for the sinners to play as saints (joseph & eli)

for the sinners to play as saints

@Joseph Keegan  ☆ Eli Cash

gifs by (c) pinterest

août / 2024
appartement de joseph

Le taxi le dépose directement devant l’immeuble indiqué ; il peut presque voir le commissariat d’ici, et cette simple idée fait parcourir un frisson dans son dos pour la simple - et très bonne - raison qu’il ne devrait pas être ici. Alors qu’il arrive au bas de l’immeuble et trouve rapidement le nom de famille Keegan noté en lettres capitales, il ne peut qu’être un peu plus conscients d’à quel point il ne devrait pas être ici, d’à quel point il aurait dû trouver une autre solution - n’importe laquelle. Mais en réalité, il s’en moque pas mal, et n’a aucun autre endroit où se poser si ce n’est la prison dont il vient juste d’être libéré - et hors de question d’y retourner. Son conseiller est informé de la situation - et le couvre - alors il pénètre en coupant net à toutes ces pensées, il n’a pas d’autre choix.

Le bracelet à sa cheville semble plus lourd à chaque pas qu’il fait, à chaque marche qu’il franchit ; il faut dire qu’il n’est pas encore habitué à cet engin qu’il va pourtant devoir apprendre à supporter un bon nombre de mois pour éviter de parler en années. Un pauvre sac de sport sur le dos contenant les maigres affaires en sa possession et il arrive en quelques dernières enjambées à la porte tant attendue. J. Keegan, une vague d’espoir l’emporte alors qu’il contemple quelques secondes les lettres formant ce nom qu’il n’a que peu entendu ces cinq dernières années. Joseph est derrière cette porte, ce mentor, ce frère, ce sauveur. Un bout de bois seulement les sépare et Eli devrait se précipiter de l’ouvrir mais il hésite, une légère appréhension s’étant glissée dans son ventre. Que va dire Joseph ? Que va-t-il penser ? Qu’a-t-il pensé toutes ces années ? Que sont-ils devenus ? Que vont-ils devenir ? Est-ce là la bonne idée ? Eli n’a jamais pu voir Joseph comme une mauvaise personne, son procès et les accusations qu’il a pu entendre contre l’homme n’ayant aucun impact sur l’image qu’il a toujours eue sur lui. Mais lui qui veut maintenant retrouver un semblant de droit chemin ne peut que se poser la question, alors que son destin s’apprête peut-être à se sceller à nouveau ; est-ce la bonne décision ?

Il toque ; c’est la bonne décision, pas besoin de tergiverser plus longtemps - il a eu cinq années pour le faire, il est temps de s’arrêter et de profiter de cette liberté retrouvée et de cet ami manqué. Serrant un peu plus la lanière autour de son épaule, il souffle un bon coup avant de préparer le sourire qu’il sait viendra bientôt étirer ses lèvres.

Deux semaines. Joseph était libre depuis seulement deux semaines. Du haut de son appartement au 6ème étage, il observe la distance qui le sépare du sol de béton. Les barreaux à sa fenêtre lui rappellent ironiquement une vision qu’il a eue pendant cinq ans. Sa gorge est nouée. Le goût des aliments n’est plus aussi fade, mais il n’arrive pas à avaler une bouchée sans tirer une grimace. Peut-être qu’il est libre. Peut-être que plus personne n’est là pour s’assurer que son lit est fait, que ses souliers sont rangés et que son oreille est posée sur son oreiller à vingt-et-une heure, peut-être que la routine punitive n’est plus, mais Joseph reste coincé dans sa tête. Et il n’y a pas pire prison que la tête d’un homme qui a vécu trop de choses.

La journée est grise, comme souvent à Bristol. Le soleil prétend poindre de temps en temps, mais il retrouve vite sa cachette derrière les nuages remplis de pluie. Ceux-là n’attendent que de pleurer sur le monde. Les nuages sont égoïstes. Ils ont toujours besoin de rendre les autres misérables quand ils ne se sentent pas bien. Le reflet de Joseph dans le miroir de la salle de bain est carré en deux. Il y a une fissure qui sépare son front. Il crache la mousse de son dentifrice dans le lavabo et grimace en passant sa langue sur l’intérieur de ses joues déchiquetées. La nervosité le fait se bouffer lui-même. Quand il n’arrive pas à coincer un morceau de peau entre ses molaires, il va chercher ses ongles avec ses palettes. Autant qu’il peut, il réduit l’espace qu’il prend sur cette Terre qui ne veut pas de lui. Quand il remplit sa bouche d’eau glaciale, ses dents lui font mal à cause du froid. Il a aussi l’impression de les entendre craquer. Il aimerait les perdre pour prendre encore moins de place.

Toujours moins de place.  

On frappe à sa porte. Son premier réflexe, en tant que personne qui n’attend personne, est de vérifier que la lumière sur le bracelet à sa cheville est verte. C’est bien le cas. Ce doit être un officier de police, il a l’habitude à force. Ou pire que ça. Un voisin qui a besoin de lui emprunter du lait ou du sucre. C’est avec nonchalance que Joseph franchit à peine trois pas (il est minuscule, son appartement), pour se planter devant la porte d’entrée. Elle n’est pas munie d’œilleton alors le trentenaire ne peut pas vérifier l’identité du visiteur avant de lui faire face. Quand il ouvre la porte, il se pétrifie en découvrant le visage du louveteau. « Eli ? » Il lâche d’abord, abasourdi. Réflexe oblige, il s’assure que personne ne l’a suivi. Comme s’ils avaient tous les deux retrouvé le chemin de l’appartement qu’ils avaient squatté avec les autres garçons pendant presque dix ans. « Qu’est-c’que tu fous là ? » Il sent la lourdeur à sa cheville, le rappel permanent qui lui conseille de pas faire de bêtises. « J’ai pas l’droit d’reprendre contact avec toi. Ou avec n’importe quel autre mec. Ça fait partie d’mes conditions, t’es con ou quoi ? » Mais au fond, il y a une boule d’émotion dans sa gorge. Il a envie de pleurer, de le prendre dans ses bras, de lui défaire les cheveux (même s’il n’en a presque plus), sauf qu’il reste pétrifié par cette surprise. Il ne pensait pas que leur sentence se terminerait presque en même temps. Cela faisait des mois qu’ils ne s’étaient pas vus. Depuis l’incident.      

for the sinners to play as saints

@Joseph Keegan  ☆ Eli Cash

gifs by (c) pinterest

août / 2024
appartement de joseph

Eli a reçu les instructions que tous ceux faisant partie d’une quelconque organisation reçoivent quand ils se font finalement attraper : ne plus contacter les personnes concernées. Il connaît le deal et compte l’appliquer à la lettre - ou presque - même si ça doit lui coûter ; c’est sa famille dont on parle, des mecs qui ont toujours été là pour lui quand il n’avait personne, des mecs qu’il considère comme ses frères, des mecs qu’il aime, tout simplement. Et il n’a plus le droit de leur parler ; on dit qu’il est sorti de prison mais le bracelet à sa cheville et les multiples restrictions semblent raconter une toute autre histoire.

On va pas se mentir, il n’avait pas grand choix d’hébergement pour sa sortie de prison. Prendre un appartement seul semblait mission impossible, il faudrait déjà trouver un travail ; demander à ses soeurs demandait un peu trop de courage, et du courage, il n’en a pas spécialement ; il a bien tenté de dire au CPIP de l’héberger mais celui-ci a bien vite accepté la dernière proposition de sa mine déconfite. C’est comme ça qu’Eli se retrouve devant la porte de Joseph, persuadé que ce dernier est informé de la situation et bienheureux de la tournure exceptionnelle des événements. Joseph, c’est pas juste un mec avec qui il a fait des trucs louches, Joseph c’est plus que ça et il est soulagé de se dire que Samuel a su voir ça - si c’est là ce qu’il s’est passé, rien n’est moins sûr.

Quand la porte s’ouvre sur son ami ; il est heureux de le revoir, tentant de repousser loin dans sa tête la raison pour laquelle les deux ont été séparés après des mois de cohabitation de cellule. « Qu’est-c’que tu fous là ? » Ce n’est pas tout à fait l’accueil auquel il s’attendait. « J’ai pas l’droit d’reprendre contact avec toi. Ou avec n’importe quel autre mec. Ça fait partie d’mes conditions, t’es con ou quoi ? » Il pourrait s’offusquer, renfrogner sa mine, lui donner un coup dans le torse mais la vérité, c’est qu’il est juste heureux de le voir et pas grand chose en cet instant pourrait venir ternir son moment. Il est dehors, et il est à la maison. « Pousse toi, rabat-joie. » qu’il annonce en ajoutant le geste à sa parole alors qu’il entre sans se soucier de quoique ce soit, poussant un peu Joseph au passage. « Nous c'est pas pareil.  » Mais comme il entend l’inquiétude dans sa voix, il ne se fait pas prier pour donner plus d’informations. « Te prend pas la tête, c’est géré. » qu’il explique en posant son sac et en observant un peu autour de lui. « J’suis avec le conseiller grincheux, tu te souviens ? Bref, t’inquiète, y’a pas d’embrouille, c’est vu avec lui, déride-toi un peu. » Il s’approche et lui tapote le front, pile à l’endroit où quelques rides ont fait leur apparition. « Bon ! C’est pas mal ici, on va être bien ! » qu’il annonce, ouvrant les bras et tournant un peu sur lui-même pour s’approprier l’espace.

Quand enfin il décide d’arrêter de faire l’idiot, ses pieds s’ancrent dans le sol et il fait face à Joseph qu’il regarde dans les yeux. Y’a pas mal de choses qui le traversent en ce moment ; la joie de retrouver son ami, la honte de leur dernier échange, la gratitude aussi, l’envie de le frapper pour ce qu’il a fait et de le serrer dans ses bras ; les souvenirs qui remontent et la réalisation qu’il est dehors, et qu’il est là. Il reste de marbre mais ses doigts tapotent nerveusement contre sa cuisse, une deux deux, une deux deux, il s’imagine une musique qui monterait doucement, partant d’en bas pour monter tout en haut - les yeux fermés, ça le calme. Il ne les rouvre que quelques secondes après, Joseph est toujours-là. C’est donc bien la réalité. « T’es d’accord ?  » qu’il demande comme une supplique, comme l’enfant qu’il était quand il a rencontré Joseph, 17 ans à peine et perdu dans un monde bien trop vaste pour lui.

Il n’y a pas meilleur élément perturbateur qu’Eli. Lui qui n’en a rien a faire des étiquettes, qui piétine les territoires qui l’inspirent, qui crie dans une bibliothèque s’il a un message à faire passer. Le quotidien de Joseph avait paru bien calme sans cette boule électrique qui dégomme tout sur son passage. Ça lui aura presque manqué, les commentaires déplacés et les coups dans son estomac pour le maintenir éveillé. L’appartement est, de base, petit, mais la présence d’Eli vient ironiquement l’agrandir. Il n’y a aucune limite avec un esprit comme le sien. C’est ce qui agace Joseph autant que ça lui plaît.

C’est pour cette raison qu’il ne s’oppose pas lorsque son petit frère le contourne pour faire sa place dans le peu de place ici. Avec seulement un sac sur son dos, il a déjà tout apporté de ses possessions. Pas grand-chose. Joseph non plus n’avait pas grand-chose en arrivant ici. « Nous c'est pas pareil. » Il croit encore que les règles ne s’appliquent pas à lui. Il le retrouve bien, son partenaire de cellule aux petits projets déconseillés. « Te prend pas la tête, c’est géré. » Bras croisés sur sa poitrine, toujours en s’empêchant de laisser s’échapper un sourire, il penche la tête sur le côté en attendant la suite. Elle risque d’être intéressante. Qu’est-ce qu’il a fait, encore ? Il est allé signer un pacte avec le Diable ? Il a sucé la queue du maire ? Aucune des deux options le surprendrait plus que l’autre. « J’suis avec le conseiller grincheux, tu te souviens ? Bref, t’inquiète, y’a pas d’embrouille, c’est vu avec lui, déride-toi un peu. » Perplexe, le raton-laveur fronce les sourcils, aucunement dérangé par le tapotement de la main contre son front. Sa mémoire ne lui a jamais joué des tours. C’est son plus grand fardeau. Alors il mettrait sa main à couper en affirmant ceci : Eli détestait son CPIP. Du moins, il le détestait encore quand Keegan s’est fait muter jusqu’aux cellules isolées. Il allait ouvrir la gueule, demander des comptes, mais Eli, au flot de parole épuisant, continue dans sa lancée. Sûrement pour ne pas avoir à expliquer quoi que ce soit. Comme si Joseph n’avait pas poser plus de questions alors que ce duo est un danger pour sa sécurité. « Bon ! C’est pas mal ici, on va être bien ! » Il pouffe d’un rire bref. « Tu rêves. Y’a qu’un lit simple. » Ça ne l'arrêtera pas. Ils ont déjà dormi à la belle étoile. Il sait déjà qu'aucun argument ne le fera changer d'avis. Interrogatif, il observe Eli tandis qu’il se pose devant lui, stoppe son mouvement, s’ancre dans la réalité. Il sait à quoi il pense mais il ne dira rien. Joseph n’est pas rancunier. Il tourne la page jusqu’à ce que le livre se termine. Tant pis s’il n’a plus de lecture après. Il écrira la suite. « T’es d’accord ?  » Il ne s’en sortira pas si facilement, le gamin immature qui est resté le même après toutes ces années.

« Oui j’me souviens du conseiller grincheux. Tu le détestais, et lui il te détestait encore plus. Il va falloir qu’tu m’expliques comment tu peux avoir fait un deal avec lui si t’avais envie d’lui planter un crayon entre les yeux. »  

for the sinners to play as saints

@Joseph Keegan  ☆ Eli Cash

gifs by (c) pinterest

août / 2024
appartement de joseph

Leur appartement est petit mais Eli n’a pas besoin de beaucoup de place, un coin de la pièce lui suffira largement ; voilà ce qu’il se dit alors qu’il observe l’endroit où il va enfin pouvoir se poser et retrouver un semblant de vie normale ou peut-être même découvrir ce que pourrait être cette vie normale tant espérée et imaginée alors qu’il était enfermé entre quatre murs avec rien d’autre que son imagination pour le servir.

Joseph, lui, semble hésitant face à la situation qui vient s’imposer à lui mais Eli n’hésite pas à lui expliquer, à le rassurer ; quelques mots devraient suffire à accomplir la tâche. Pourtant, chaque phrase d’Eli semble ne pas trouver preneur et les bras croisés de Jo le forcent à continuer, tentant d’expliquer l’impossible, l’improbable, l’interdit. Il n’est pas complètement bête Eli, et puis surtout, il le connaît son ami alors il voit très bien au fond de son oeil toutes les questions qui menacent de s’écouler entre eux. Alors il parle, ajoute des choses, prend tout l’espace dans l’appartement en espérant prendre l’espace dans la tête du plus âgé pour que tous deux passent à autre chose. Il fait de son mieux, Eli, pour ne pas avoir à trop en dire. « Tu rêves. Y’a qu’un lit simple. » Y’a un rire dans son regard quand il répond sans une once d’hésitation. « C’pas grave ça, tu dormiras par terre, t’as l’habitude. » Il s’arrête net, alors que le souvenir de sa trahison lui revient en mémoire ; il refuse d’y penser trop longtemps, alors que ça provoque beaucoup de choses. « T’inquiète, j’déconne. » Récupérant son sac, il le jette sur le lit avant de s’y asseoir. « Aaaah, on est bien chez soi quand même hein. » Il sait qu’il abuse, mais ça le fait rire, tout autant qu’il est de plus en plus sincère ; il a bien l’intention de vivre ici, il s’est battu pour et il n’a aucune autre solution, c’est le meilleur endroit pour lui et il refuse d’imaginer un instant que Joseph pourrait décider de le foutre à la porte sans demander son reste - ça lui semble impossible.

Quand il se remet face à lui, impossible de se pas voir ce qui flashe devant ses yeux et l’inquiétude qui grimpe dans tout son corps. Finalement… et si Joseph le foutait réellement à la porte ? « Oui j’me souviens du conseiller grincheux. Tu le détestais, et lui il te détestait encore plus. Il va falloir qu’tu m’expliques comment tu peux avoir fait un deal avec lui si t’avais envie d’lui planter un crayon entre les yeux. » Être foutu à la porte par son grand frère, c’est finalement peut-être pas si terrible ; il regretterait presque et il ne peut s’empêcher de maudire  la bonne mémoire de son ami. Alors qu’il le regarde toujours, il hésite. Et si, pour une fois, il laissait tout tomber et lâchait le flot de pensées qui ne demandent qu’à sortir une bonne fois pour toutes ? Et s’il ouvrait les vannes et lui expliquait ? Et s’il lui disait que le CPIP le déteste sûrement toujours, mais pas tout le temps, enfin peut-être, enfin franchement, il sait pas et il sait plus. Et s’il lui disait que lui par contre, y’a plus de haine qui tienne, y’a autre chose mais ça fait peur, y’a plein de choses mais c’est fou. Et s’il lui disait qu’il sent encore sa peau contre la sienne car c’était y’a quelques heures à peine ? « Bah j’ai promis de pas lui planter d’crayon dans l'œil, justement. » Et si c’était plus simple de jouer au con, de son sourire malicieux et fier. Sortant de sa transe et décollant sa main moite de sa cuisse, il s’avance et donne un petit coup de poing sur l’épaule de Joseph. « Allez arrête de faire ton grincheux toi aussi et fais-moi confiance, j’t’ai déjà menti ? Hein ? Non, bon bah alors, te stresse pas pour rien, va rien arriver. » Il n’attend pas plus longtemps, estimant la discussion close et se dirige vers le réfrigérateur pour l’ouvrir en grand et observer son contenu. « Bon, je meurs de faim. On sort ? J’ai bien le droit à un premier repas d’homme libre non ? » Il rêve d’un bon burger et de quelques frites, la simple idée le fait saliver.

Les souvenirs sont bousculés dans l’air que soulève Eli à ses passages à gauche, à droite, quand il découvre cet appartement qu’il a déjà adopté. Tandis qu’il l’observe, Joseph se surprend à fantasmer à un retour en arrière. Quand les choses allaient encore bien. Quand ils ne faisaient pas des miracles autour d’eux, qu’ils faisaient de leur mieux pour survivre dans un environnement hostile. Il y avait quelque chose de rassurant à cette routine avec les garçons, à boire jusqu’à pas d’heure en pesant des quantités de poudre sur la balance, à faire des paris sur qui sera le plus proche de poser exactement cinq grammes du premier coup. Il y avait aussi quelque chose de rassurant à cette routine derrière les barreaux. Lever, laver, manger, regarder le temps passer, manger à nouveau. En posant le pied dans sa liberté, Joseph s’est fait happer par une pensée plus lourde que les années d’incarcération : l’absence de routine. Dehors, il n’a pas su quoi faire sans personne pour lui pointer la direction. Il a toujours été un animal de meute. La solitude ne lui convient pas. Elle le plonge dans ses pensées, le renvoie à son enfance quand il n’avait pas encore de repère, seulement deux Pères qui lui mettaient la main dessus.

Eli faisait partie de la meute. À l’extérieur, et aussi à l’intérieur. Il l’a suivi par coïncidence, mais cette fois il ne s’agit plus d’une coïncidence. Dans son comportement de rien à foutre, Joseph perçoit l’attachement d’un jeune qui n’a pas envie de perdre son frère. Ça lui arrache un sourire à peine perceptible. « C’pas grave ça, tu dormiras par terre, t’as l’habitude. » La rancune ne tache pas la blague. Il comprend qu’il ne voulait pas enfoncer le couteau dans la plaie. Eli part en roue libre dans l’humour quand il n’est pas confortable. Joseph a toujours été là pour l’attraper dans ses vrilles avant qu’il ne se casse la tête. « T’inquiète, j’déconne. » Il souffle du nez, lève ses sourcils. « Aaaah, on est bien chez soi quand même hein. » Le plus jeune d’esclame en posant déjà ses affaires. Sauf que ça ne va pas être aussi facile que ça. Joseph attend toujours les réponses à ses questions : comment Eli a-t-il pu faire un deal avec l’homme auquel il a associé une panoplie d’insultes ? Quand Joseph était en trou, ils se sont fait copain-copain ?

« Bah j’ai promis de pas lui planter d’crayon dans l'œil, justement. » Il en faudrait plus que ça pour faire contourner la loi à une personne qui la représente en partie. « Allez arrête de faire ton grincheux toi aussi et fais-moi confiance, j’t’ai déjà menti ? Hein ? Non, bon bah alors, te stresse pas pour rien, va rien arriver. » Il n’a pas besoin de réfléchir une seule seconde avant de trouver un contre-exemple : « Tu m’as déjà volé ma kit kat et t’as mis l’blâme sur Dims. » Difficile de mentir dans une toute petite cellule où la seule cachette se trouve sous l’oreiller. Celui que les gardiens dégomment à chaque ronde de surveillance. « Tu m’excuseras d’avoir des doutes quant à ta p’tites stratégie mystérieuse avec le grincheux. »

« Bon, je meurs de faim. On sort ? J’ai bien le droit à un premier repas d’homme libre non ? » Le premier repas d’homme libre de Joseph avait été un sandwich triangle aux œufs brouillés. C’était il y a une semaine. À ce moment-là, il n’avait pas de comptes à rendre, contrairement à Eli qui croit s’en sortir trop facilement. Se dirigeant vers lui et le réfrigérateur qu’il a scruté en vain. Il n’y a que quelques yaourts et un jus de pommes, là-dedans. Avec vigueur, il ferme la porte et refait face à son petit frère, bras croisés. Il tente de garder son sérieux, trois secondes, deux… une… Mais son visage se déchire en un sourire. Puis il vient prendre Eli contre lui, trois bonnes tapes dans le dos qui les bousculent tous les deux, font trembler le bloc appartement « Tu m’as manqué espèce d’imbécile. Imbécile de merde. Je devrais te jeter par la f’nêtre et t’regarder exploser en mille morceaux sur le béton. » Courte pause alors qu'il l'enlace encore plus fort. « C't'ait pas pour moi, le couteau qu't'avais fait, hein ? »     

@Eli Cash

for the sinners to play as saints

@Joseph Keegan  ☆ Eli Cash

gifs by (c) pinterest

août / 2024
appartement de joseph

Même s’il n’osera sûrement jamais lui dire en ces termes, être auprès de Joseph c’est comme être à la maison et il ne peut que se sentir à l’aise en sa présence, une âme réconfortante qui plane autour de lui, des souvenirs plein la tête et une envie de l’enlacer pour pas le lâcher. Il le fera pas, bien sûr, refuse de laisser une quelconque sensibilité sortir un peu trop de ses pores. Alors au lieu de trop se laisser aller à ses pensées, il découvre les lieux, erre comme un animal prêt à faire son nid dans cet endroit. Y’a pas de question à se poser, il a un deal avec son conseiller et y’a pas à s’expliquer ; ils sont safes. « Tu m’as déjà volé ma kit kat et t’as mis l’blâme sur Dims. » Le souvenir est vif dans sa mémoire et ne peut que venir lui arracher un sourire. Ils étaient jeunes, lui sûrement un peu trop con, Dims un peu trop facile ; une fausse dispute s’en est suivie et la bagarre - un jeu pour eux - lui a laissé un petit cocard qu’il a gardé de nombreux jours, un sourire placardé sur les lèvres. A peine sorti du trou que cette vie-là, cette autre vie qui semble désormais si lointaine ne peut que lui manquer. Tout était plus simple avant, finalement. « En même temps c’était facile de lui faire porter le chapeau. » Il lâche un rire, Dims était la proie facile dans ce petit groupe mais jamais Eli ne s’est laissé aller plus loin que l’accuser de quelques vols de kit kat et autres friandises. « Tu m’excuseras d’avoir des doutes quant à ta p’tites stratégie mystérieuse avec le grincheux. » Il a pas l’intention de poursuivre cette conversation, la honte montant discrètement dans son corps ; il ne répond même pas, et évitera le sujet autant que possible si Joseph décide que ce n’est pas assez. Puis de toute façon, qu’est-ce que y’aurait à dire ? Après tout, il n’y a rien.

Même s’il tente de le cacher au fond de lui, par des blagues et des sourires, Eli est nerveux. Alors qu’il regarde celui qu’il voit comme un grand frère, il ne sait pas sur quel pied danser ; va-t-il accepter ou le foutre à la porte ? Regard contre regard, aucune réponse claire ne se forme dans son cerveau jusqu’à ce moment précis. Un sourire, des pas et bien vite, le plus jeune des deux lâche un soupir qu’il retenait sans s’en rendre compte. « Tu m’as manqué espèce d’imbécile. Imbécile de merde. Je devrais te jeter par la f’nêtre et t’regarder exploser en mille morceaux sur le béton. » Il se sent con tant il pourrait pleurer s’il se laissait un peu aller, le soulagement qui vient remplir ses veines alors qu’il enlace lui aussi son ami, refusant de couper court à ce moment dont il avait finalement tant besoin sans vraiment le réaliser. Joseph est là, Joseph ne le rejette pas, Joseph ne lui en veut visiblement pas ; et c’est tout ce dont il avait besoin pour se sentir enfin libre, enfin libéré d’un poids qui pesait un peu trop sur sa poitrine. « Tu m’as manqué aussi. » qu’il marmonne et quiconque connaît un minimum Eli sait que ces mots sont rares et précieux, et qu’il ne les répétera pas plus fort. Il sent les bras de Joseph plus fort encore autour de lui et pour une fois, il ne s’échappe pas ; ça fait trop longtemps et il en a tant besoin. « C't'ait pas pour moi, le couteau qu't'avais fait, hein ? » Ses bras se desserrent doucement alors que le souvenir lui revient comme un flash, ce souvenir qui ne l’a jamais vraiment quitté tant il y pense chaque jour de sa vie depuis ce jour. Il se souvient de la fouille en détail, des cris des gardiens ; de Joseph qui fait un pas en avant, agissant comme une armure devant Eli. Il se souvient d’être resté silencieux quand ils l’ont emporté ailleurs - au trou, ça ne faisait pas de doute. Le silence ne l’a jamais quitté, il n’a rien dit. Et il s’en veut. Joseph est bien la seule personne pour laquelle il peut éprouver des remords - mais il est incapable de lui en faire part. Alors il se contente de secouer sa tête dans le cou de son ami, le rassurant par ce geste. Ce n’était pas pour lui.

Il reste ainsi de longues secondes, refusant de lâcher prise, refusant de laisser la vie continuer son cours alors qu’il souhaite simplement profiter de l’instant présent et vivre ici et maintenant. Quand il se sépare enfin, il accroche un sourire sur son visage et tente de pousser toutes les pensées parasites, tous les et si et les non-dits. Un sourire, un tour sur lui-même, un regard vers Joseph. Il est libre.