so they take and then they take (joseph & eli)

so they take and then they take

 @Joseph Keegan ☆ Eli Cash

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février / 2010
dans la rue
tw : mention de drogue

Ça fait presque une trentaine de minutes qu’il le suit à la trace, le cœur battant la chamade et les mains de plus en plus moites. Joseph. C’est son prénom ; s’il peut se fier aux dires d’un copain lui ayant indiqué la personne et ce qu’il aura de fortes chances de trouver sur lui. Il sait même ce qu’il a à faire ; passer discrètement derrière lui, mettre la main dans la poche gauche - il a étudié le sujet, à en croire ses gestes et sa posture, c’est là qu’il aura le plus de chances de trouver quelque chose -, dérober ce qu’il y trouvera, partir en courant. Les étapes se répètent dans sa tête en boucle pour ne rien rater et ne rien oublier mais Eli ne s’inquiète pas. Il a l’habitude et ce vol tout simple et tout bête est loin d’être son premier rodéo.

Y’a une petite foule tout autour d’eux quand il se décide à passer à l’acte ; c’est toujours plus simple quand ils sont nombreux, l’agitation fait voler les vestes, toucher les épaules et secouer les sacs et il n’a plus qu’à trouver le bon angle et le bon instant pour toucher sa cible. En une demi-seconde, la prise est réussie, un sourire se place sur ses lèvres et il n’a plus qu’à rentrer chez lui. Aujourd’hui ne devrait pas être différent, il a fait ça des dizaines de fois. Quand le bon moment arrive, il se lance, sentant l’adrénaline pulser dans ses veines - c’est un sentiment exaltant qu’il ressent à l’approche de son geste - et en quelques secondes, il trouve la combinaison parfaite et plonge la main dans la poche, sentant immédiatement sous ses doigts l’objet de tous ses désirs. Une demi-seconde seulement, comme prévu, et il sort sa main, le pochon entre ses doigts - il sent son coeur tambouriner dans sa poitrine et s’imagine déjà les sens en furie quand il aura sniffé ce rail tant espéré.

Une main lui attrape la sienne, coinçant le pochon entre leurs paumes et Eli - au lieu de tourner le dos comme il aurait dû - se retrouve nez à nez avec Joseph. Le fameux Joseph. Celui-là même. Le jeune voleur ne bouge plus, paralysé par la surprise - et sûrement la peur également, car la personne qu’il a pris pour cible aujourd’hui n’est pas une personne lambda, et il le sait.

tw : mention de drogue

La soirée est encore jeune. Le soleil ne s’est pas complètement blotti sous sa couverture d’horizon. Les ombres s’allongent dans les rues de Bristol et les lampadaires attendent le signal pour s’allumer à l’unisson. Les chauves-souris vont bientôt prendre le relais des oiseaux. Joseph se rend à l’appartement. Le fameux appartement dont la propriété est disputée entre plusieurs têtes. Lui il se fiche de ne pas savoir qui paye le loyer (si un loyer est effectivement payé…), il est simplement heureux d’avoir un toit sous lequel poser ses deux oreilles et fermer les yeux.

Ses mains sont légèrement moites quand il s’arrête à une intersection plutôt bondée. Il fixe avec impatience la lumière qui permettra aux piétons de traverser. Pour le moment, les voitures font la course pour ne pas laisser le feu vert glisser entre leurs pneus. Un mouvement à droite. Joseph bascule la tête et dévisage le propriétaire du coude qui vient de le percuter. Ce dernier n’a pas remarqué. Il continue de parler au téléphone. À gauche, un coup de vent. Puis juste derrière. Comme un souffle dans sa nuque, un mauvais présage, ses poils qui se dressent sur ses bras. Il le perçoit, le subtil trémoussement de la poche de son veston. Chaque touché, chaque contact, aussi léger et délicat qui soit, trouble son confort. Il frissonne. Sa main se soulève par réflexe et attrape en plein vol une autre. Il fait face à un jeune adulte, ou un adolescent, c’est difficile à dire. Sa main dans la sienne, il la presse de toutes ses forces pour le faire couiner, regretter. Il sait ce qu’il cache dans le creux de sa paume. Il y a des choses précieuses avec lesquelles Joseph se balade. Ce sachet lui appartient. Cette poudre lui est destinée. Il ira voir les étoiles avec elle, et oubliera ce contact, ce frisson, qui vient de le secouer et de lui rappeler trop de choses.

« Qu’est-c’que tu m’fais là, toi ? » Qu’il souffle, yeux noirs plantés dans ceux du type qui a essayé de lui voler son précieux. « Tu t’rends compte de c’que t’es en train d’faire ? Un téléphone, d’accord, pourquoi pas. Mais pas ça, pas ici. » Quel idiot. Sortir de la cocaïne de sa cachette, en public, au milieu de tout ce monde qui n’a besoin que d’appuyer sur un bouton pour contacter les autorités.    

@Eli Cash  

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février / 2010
dans la rue
tw : mention de drogue

La première fois qu’il s’est retrouvé ainsi dans la rue, il devait avoir un peu moins d’une quinzaine d’années. Si comme tous les gosses - ou presque -, il a commencé par quelques vols à l’étalage, il a bien vite activé la vitesse supérieure. Quelques vols de sacs à main, de billets au distributeur, il s’est même tenté à ouvrir plusieurs portes de voiture pour récupérer tout ce qui pouvait lui faire quelques sous. Trois années plus tard, on peut dire que sa méthode a fait ses preuves ; il amasse suffisamment pour acheter ce dont il a besoin et le plaisir que ça lui procure ne cesse de grandir à mesure qu’il se frotte à de plus gros poissons.

Alors forcément, ça n’aurait jamais dû se passer ainsi, pour la simple et bonne raison que jamais il ne s’est fait prendre de la sorte, la main dans le sac pour ainsi dire. Et pourtant, c’est bien ce qui vient de lui arriver ; sa main collée dans celle plus large et plus forte de celui qu’il pensait pouvoir voler sans impunité. Il sent encore le pochon entre ses doigts, refuse de lâcher la prise tant espérée, refuse de perdre. « Qu’est-c’que tu m’fais là, toi ? » Eli n’a pas peur, ce n’est pas le genre, alors il le fixe droit dans les yeux, le défiant du haut de ses dix-sept années. « Tu t’rends compte de c’que t’es en train d’faire ? Un téléphone, d’accord, pourquoi pas. Mais pas ça, pas ici. » Pas besoin de regarder autour d’eux pour imaginer la scène. Les gens continuent leur course, effleurant leurs épaules et tapant des pieds sur le bitume, innocentes personnes qui ne savent pas ce qui peut bien se jouer entre les deux - et qui s’en moquent, très probablement. « Lâche-moi. » qu’il se contente alors de répondre, tentant de fermer son poing sur la poudre. Le moindre faux pas pourrait lui coûter beaucoup et il le sait ; y’a trop de monde, il aurait dû être discret, ça aurait dû être rapide. « J’suis pas tout seul, laisse-moi partir. » Qu’il tente, espérant donner l’impression qu’un groupe entier se tient derrière lui prêt à bondir pour lui venir en aide. C’est faux. Il est seul, comme on l’est souvent quand on arrive aux complications de ce monde.

tw : mention de drogue

Le gamin est terrifié. Même s’il se donne des airs de pitbull, Joseph entend le souffle qui se coupe dans sa voix, même lorsqu’il le menace. Il n’a pas l’assurance d’un adulte qui sait donner des ordres ; Joseph sait de quoi il parle. Il ne tremble pas d’un poil maintenant qu’il fait face au rat qui a tenté de lui choper sa drogue. La pression qu’il exerce autour de sa main ne s’amplifie pas, parce qu’il n’a pas l’intention de le blesser, mais il tient bon. Autour d’eux, la population continue de faire tourner le cycle de la vie. Il y a ceux qui rentrent du travail et qui ne rêvent que d’une douche et d’un bon dîner, et ceux qui se préparent à faire la fête, déjà vêtus légèrement, les yeux rivés vers les restaurants où s’agglutinent des groupes d’amis.

« T’es pas seul ? » Il répète, rhétoriquement. Joseph ne prend même pas la peine de regarder autour d’eux pour s’assurer qu’il s’agit d’un mensonge. Personne ne va lui sauter à la gueule. Pas ici, où les témoins se multiplient à chaque seconde passée. Il reprend d’une voix toujours aussi solide : « Et tes potes, ils t’ont pas dit que c’tait stupide d’faire ça ? » C’est l’idée d’un mec isolé et désespéré. Il a besoin de sa dose. Jeune addict, comme Joseph quelques années plus tôt. Ce coup-là était désespéré, sinon il aurait attendu un meilleur moment pour agir. « Qu’ils viennent. J’veux bien les rencontrer. P’t’être que j’pourrais leur donner quelques trucs et astuces pour mieux t’enseigner la technique. » Plein de questions fusent dans sa tête. Qui était-il ? D’où venait-il ? Comment avait-il su qu’un trésor se cachait dans la poche de Joseph, et depuis quand le suivait-il ? Sa curiosité est piquée. Voilà que le feu des piétons tourne au vert, et il ne bouge pas d’un poil, la sueur de la main du type se mêlant à la sienne dans l’étreinte forcée.

@Eli Cash  

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février / 2010
dans la rue
tw : mention de drogue

Évidemment qu’il a peur, même le plus inconscient des petits délinquants ressentirait cette émotion dévorante au vu de la situation dans laquelle il se trouve. Collée contre celle de Joseph, sa main glisse de plus en plus mais il résiste, se refuse à être celui qui craquera le premier et il est certain d’une chose ; il a de la résistance, sûrement un brin de folie pour oser se mêler à ce qui ne le regarde pas, mais aussi un peu de courage. Alors il tient bon et ne le lâche pas du regard, mentant effrontément la tête haute, son cœur s’accélérant toujours un peu plus sans lui laisser un instant de répit. « T’es pas seul ? » Eli secoue la tête, s’enfonçant un peu plus dans son mensonge bien qu’il y ait de larges chances que le mec en face ne le croit pas une seule seconde. « Et tes potes, ils t’ont pas dit que c’tait stupide d’faire ça ? » Sûrement qu’ils sont tous un peu stupides, sûrement qu’ils s’en foutent si la stupidité peut leur donner une chance de se shooter ce soir ; parce qu’ils pensent qu’à ça, et c’est ce qui le maintient en cet instant, ce qui fait qu’il ne lâche pas, sa mâchoire se serrant un peu plus à chaque seconde qui passe. Tic, tac. Joseph poursuit et Eli ne comprend pas bien ce qu’il lui cherche ; pourquoi est-ce qu’il n’arrête pas immédiatement ce petit jeu ? Pourquoi est-ce qu’il ne s’énerve pas ? Pourquoi est-ce qu’il lui parle ? Il ne peut que voir ça comme une tentative d’intimidation, ce qui motive sa prochaine réponse. « Tu me fais pas peur. » Il y a du vrai et du faux dans cette affirmation, et Eli est bien incapable de savoir quel côté prend le plus de place dans sa tête actuellement. « C’est rien pour toi. » qu’il ajoute d’un air méprisant, peut-être même un peu jaloux. Il sait pas grand chose du fameux Joseph - lui n’avait jamais entendu son prénom avant qu’un de ses copains ne lui en parle -, mais il croit savoir que ce pochon n’est sûrement pas le seul qu’il peut s’envoyer et il avait espoir que celui-ci ne manque pas à la  collection. « Lâche-moi. » Qu’il répète, insistant un peu plus fort, tirant sa main pour se défaire de cette emprise qui n’en est une qu’au regard du monde qui virevolte autour d’eux. Il faut que Joseph lâche, car lui ne le fera pas.

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Le jeune pense l’avoir avec la carte de l’injustice. Comme si ce serait plus juste que Joseph ouvre la main et le laisse déguerpir avec l’objet de ses désirs. Mais ce n’est pas si simple que ça. Certes, il n’est pas du genre à se battre ; il est plutôt celui qui baisse les yeux et accepte son sort. Sauf qu’il n’a pas peur du gamin et ses menaces, parce qu’il y a de la sueur qui commence à perler sur son front, des perles qui prononcent un tout autre message. Cernes sous les yeux ; silhouette fine ; quelques ecchymoses sur ses bras, des marques cicatrisées aussi. Il vient de la rue. S’il avait été un peu plus jeune, il aurait élaboré une autre théorie. Mais Joseph est forcé de faire face avec son reflet dans le miroir. C’est son expérience à lui, il y pense en premier. À quinze ans, il connaissait déjà les ruelles comme les lignes de sa paume. Il savait où mettre la main sur des repas gratuits, et comment s’endormir à la belle étoile. C’est pour ça qu’il ne lâche pas la prise. Il s’en fiche de ce sachet de cocaïne qu’il pourra effectivement remplacer sans frais. Ce n’est pas non plus son égo qui parle, car il n’en a jamais eu, du moins, pas assez pour serrer les muscles et les dents et se mettre à aboyer pour intimider.

Il a envie de connaître cette histoire-là. Il en voit quelques traces dans ses prunelles, mais il veut entendre les mots qui la composent et les sentiments qui l’animent.  

« J'te lâch'rai si t’arrêtes d’me mentir. Est-ce qu’il y a vraiment quelqu’un avec toi ? » Lui, il ne ment pas. Il ne joue à aucun jeu. Il veut savoir d’où il vient, et qui s’occupe de son âme quand il ne peut pas soigner son corps ; il a aimé qu’on fasse de même avec lui lorsqu’il s’était perdu dans les lignes de sa main.

@Eli Cash

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février / 2010
dans la rue
tw : mention de drogue

Il est tellement fier Eli qu’il arrive à se persuader lui-même que la peur qu’il ressent dans ses veines est bien incapable de le vaincre. Il se convainc qu’il peut tenir et que cette poudre en vaut la peine et ce, peu importe la façon dont cet instant doit finir. Chaque seconde de ce face à face, ce duel, semble durer une éternité et même s’il sent son corps réagir à la pression - et peut-être aussi au manque ? - qu’il ressent, il fait de son mieux pour l’ignorer, laissant le temps le dévorer tout entier.

Il n’a que 17 ans, trop jeune pour cette vie, trop jeune pour savoir que dans la rue, ceux qui ne résistent pas finissent simplement par se laisser engloutir, trop jeune pour résister face aux requins de ce monde. Et pendant de nombreux instants, il lui semble que Joseph en fait partie. « J’te lâch'rai si t’arrêtes d’me mentir. Est-ce qu’il y a vraiment quelqu’un avec toi ? » Est-ce que ça peut être aussi simple ? est-ce qu’une simple vérité peut le libérer de ce combat qu'il lui semble vivre à deux quand en réalité, il se trouve seul face à ses propres démons. Trop jeune pour ne pas être naïf, puisqu’il décide de répondre. « Non. » qu’il siffle entre ses dents, ses yeux qui n’ont pas quitté ceux de Joseph, y cherchant peut-être une vérité qu'il a pu trouver sans trop le réaliser. « Et alors ? J'te l’ai dit tu m'fais pas peur. » Il continue de défier, refuse de lâcher. Un lionceau au caractère bien trempé, bien décidé à régner en maître sur la jungle de ces rues. Un jour, ce monde sera le sien ; pour ça, il ne doit pas lâcher. Pas maintenant, ni jamais.

Sa main glisse, ses ongles se replient pour agripper l’objet tant attendu, se plantant au passage dans la paume de la main de Joseph ; ils sont courts, l’homme ne sent sûrement presque rien mais l’accroche se referme sur le petit pochon, et un quelques secondes, alors que sa main perd le contact ; il voit la poudre tomber directement au sol. Contre toute attente, ses gestes sont rapides et précis et il vient placer le pied dessus. Autour d’eux, le va-et-vient incessant ne s'arrête pas et leur bulle n’a pas éclatée. Et maintenant, quoi ?

tw : mention de drogue

« Non. » Un minuscule sourire soulève la commissure des lèvres de Joseph. Le gamin lui a fait confiance. Il a cru en la promesse qu’un transporteur de drogues lui a faite. Alors ils se trouvent dans une situation similaire. Ils ont le flair ; ils savent qu’ils n’ont pas affaire à quelqu’un qui pourrait abuser l’un de l’autre. « Et alors ? J'te l’ai dit tu m'fais pas peur. » Ça tombe bien, il n’a jamais eu envie de lui faire peur. Si certains membres du groupe qu’il côtoie ont la fâcheuse habitude de serrer les biceps au moindre inconvénient, Joseph a toujours été qualifié de maman nounours. Il s’occupe des autres quand ils se tirent les cheveux et se cognent les dents. C’est comme s’il n’avait jamais eu sa place là. Et pourtant. Son instinct le pousse à rester en place malgré tout, parce que celui qui ne se montre pas violent n’est la cible personne dans la petite bande. Les animaux enragés se battent entre eux. Lui il peut respirer, sent même un certain réconfort dans l’idée de pouvoir en apporter aux autres. « J’essaye pas de te… » Faire peur…

Les peaux glissent à cause de la sueur. Les griffes du gamin éraflent un peu la paume de Joseph quand le sachet de poudre s’échappe de la cage et tombe comme une feuille morte. Les mouvements du plus jeune sont rapides. Le réflexe d’un lièvre. Joseph ne bouge pas, lui, l’observe faire, dissimuler l’objet du délit dans cette foule qui ne remarque toujours rien. Il glousse. Il jette un coup d’œil autour d’eux puis fait un pas en arrière, levant même les mains devant lui pour signaler son intention de ne rien faire du tout. Il les enfonce ensuite dans ses poches, nonchalant. « Contente-toi d’ça, alors. T’enchaineras deux lignes, mais demain matin t’en chercheras encore. Et la prochaine fois qu’tu mettras la main dans la poche d’un type, c’est avec un canif qu’il t’arrêtera. Et si c’est pas demain, ce s’ra après-demain. » T'es bien tombé sur moi, après tout.

@Eli Cash  

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février / 2010
dans la rue
tw : mention de drogue

Confiance, stupidité, naïveté, Eli ne sait pas ce qui vient prendre le dessus dans sa décision de lui tendre la vérité. Il n’a pas lâché le regard de Joseph et celui-ci semble déjà bien différent de toutes les personnes comme lui qu’il a pu croiser ; ceux qui sont agressifs tout de suite et qui portent une lueur dans leur regard qui fait froid dans le dos. Y’a un truc qui est différent chez Joseph, même si Eli n’est ni capable de réellement s’en rendre compte, ni de pointer ce que ça pourrait être. « J’essaye pas de te… » Il n’aura jamais l’occasion d’entendre la suite et fin de cette phrase, et pourtant, il la devine et n’en est pas surpris.

La scène se déroule au ralenti, et il semblerait que les substances n’aient pas encore atteint les terminaisons nerveuses du jeune Eli ; dont les réflexes ont encore la chance d’être intacts. Son pied posé sur l’objet de leurs désirs respectifs, le temps s’arrête et se suspend tout autour d’eux. Quand il relève enfin les yeux, chaque geste et chaque parole semble se décortiquer dans sa tête pour mieux faire sens de ce qu’il est en train de vivre. Sûrement l’adrénaline qui parle ; car il en est rempli. « Contente-toi d’ça, alors. [...] Et si c’est pas demain, ce s’ra après-demain. » C’est pas la première fois qu’il entend ces mots - sûrement qu’Evie a déjà tenté de lui faire entendre raison en martelant quelques vérités dures à entendre. La vérité la plus vraie qui soit, c’est que le besoin est devenu plus fort que tout ça, plus fort que la peur de crever d’un couteau mal planté, plus fort que l’idée de perdre tous ceux qu’il aime. C’est plus fort, c’est tout. Alors ça le fout en rogne qu’un pur inconnu - qui ne semble pas être tout blanc, ou au contraire un peu trop blanc poudré - lui fasse la morale comme s’il avait quatre ans et demi ; ça le saoule. « Et qu’est-ce que ça peut te foutre hein ? » qu’il demande alors, récoltant au passage quelques regards curieux. « T’as l’air de quoi à me faire la leçon alors que t’es exactement pareil ? » Joseph n’est plus aussi proche qu’il l’était auparavant, et sa voix se doit de porter sa colère jusqu’à lui. « J’suis con, t’es même pire que moi. » Qu’il crache, n’ayant toujours pas bougé de sa place ; il n’a pas le choix, ce qui se trouve en dessous de sa chaussure est trop précieux.

TW : mention de drogue + agression sexuelle

« Et qu’est-ce que ça peut te foutre hein ? » C’est une bonne question. La même que s’est posée Joseph quand il était seul au monde. À force de faire tourner les regards, il s’est demandé s’il avait une valeur comme les autres êtres humains. Il a commencé à croire que personne ne pleurerait sa mort, que la découverte de son cadavre dans les rues n’aurait inspiré qu’un fait divers dans les dernières pages du journal local. Un cas comme les autres qui n’a pas besoin d’être résolu ; car il ne s’agissait que d’un autre drogué, un moins que rien, un cas désespéré qui ne cherche, de toute façon, pas d’aide. Il a commencé à croire que tout ça était sa faute, que son père avait eu raison de le traiter de la sorte, que c’était à cause de lui si le prêtre l’aimait un peu trop. Que puisqu’il se laissait faire sans un mot, il devait apprécier ça au fond de lui, d’être un adulte avant l’heure.

Le gamin a levé le ton désormais. Quelques têtes se tournent vers eux, mais ce n’est que de la curiosité, pas un désir d’aider quoi que ce soit. C’est écrit dans leurs visages qu’ils sortent de la norme et qu’ils ne sont pas moulés à la société. C’est leur teint pâle qui les trahis, ainsi que les marques sur leurs corps. Personne n’a envie d’aider, et personne n’interviendra même si les voix s’haussent. « T’as l’air de quoi à me faire la leçon alors que t’es exactement pareil ? » Intrigué, il plisse le regard. « J’suis con, t’es même pire que moi. » Il contemple un silence un peu plus long, son expression faciale restant la même. Il ne montre aucune animosité, aucune pitié non plus. « Ça t’dérange, que quelqu’un puisse réellement s’soucier d’toi pas vrai ? » Il a l’habitude de se faire ignorer. Ses besoins passent après ceux des autres. Maintenant qu’un étranger lui montre un brin de sympathie, il se crispe, sort les crocs, comme un animal qui craint l’inconnu. C’est un réflexe normal, d’avoir peur de ce qui n’est jamais arrivé auparavant. Le gamin, quand il a peur, il attaque. Joseph prenait plutôt ses jambes à son cou, mais il en a déjà rencontré des dizaines, de type comme celui auquel il fait face. Il se croit seul au monde lui aussi, mais pas vraiment. Joseph aurait aimé qu’on lui dise ça quand il n’avait que son ombre avec laquelle discuter. L’espoir l’aurait permis de ne pas sombrer si profond. « T’es pas obligé d’gueuler, ou d’te défendre comme ça, j’ai pas l’intention de t’attaquer ou quoi, hein. » Marquant une pause, il s’assure que le passage piéton est allumé pour que la masse se distille un peu autour d’eux. « T’as dormi où la nuit dernière ? » Dans un parc ? Dans la cage d’escalier de la gare ?  

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février / 2010
dans la rue

L’idée que quelqu’un puisse s’intéresser de son sort ne lui passe même pas par la tête, encore moins de la part d’un parfait inconnu qu’il tentait de voler quelques minutes auparavant. Ouais, y’a rien de tout ça qui fait vraiment sens dans la tête d’Eli - et à juste titre ! Il n’est personne et si ces sœurs en ont parfois encore quelque chose à faire de ce qu’il peut devenir, il sait que chaque connerie de sa part les éloigne encore un peu plus. Et la vérité, c’est qu’il ne fait rien, strictement rien pour arrêter le cercle infernal dans lequel il se trouve. Pire, il ne fait qu’accélérer sa descente aux enfers. Il en est évidemment conscient mais ça ne signifie pas qu’il est prêt à mettre le frein. « Ça t’dérange, que quelqu’un puisse réellement s’soucier d’toi pas vrai ? » Eli fronce les sourcils, qu’est-ce qu’il en sait ce mec de ce qui peut bien lui passer par la tête quand lui-même n’est pas capable de mettre des mots sur ce qu’il ressent et sur les attitudes qui le guident dans la vie. « Tu m’connais pas. » qu’il répond sur la défensive. Il sent bien que ses protections sont en train de tomber, mais il refuse de le lui montrer. Un regard vers Joseph et ce qu’il croit deviner le fait chanceler ; il a l’impression de se voir en lui, passé de celui qui lui fait face, reflet d’un miroir futur. Est-ce le cas ? « T’es pas obligé d’gueuler, ou d’te défendre comme ça, j’ai pas l’intention de t’attaquer ou quoi, hein. » Et en fait, ça lui fait presque plus peur que l’idée d’être attaqué de plein front. Pourquoi est-ce que ce mec en a quelque chose foutre ? Pourquoi est-ce qu’il est différent ? N’aurait-il pas pu se contenter de lui en foutre une et de passer à autre chose ? « T’as dormi où la nuit dernière ? » Eli a les yeux d’une biche prise dans les phares d’une voiture, fuir semble difficile vu ce qui se cache sous sa chaussure ; et il est plus très sûr d’avoir envie de le faire, ses défenses s’épuisant peu à peu. « Canap’ d’un copain. » qu’il marmonne ; rien d’inquiétant là-dedans finalement, il a pu trouver un endroit où se poser pour la nuit, y’a pas à le plaindre. « Pourquoi tu fais ça ? » qu’il demande finalement, osant poser cette question qui lui brûle le cerveau. Qu’est-ce qu’il y gagne, qu’est-ce qu’il veut de lui ? Pourquoi ?

TW : mention de drogue

« Tu m’connais pas. » Non, en effet, Joseph n’a jamais vu ce gamin se promener dans les rues. Il se souviendrait de ce visage. De cette jeunesse perdue trop tôt. De cette attitude de requin dans un corps de sardine. Sauf qu’il préfère se tromper plutôt que de l’ignorer. Il aurait aimé qu’on essaye de le comprendre, qu’on ouvre la discussion, pour qu’enfin il cesse de se sentir seul au monde. En tout cas, il a misé juste en lui demandant quel endroit avait hébergé sa dernière nuit. Le canapé d’un copain, alors. Il n’a pas de maison, ou il ne veut pas y aller. Encore une fois, Joseph peut seulement projeter sa propre histoire, mais même si des morceaux du récit sont différents, la finalité semble la même : le gamin est à la rue, il est déjà addict à quelque chose qu’il peut seulement voler en se mettant en danger. La vie de Joseph avait pris la même tournure. « Pourquoi tu fais ça ? »

C’est une bonne question. Il pourrait continuer sa vie, faire son égoïste, prendre une photo du petit brigand et le rapporter à sa bande pour prévenir qu’une souris voleuse se glisse dans les poches. Mais il ne fait pas ça. Les sentiments qu’il lui évoque ne s’inspire pas dans l’animosité. Il peut le garder, le sachet de coke, si ça lui permet de vivre une journée de plus sans s’arracher la peau et les cheveux. Mais ça recommencera demain. « J’suis curieux, c’est tout. Tu vas pas m’en vouloir d’être curieux ? » Question rhétorique. Il n’attend pas sa réponse. « Écoute. Prends-le, l’sachet, j’m’en fiche. Mais si t’as l’intention d’faire ça souvent, j’pourrai pas t’laisser faire. Si tu savais que j’trainais ça dans ma poche, tu dois savoir d’où j’viens. J’suis pas seul, et moi c’pas un mensonge quand j’te dis ça. J’ai p’t’ête pas d’canif sur moi, mais c’est pas l’cas des autres, et vaut mieux être dans leur camp plutôt que d’faire le rat sur leur terrain. » Il marque une pause, se mord le bout de la langue en réfléchissant, reprend : « Arrête de t’cacher, okay ? Conseil d’un gamin flingué à un autre. » La lumière piétonne passe au vert. Cette fois, il entreprend de traverser, laissant le jeune avec son sachet. C’est tout ce qu’il désirait, de toute façon.        

@Eli Cash

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février / 2010
dans la rue

Il ne lui en veut pas, et il devine peu à peu les raisons de l’intérêt que Joseph lui porte ; lui aussi a bien commencé quelque part et il ne serait pas étonnant qu’il ait été le même genre de gamin perdu que lui, à ne pas savoir où aller et quel repas sera le prochain. C’est presque évident, même, que c’est de ça qu’il s’agit : une impression de voir dans le passé ou face à un miroir. Il entend les mots de Joseph, qui sont pas envoyés pour lui faire peur mais sûrement plus pour le prévenir du futur qui s’annonce s’il continue dans cette voie. « Arrête de t’cacher, okay ? Conseil d’un gamin flingué à un autre. » Il est même pas sûr de comprendre ce que le mec veut lui dire, mais il voit alors qu’il n’a pas baissé son armure pour rien, il voit au fond la lueur d’empathie que l’autre ressent pour lui et il comprend qu’il a eu de la chance. Ouais, aujourd’hui il a eu de la chance mais c’est pas dit que demain ça soit le cas, il le sait, il en est conscient mais que faire ? Quelle est l’autre voie et comment y accéder ? Le regard de Joseph se pose loin, et il part, laissant Eli sur le trottoir avec tellement de questions dans la tête qu’il sait même pas par quel bout il est censé prendre cette conversation.

Le sachet complètement oublié, il avance un pied, puis le deuxième et se lance bien vite à la poursuite - très rapide car Joseph n’a eu le temps de faire que quelques pas - du dealer. « Attends, attends ! » qu’il demande avant de se poster devant lui, posant une main près de son torse pour l’arrêter. « J’fais quoi moi hein ? » qu’il demande d’une voix qui trahit tout à coup l’âge du jeune homme ; car il n’a que 17 ans et il y a bien longtemps qu’il n’a pas eu l’occasion de vivre sa vie, et juste la sienne. Tout à coup, au milieu de cette rue, il est ce gamin perdu et sans défenses, se livrant au loup dans l’espoir que celui-ci soit sincère et ne lui arrache pas la tête. « C’est ça ma vie moi. » qu’il confie alors, dans un dernier élan de désespoir.

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Un sourire presque fraternel sépare le visage de Joseph en deux lorsque le gamin s’impose devant lui, en plein milieu de la rue, tandis que les secondes s’écoulent. Quinze. Quatorze… Treize… Le temps continue d’avancer, mais les deux garçons ne respectent aucune loi.    

« J’fais quoi moi hein ? »

Il baisse le nez pour regarder cette main posée sur son torse, et il bascule la tête afin d’apercevoir le sachet de poudre abandonné sur le trottoir. Il a fait un choix. Intéressant. Doucement, il vient accrocher le poignet du jeune pour rompre le contact. Il n’apprécie pas de se faire toucher, mais comment pouvait-il savoir ? Il ne va pas lui faire payer d’avoir enfreint la règle Keegan alors qu’il ne la connaissait pas. Rares sont les gens si peu tactiles. Il apprendra au fil du temps. « C’est ça ma vie moi. » « Je sais. » Il répond d’une voix plus douce, alors que les dernières secondes s’écoulent, et qu’une voiture se met à klaxonner pour qu’ils dégagent de la route. « Oublie pas ta came. J’crois qu’tu sais déjà à quel point ça fait mal de pas en avoir quand on en a besoin. » Il le contourne en envoyant un signe de la main on conducteur impatient, pour s’excuser du délai, et il dit seulement après avoir traversé la rue, assez fort pour que le gamin l’entende de l’autre côté du trafic : « Tu sais où me trouver si t’as besoin que j’te dise encore quoi faire ! » Son sourire s’est encore plus agrandi. Bien sûr qu’il sait où le trouver. Il est intelligent, sauf lorsqu’il glisse sa main dans les poches des inconnus qui pourraient être armés. D’un dernier signe du doigt, il le salue et tourne des talons, continuant sa route dans la soirée s’avançant, en ayant l’impression que ce ne sera pas la dernière fois qu’il verra le gamin dans les parages.

@Eli Cash