sur le rebord de la baignoire, la lumière le fait plisser des yeux. Dans d’autres circonstances, il aurait balancé des phrases vaseuses, se serait lancé dans une tentative de strip-tease, un sourire malin aux lèvres ; il aurait préféré ces circonstances-là mais aujourd’hui, il n’en mène pas large. Faut dire qu’il ne sait toujours pas où se trouve Sami, quelle est sa jauge de croyance quant à la situation et ce qui va découler de ce moment. Putain ce qu’il regrette de l’avoir appelé lui. « Tu vas faire quoi ? » qu’il demande alors avant d’attraper le bout de son t-shirt pour le retirer ; ça lui fait mal et il grimace pendant les trop longues secondes qu’il doit utiliser pour réussir à se défaire du vêtement tâché de sang - il est bon à jeter. Ses bras viennent se placer en protection autour de son torse - depuis quand est-il gêné de son propre corps ? Lui qui l’arbore avec fierté se retrouve là dans une configuration qui ne lui convient pas du tout. Il n’est pas lui-même et la raison est simple : il a peur. Peur de retourner à l’intérieur, peur des conséquences de cette journée, peur de ne pas être cru et de tout perdre, peur de ce que ses soeurs vont penser, et peur de ce que lui pense, également, le regard et le visage fermés. « Tu peux dire quelque chose ? » qu’il réclame alors, gamin qu’il se trouve être, revenu en arrière, adolescent pris dans une bagarre et devant rendre des comptes.

Maintenant qu’Eli a adressé la parole à Malco, ce dernier les suit avec enthousiasme jusqu’aux toilettes. Tout comme le blessé, il s’assoit sur le rebord du bain, à l’opposé, pour observer les deux personnes s’échanger des mots. Il ne comprend rien de ce qui se passe mais il ronronne comme une tondeuse parce qu’il est heureux d’avoir de la compagnie. Le ronronnement du chat submerge celui du néon suspendu au plafond. À travers ce bruit de fond, Sami ordonne au blessé de retirer son t-shirt. C’est pour savoir s’il y arrive seul, sans trop chouiner, ou si une côte menace de percer un poumon. Bien sûr, ils n’en arriveront pas là ; Eli ne serait pas capable de terminer son geste si sa vie était en danger. « Tu vas faire quoi ? » « Tu poses trop de questions. » Il interrompt presque, toujours occupé à fouiner dans sa trousse de premiers soins pour récupérer un peu d’alcool et de lingettes. Lorsque le garçon s’atèle enfin à se dénuder, il observe son reflet dans le miroir, cherche toutes les réactions dans son visage, les grimaces, les tressaillements, pour évaluer l’étendue des dégâts. Il y parvient enfin, alors Sami est rassuré ; il ne semble pas y avoir d’os fracturés. Le passage à l’hôpital ne sera pas nécessaire ce soir, mais il restera à l’affût des signes pour les prochaines heures.

« Tu peux dire quelque chose ? » Bouteille d’alcool en main, il se tourne vers Eli. Il rapproche un tabouret, qu’il débarrasse avant de la pile de serviettes. Il s’assoit dessus, face à l’idiot qui pose encore trop de questions, puis il bredouille : « Tu penses quoi de la déco ? » Oh, non, il ne va pas lui donner les réponses qu’il exige. Il s’est enfoncé lui-même dans la merde, Sami ne lui tendra pas la perche pour s’en sortir. Pas avant d’être certain qu’il ne mérite pas de retourner derrière les barreaux. Il a envie de le taper, mais la crainte d’empirer les blessures le stoppe. Il lui fera mal en désinfectant ses plaies. « Bouge pas. » Son ton est sûr, inébranlable. Il a imbibé la lingette d’alcool et il l’approche de la fissure à son sourcil. Sa bouche est entrouverte par la concentration. Il respire doucement. « Ça va piquer. » Il ne lui laisse pas le temps de se préparer qu’il presse la lingette contre sa peau rouge et ruisselante. En faisant bien attention de ne pas écarter les lambeaux de peau, il effectue quelques frictions, à la verticale, et à chaque passage un peu plus de sang est récolté. Enfin, sur un ton qui se veut moins agressif, il ouvre la conversation, la vraie, pour obtenir la vérité plutôt que les excuses et les pleurs de chien battu : « Tu vas me dire ce qu’il s’est réellement passé pour que j’arrive presque à voir ton os ? » Il se demande d’ailleurs s’il n’aurait pas besoin de quelques points de suture… Encore une compétence qu’il possède, non seulement parce qu’il a suivi de nombreux cours de premiers soins, mais aussi parce qu’il a lui-même fait le choix d’approfondir sa formation pour être prêt à toutes les éventualités.

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octobre / 2024
au coin d'une rue

Depuis le début de leurs échanges, Samuel tire les ficelles d’un jeu dont lui seul semble connaître les règles ; Eli tentant désespérément de s’adapter et de s’accrocher de toutes ses forces pour éviter de tomber dans les pièges qui sont installés à ses pieds prêts à le dévorer tout entier. Le conseiller était ainsi dès leurs premiers échanges, et si Eli a voulu le tester un bon nombre de fois, la fin a toujours été la même : c’est lui qui fixe les règles, l’ancien détenu n’a qu’à les suivre sans un mot. « Tu poses trop de questions. » Aujourd’hui ne fait pas exception bien que les choses et la situation aient bien changé. Eli n’est plus le détenu stupide et inconscient en phase de se voir accepter une remise en liberté conditionnelle ; il n’est plus que ça et Sami n’est plus simplement la dernière barrière entre la liberté et lui. Alors forcément, la peur qui s’amuse des entrailles du délinquant ne concerne plus aujourd’hui que le bracelet autour de sa cheville, les enjeux sont plus importants.

Le silence est lourd, pesant et on ne peut entendre que les ronronnements du chat et autres bruits qui s’accompagnent des gestes du sauveur de la nuit ; un tabouret qu’on avance, une bouteille qu’on ouvre. Eli observe chacun de ses faits et gestes et ne peut s’empêcher d’insister ; le silence n’a jamais été son fort et il n’a jamais été connu pour sa capacité à fermer sa bouche. Samuel en a fait les frais un trop grand nombre de fois pour ne pas le savoir. « Tu penses quoi de la déco ? » Échec ; la partie continue et les pions que le conseiller avancent semblent coincer peu à peu le roi qu’Eli pensait être - pas aujourd’hui, évidemment pas aujourd’hui. Alors il se tait à nouveau, ne lui fait même pas l’honneur de sa bêtise en répondant à sa question. « Bouge pas. » Il ne bouge pas, il en serait de toute façon bien incapable alors que le visage de Sami se trouve à quelques centimètres du sien ; lui rappelant à des souvenirs qu’il pensait enfouis. « Ça va piquer. » La bouche entrouverte et les yeux rivés sur ce visage qu’il a appris à mémoriser - stupide qu’il est -, il ne pipe mot. Seule une grimace vient s’afficher sur ses traits, ses yeux se fermant pour le couper de la douleur - physique, mais bien plus encore.

« Tu vas me dire ce qu’il s’est réellement passé pour que j’arrive presque à voir ton os ? » Ses yeux se rouvrent et il cherche le regard de celui qui lui fait face. « Tu veux vraiment savoir ? » qu’il demande finalement du tac au tac, plus sûr de comprendre sur quel pied danser, pas certain que ça change l’opinion que Sami porte sur lui, pas sûr d’avoir envie de se battre si c’est perdu d’avance. Et pourtant, il enchaîne. Parce que y’a un peu d’espoir peut-être ; et parce qu’il est si proche de lui que y’a plus que deux choix qui s’imposent à lui : parler ou l’embrasser. « J’sais pas, j’étais en train de me balader. Fin d’aprem, il faisait jour. » Il s’empresse de donner cette information, il n’est pas sorti tard, n’avait pas pour objectif de déjà enfreindre sa conditionnelle. « Le mec m’interpelle, je regardais vers lui mais pas lui direct. Alors moi j’suis surpris tu vois, en plus il est agressif, je comprends pas ce qu’il veut tu vois. » Il s’anime un peu trop dans son histoire, commence à utiliser ses mains ce qui lui récolte de bouger un peu trop. « Aïe. » qu’il râle alors, se reculant un peu. « Et là il m’dit “t’es le clébard de dom” moi j’suis surpris tu vois parce que de 1. j’suis le clébard de personne et de 2. moi j’connais pas de Dom. » Il est lancé à pleine vitesse dans son récit ; revivant la scène presque dans les moindres détails. Il est animé et pour une fois, il est sincère et s’il joue un peu trop son histoire, c’est pour une raison et une seule uniquement : que Sami le croit. « Il me parle de trucs je comprends rien à ce qu’il me dit mais ça chauffe tu vois. » Eli n’étant pas le genre non plus à se plier face aux mecs dans ce genre, il a sûrement sa part de responsabilité. « Et là il m’insulte. » Sami a dû suffisamment voir d’énergumènes dans le genre du Cash pour comprendre qu’il n’a pas pu s’en empêcher. « ça m’a un peu saoulé mais j’ai rien dit. » il l’a peut-être un peu provoqué mais rien d’extravagant non plus. « Et il m’a sauté à la gorge. » Un premier coup de poing directement sur la mâchoire et Eli se souvient d’avoir entendu quelques vagues mots. « J’crois qu’il a dit - mais aïe. » qu’il râle une nouvelle fois afin d’enfin terminer son récit. « qu’il était champion de j’sais pas quoi. » ça se voit sûrement sur sa tête, de toute façon. Pour l’instant, il raconte l’histoire telle qu’elle s’est déroulée, ne laissant paraître aucun sentiment à l’égard de ce moment ; il ne sait pas encore qu’il y pensera régulièrement, que des cauchemars viendront le hanter la nuit, qu’il sentira la douleur même quand les blessures seront parties. D’un air désinvolte, il conte son histoire comme s’il n’était que simple observateur de la scène, bien loin de s’imaginer l’impact que cette soirée aura sur sa vie future. « Il est parti, j’ai essayé d’appeler un pote mais il a pas répondu alors… j’t’ai appelé. » Et sûrement qu’il n’aurait pas dû, qu’il n’avait pas les idées suffisamment claires pour prendre de bonnes décisions. Mais c’est fait, désormais, et une nouvelle fois, son sort repose entre les mains de Samuel.

« Tu veux vraiment savoir ? » Non, pas vraiment, aurait répondu Sami si son métier ne l’obligeait pas à garder un œil austère sur lui. Il est cependant obligé de faire face à la vérité, s’il ne la modifie pas au gré de ses envies.

La question suspens un silence dans l’air. Il flotte entre les deux garçons, et le regard entendu que pose Sami sur Eli répond à sa place. Il n’aurait pas réussi à prononcer une réponse à voix haute. Activant les premiers soins prodigués au blessé, il écoute d’une oreille attentive l’histoire qu’il lui raconte à la manière d’un enfant qui a volé le sac de bonbons d’un de ses camarades dans la cour de récréation. Il serre des dents lorsqu’il se moue un peu trop, pris par l’action de son propre récit. Il n’a pas besoin de lui ordonner de s’immobiliser ; il le fait de lui-même, conditionné par cette douleur qui l’a percuté. Les gestes de Sami sont précis et calculés, même lorsque l’histoire s’agite et que la discussion entre Eli et ce champion de il-ne-sait quoi prend des allures de combat de coq. Il termine d’éponger quelques traces de sang qui s’était accumulé à l’angle de son menton. « Il est parti, j’ai essayé d’appeler un pote mais il a pas répondu alors… j’t’ai appelé. » Comme si l’histoire n’avait aucunement affecté Sami, ce dernier se recule et se redresse de son tabouret. Il jette ses serviettes souillées à la poubelle. En silence, il passe ses mains sous l’eau chaude, déloge le liquide carmin qui a taché ses doigts. Il regarde le reflet d’Eli par le miroir. Il se demande s’il regrette de l’avoir appelé. Si sa version des faits est véritable, alors il ne devrait pas craindre de représailles. Si ce champion lui a tapé à la gueule sans raison valable, s’il l’a confondu avec un autre qui connaîtrait un certain Dom, alors Eli ne risque rien de plus que quelques semaines à faire attention de ne pas rouvrir ses plaies en se brossant les dents ou en se lavant le visage.

« Viens. » Il dit. Il a récupéré une autre trousse sous son évier. « Je vais te coucher pour la suite. » Il s’empare d’une serviette foncée et l’étend sur son lit propre, aux draps dépourvus de plis. En deux pas, il retrouve la cuisine, son frigo et un bloc de glace qu’il glisse dans un sac en plastique. « Tu as déjà eu des points de suture ? » Il demande innocemment, encore dans l’optique de le punir de s’être retrouvé dans une telle situation. Que ce soit sa faute ou pas.      

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octobre / 2024
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Quand l’histoire d’Eli se termine enfin, le silence vient remplacer sa voix, l’écrasant un peu de trop de sa lourdeur alors qu’il ne sait quel effet son histoire aura sur le conseiller qui lui fait face ; est-ce qu’il va le croire ? est-ce qu’il va se lancer dans un interrogatoire plus approfondi ? est-ce qu’il va le déclarer coupable, le renvoyer en prison, l’ignorer, le détester ? Trop de possibilités qui s’entrechoquent et aucune réponse sur le visage de Samuel. Eli attend, en vain, que quelque chose ne soit prononcé et quand enfin l’autre ouvre la bouche pour lui parler, ce n’est pas ce à quoi il s’attendait. « Viens.  Je vais te coucher pour la suite. » Quoi ? L’angoisse se fait ressentir dans tout son être - et ce n’est pas une émotion qu’il ressent souvent -, l’idée que son avenir soit scellé ici et maintenant l’empêchant de laisser son lui naturel revenir au galop et taquiner plus que de raison. Il tente tout de même mais au lieu du rire gras qu’il sait donner d’ordinaire, la voix d’Eli se fait hésitante. « J’adorerais mais tu crois que c’est le moment ? » Le rire qu’il lâche pour appuyer son humour habituel est gêné, tremblant et mal à l’aise ; ce n’est peut-être pas le moment de jouer avec les sous-entendus alors qu’il pourrait très bien être renvoyé derrière les barreaux d’ici quelques heures. Mais finalement, s’il est toujours là et que Sami continue de le soigner plutôt que de l’envoyer aux urgences les plus proches, c’est plutôt bon signe, non ? Il n’en sait foutre rien et son esprit commence à activer les rouages pour s’imaginer un plan d’évasion s’il se devait d’en arriver-là. Une chose est certaine à cet instant dans son esprit : il ne retournera pas là-bas.

« Tu as déjà eu des points de suture ? » Comme pris sur le fait, il relève la tête un peu trop vite, se provoquant au passage une nouvelle douleur vive. « Aïe putain. » qu’il ne peut s’empêcher de lâcher en levant sa main vers la blessure - ajoutant un peu de rouge à ses paumes déjà bien colorées d’un sang séché. « T’as changé de carrière et j’étais pas au courant ? » qu’il demande en comprenant peu à peu que ce qui devrait se faire dans un endroit stérilisé et par un professionnel sera une manipulation effectuée par Samuel ; et pour le moment, ça n'est pas une idée très rassurante. Pour autant, il répond finalement à sa question. « Ouais, j’ai déjà eu. » Il n’ira pas plus loin, ne pourrait même pas lister tous les moments où Evie n’a pas eu d’autre choix que de s’occuper de lui et ne souhaiterait de toute façon pas ouvrir cette boîte à souvenirs ici et maintenant. « ça veut dire que tu me crois, hein ? » Cette question encore, parce que c’est celle qui tambourine contre ses tempes, celle qui lui donne mal à la tête et pour laquelle il a besoin d'une réponse.

Sami doit donner une chose à Eli : il ne perd pas son sens d’humour (douteux) même dans les situations les plus critiques. Sa manière d’affronter la dure vérité, peut-être ? Plutôt en rire que de s’apitoyer sur son sort. Une qualité sûrement, mais elle passe bien au-dessus de la tête de celui qui a la malédiction de ne voir que le négatif. Une âme pessimiste qui s’obstine à penser que c’est ainsi qu’il vivra sa meilleure vie. En se méfiant, en imposant une distance entre lui et les autres. Ainsi, il évite les blessures trop profondes. Sauf que quelque chose cloche ce soir. Il devrait appeler la police. Laisser un enquêteur chercher les pistes pour trouver la vérité. Puis attendre le verdict du juge, même si la justice a autant de failles que tout le reste. Mais il ne le fait pas. Sami se voit exercer une pression sur une plaie ouverte plutôt que de la regarder le corps se vider de son sang, en se rassurant, en se disant que c’est mérité.

Pourquoi agit-il comme quelqu’un qui en a quelque chose à faire, d’un imbécile qui s’est fourré le nez là où il ne devait pas ?

« J’adorerais mais tu crois que c’est le moment ? » Cette fois, suivant cette blague de mauvais goût, le rire d’Eli est moins confiant. Curieux, Sami jette un regard vers lui de la cuisine, cherchant à voir l’expression de son visage. Pourquoi est-il gêné de faire une blague de cul, alors que ça ne l’a jamais dérangé auparavant ? Serait-ce parce que ça devient un peu trop vrai, et qu’il sent lui aussi que Sami s’ouvre, que quelque chose de plus fort que la confrontation pourrait naître de cet échange ? Le CPIP veut surtout s’assurer qu’il n’est pas le seul à sentir la chaîne qui lie leurs poignets. Pas le seul à voir que quelque chose se produit, même si c’est mal, une mauvaise idée, un coup à regretter. « Chaque chose en son temps. » Il lâche donc de cette même voix neutre, même si les intentions sont différentes cette fois. Minutieusement, il se lave les mains, encore une fois, gratte sous ses ongles, astique les lignes de sa main où s’écrit son avenir. Il récupère ensuite une boîte de gants en latex sous l’évier, après avoir posé la question qui tue à Eli, afin de le prévenir de la suite. Il l’entend chouiner parce qu’il a fait un mouvement brusque. Ça lui arrache un ricanement qu’il dissimule. « T’as changé de carrière et j’étais pas au courant ? » « J’ai tellement aimé mes cours de premiers soins que j’ai prolongé le parcours. » En soi, c’est la vérité. Sami aime apprendre, nourrir sa curiosité, garder son cerveau actif. Les points de suture d’urgence, il sait en faire. Il s’est même pratiqué sur une peau en caoutchouc. Il connait aussi le protocole de stérilisation, bien qu’il doive faire avec le strict minimum ce soir. C’est ça ou l’hôpital et les questions des policiers. « Ouais, j’ai déjà eu. » « Tant mieux, tu ne réveilleras pas mes voisins en pleurnichant. » Il revient vers le lit, armé d’un bloc de glace dans un sachet en plastique et de sa trousse de soins. « Allez. Couché. » Qu’il lâche en désignant le lit du menton. Il pose ses fesses sur le matelas à son tour, creuse la place près d’Eli, s’atèle à enfiler des gants avec une attention particulière. La question d’Eli, timide s’élève en douceur derrière lui. Il serre les dents. Du coin de l’œil, il lorgne sur les deux mains du garçon. Ses phalanges sont intactes. Il n’a visiblement pas frappé, du moins, pas avec ses poings. Pour le reste, il n’obtiendrait pas les réponses à ses questions sans effectuer une enquête approfondie. « Je crois surtout que t’es le mec le plus con que j’ai jamais rencontré. » Il tend le bras pour nettoyer une autre fois l’arcade sourcilière d’Eli, qui s’est remise à saigner. Cette fois, il ne le prévient pas ; oui, ça va encore piquer. Ensuite, il y applique le bloc de glace et fait signer au blessé de le tenir sur la plaie, tandis que, de son côté, il stérilise une aiguille dans l’alcool. Il vient ensuite y accrocher un fil de suture.

« Il faudra que tu inventes une histoire pour justifier ces plaies. » Il est concentré sur sa tâche, parle dans un murmure absent. « Ils te poseront des questions la prochaine fois que tu viendras me voir. » La réhabilitation n’est pas terminée. Il n’en a pas fini avec la justice. « Je ne t’aiderai pas si tu inventes des bêtises incohérentes. » Il s’approche un peu plus d’Eli, se penche en sa direction et lui retire le bloc de glace. « Les points ressembleront à ceux d’un professionnel, alors tu pourras prétendre être passé à l’hôpital pour te soigner. Peut-être que ça les empêchera de poser plus de questions. Mais je ne peux rien te promettre. Et je ne peux surtout pas t’aider s’ils ne te croient pas. Alors tu seras seul à ce moment-là. » Car il n’est pas seul pour le moment. « Mords dans ça. » Juste sous ses lèvres, il présente un petit rouleau de tissu à bandage.  

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octobre / 2024
au coin d'une rue

Eli n’est plus le même, changé par la redécouverte d’un monde extérieur qu’il avait oublié ; changé par la réalité des années qui se sont écoulées, changé par les retrouvailles avec ses soeurs et les regards qu’elles peuvent porter sur lui, par ses amis aussi, ceux qui sont restés et ceux qu’il a pu retrouver et puis, ceux qui sont partis. Sami fait désormais partie de ces rares présences constantes, celles qui étaient là quand il était encore enfermé et qui le sont toujours aujourd’hui - une présence qui l’attire plus qu’il ne se plaît à se l’avouer. Peut-être s’agit-il d’une présence réconfortante, et peut-être que son hésitation témoigne d’une peur que celle-ci en vienne à disparaître. Beaucoup de peut-être qu’il ne prendra pas le temps de creuser, refusant d’ouvrir certaines portes fermées à clé pour plus de sécurité ; la sienne. « Chaque chose en son temps. » L’autre réagit et Eli ne peut qu’en sourire, bien incapable de savoir ce que ces mots peuvent prédire pour l’avenir et ne s’en souciant pour le moment pas complètement - après tout, le sang qu’il peut sentir jusque dans sa bouche semble être une affaire plus importante actuellement.

« Allez. Couché. » Est-ce normal que l’ordre lui provoque un frisson qu’il est bien incapable de réprimer ? Si la honte ne s’empare pas de lui, il préfère cependant ne pas répondre - faut dire qu’il ne se fait absolument pas confiance pour réussir à conserver son calme face à la situation et aux mots de Sami - qu’ils soient utilisés de façon consciente ou non. Alors Eli s’exécute sans piper mot et recule sur le matelas pour s’y allonger complètement, s’appuyant d’abord sur ses coudes pour observer le moindre geste de son conseiller. Bien vite, Sami s’installe à ses côtés et alors qu’il le fixe de son regard perçant, il ne peut pas s’empêcher de poser une nouvelle fois la question qui refuse de le quitter depuis le début de la soirée. Il faut dire qu’elle a son importance pour son avenir. « Je crois surtout que t’es le mec le plus con que j’ai jamais rencontré.  » Et sûrement qu’Eli devra s’en contenter. Pas le temps de répondre qu’une nouvelle douleur se fait ressentir ; Eli serre les dents et attend que le tout passe, fait confiance à son sauveur du soir et laisse sa vie reposer entre ses doigts. Il n’a pas le choix, de toute façon. Bloc de glace sur le visage, il observe le Cadburry se lancer dans un monologue - Eli n’est pas certain de l’avoir déjà entendu parler autant - et il se décide à l’écouter attentivement, hochant la tête à la moindre de ses directives, grimaçant quand le bloc de glace vient un peu trop se frotter contre sa plaie douloureuse. Si au début il se contente de répéter les phrases à bas mot pour les ancrer dans sa mémoire, il prend peu à peu conscience de ce que tout cela signifie. Son regard se relève vers lui, les yeux pétillant d’un espoir qu’il ne peut plus empêcher car il comprend, il ne peut que comprendre. Sami le croit et sûrement qu’il pourrait l’embrasser ici et maintenant si le prétendu infirmier ne lui tendait pas à ce moment-là un tissu en prononçant quelques mots auxquels Eli ne s’attendait pas ce soir - il ne s’attendait à rien de ce qui s’est passé lors de cette soirée, les surprises s’enchaînant les unes après les autres.

Une nouvelle fois, il s’exécute, plaçant le bandage entre ses dents et serrant de toutes ses forces. La douleur est vive, ses mains se serrent et ses ongles viennent marquer sa peau ; ses yeux se pressent au rythme de sa mâchoire et il peut sentir la sueur se mêler aux gouttes de sang. Il ne sait pas comment il parvient à ne pas hurler tant la douleur le prend de partout, se réverbérant dans toute sa tête pour ne pas le laisser tranquille. Chaque seconde lui semble durer des heures et il geint quand l’aiguille se plante sans attendre à nouveau, avançant les points qui viendront le guérir. Il ne saurait même pas dire combien de temps la torture dure, sait simplement que c’est trop - bien qu’utile, bien que nécessaire - et quand la douleur vive de l’aiguille qu’on insère sous sa peau s’arrête pour laisser place à celle plus légère mais continue, Eli sait que c’est terminé et relâche alors tous les muscles de son corps. Il ne se redresse pas pour autant - faut dire que tout lui fait mal - et laisse sa tête contre l’oreiller, ses membres s’enfonçant dans le matelas alors qu’il lui semble que tout son corps est en feu. Pendant de nombreuses secondes, il ne dit rien, les yeux fixés vers le plafond, contemplant les minutes qui viennent de s’écouler. Sans se relever, il parvient finalement à prononcer des mots rares pour le Cash mais nécessaires aujourd’hui. « Merci. » Un merci général, un merci de l’avoir aidé ce soir, un merci de croire en lui et de lui sauver le cul, un merci pour trop de choses qu’il ne pourrait vraiment les expliquer ; mais sa tête lui fait mal. « J’vais y aller promis, juste. » Il sait qu’il ne devrait pas traîner, pas abuser plus longtemps d’un Sami qui a sûrement autre chose à foutre que de continuer à s’occuper de lui. « Deux minutes. » Il pourrait s’endormir là, les yeux fermés et le corps étalé sur le lit aux odeurs qu’il n’apprécie qu’un peu trop.