ghost of the past. (tyfael)

Depuis son arrivée à la tête de l’entreprise familiale, Rafael délègue beaucoup ses responsabilités au conseil d’administration. Il ne se sent pas la force de diriger, il ne se sent pas la force de continuer là où ses parents et son frère se sont arrêtés avant leurs décès. Cette période d’adaptation n’est pas facile, d’autant plus qu’il doit aussi apprendre à gérer sa nouvelle condition de tuteur légal. Il aime sa filleule, Sofia est l’amour de sa vie, mais il ne se sent pas près, être père, ce n’est pas pour lui ; pas encore du moins. Il n’a pas envie de tout cela, mais il n’a pas le choix, il ne pouvait pas tout laisser tomber, et tout ce poids lui tombe sur ses frêles épaules, plus rien n’a de sens à ses yeux. Tout ce qui lui reste, c’est la peine et ses amours perdues.

Alors il fait ce qu’il peut pour s’occuper, il s’occupe de ses parterres de fleurs, il lit beaucoup et vit une vie bohème comme il l’entend, simplement pour panser ses blessures encore à vif. Rafael aime avoir les mains dans la terre, il aime tailler les plantes et surtout il aime le plein air. Cette nouvelle vie… elle a au moins un avantage : il peut profiter des immenses vergers dans lesquels les employés de la cidrerie cueillent les pommes. C’est parfait, il peut au moins respirer, il peut souffler. Mais… il y a eu du changement ces derniers mois. Les papiers, quand il a regardé, un nom du passé qui revient. Une vieille bâtisse achetée et dans laquelle il y a du mouvement alors qu’elle était abandonnée depuis de nombreuses années.

Il a alors pris une décision précipitée, les coups de tête, il en a l’habitude. Rafael agit souvent avoir pris le temps de réfléchir. Idiotie, peut-être de trop. Mais ces derniers temps, c’est comme cela qu’il vit, sans penser aux conséquences à venir. Un crumble aux pommes, cliché, surtout pour la famille Casey, mais c’est tout ce qu’il a pu préparer pour les nouveaux venus du cottage. Cadeau de bienvenue. Il a alors pris le temps de marcher. Longuement, parce que ce n’est pas la porte à côté, mais conduire… il ne peut plus. Au volant, il pleure, il revoit le corps fracassé de son frère. La douleur est toujours présente, la peine qu’il a ressentie en prenant la décision de débrancher les machines qui le maintenaient en vie. Cette décision, il l’a mainte fois regrettée, mais c’était inévitable, ils ne pouvaient faire autrement. Et désormais, tout est en bordel dans sa tête. Alors agir normalement, aller accueillir ses nouveaux voisins, c’est agir normalement. Et la normalité, il en a terriblement besoin ces derniers temps.

Rafael arrive. Rafael regarde la bâtisse de loin. Il regarde et il angoisse. Pourquoi doit-il forcément faire tout ça ? Il n’en a aucune idée, mais c’est normal, et il doit agir normalement. Il regarde, il avance. Du bruit, c’est bon signe, et un véhicule garé, l’endroit n’est pas désert. Rafael avance encore, et il finit par aller sur le perron de la porte et tout ce qu’il trouve à faire, c’est rester devant, avec son putain de crumble aux pommes dans les mains, incertain de la marche à suivre. Qu’est-ce qu’agir normalement ? Il n’en a plus aucune idée. Il regarde la porte et elle est entrouverte. Il tape au montant pour s’annoncer.

— Allo ? Is there anybody here ? demande-t-il après avoir raclé sa gorge.

Il recule d’un pas, puis de deux, avec la furieuse envie de s’enfuir au loin, de rentrer à Sunhill, la maison de la famille. Tout ce dont il a besoin, c’est de ressentir à nouveau quelque chose et s’il peut le faire grâce à une nouvelle rencontre. Il ne sait pas ce dont il a besoin, et il veut juste faire bonne impression pour ses nouvelles personnes qui ont emménagé à côté de chez lui.

Le conseil d’administration était passé, tu pouvais enfin respirer. C’était un évènement récurrent que tu détestais autant que tu l’appréciais. Une manière pour toi de rendre hommage à ton père qui s’était tant investi dans cette entreprise qui ne t’intéressait pas. Tes aînés étaient bien assez impliqués pour la faire tourner, cela t’allait parfaitement de profiter des bénéfices réalisés. Même si tu commençais à t’habituer à ce rituel, il n’en restait pas moins éprouvant. Tu ne t’étais pas épargné, sortant jusqu’à pas d’heure la veille mais cela valait toujours le coup quand le regard exaspéré d’Audrey se posait sur toi. Tu avais donc joué ton rôle, celui du rejeton que tout le monde prend de haut dans la pièce parce qu’il n’a pas pris la peine d’enfiler un costume et de faire de grandes études. Tu sais pertinemment ce que ces peingouins pensent de toi et cela ne te dérange pas le moins du monde. Cependant, en sortant de la Maison Weatherton, tu ne peux t’empêcher de te sentir étouffé. Tu as l’impression que l’on t’a mis la tête sous l’eau, t’empêchant de l’en sortir … Dans ces cas-là, il n’y a qu’une chose à faire. De retour sur ton yacht, tu attrapes ton sac de voyage et tu y mets les tenues que tu réserves aux travaux. James mourrait s’il savait que tu acheais des habits de premier prix de temps en temps. A ses yeux, ce serait sans doute pire que de découvrir qu’au lieu d’être à Ibiza, tu étais simplement en train de rénover un cottage. Une fois le sac bien rempli, tu remontes dans ta Porsche décapotable prenant la direction de la campagne environnante. Ce qui est bien quand on ne travaille pas, c’est qu’on peut voyager en dehors des heures de bouchons.

Cela fait plusieurs semaines que tu n’es pas venu au cottage mais quand tu t’engages sur le chemin qui te mène au garage, tu respires. La batisse est magnifique, tu ne regrettes pas du tout ton investissement. Avant de garer ta Porsche dans le garage, tu sors la Jeep que tu utilises quand tu es ici et qui te permet de déplacer du matériel. Pour l’instant, tu as tout ce qu’il te faut pour revoir la plomberie et vérifier l’électricité. Quand il sera temps de passer à l’étape suivante, tu auras besoin de repartir t’équiper. Une fois dans la maison, tu montes dans l’une des chambres où tu retrouves ton sac de couchage et le matelas gonflable que tu utilises pendant les travaux. En quelques minutes, tu te changes, laissant derrière toi les habits qui te caractérisent en ville. Dans cette tenue de chantier, avec un t-shirt blanc simple et un vieux jean, tu es quasiment sûr que peu de personnes te reconnaitraient. Sans plus attendre, tu te mets au travail, laissant une musique classique douce retentir dans la pièce.

Tu ne sais pas depuis combien de temps tu travailles mais tu fronces les sourcils car il te semble entendre des coups frappés à la porte. Tu n’attends personne, tu as bien veillé à te déconnecter de tous les réseaux sociaux et tu as juste prévenu tes amis les plus proches que tu allais disparaître quelques jours. Poussant un soupir, tu t’essuies les mains avant de descendre les escaliers et d’entendre : « Allo ? Is there anybody here ? » Tes yeux se posent alors sur une personne dans l’entrée. Une personne qui tient un plat dans ses mains. Quand cette personne se tourne vers toi et que ton regard se pose sur son visage, c’est comme si tu étais projeté plus de dix ans en arrière. Ce visage, tu t’en souviens. Tu aurais dû l’oublier avec le temps, tu avais rencontré tellement de monde au fur et à mesure que tu avais égrainé les écoles de la ville. Mais ce visage, tu ne l’avais jamais oublié. « Well … Look what the cat dragged in. » Dis-tu avec un sourire en coin sur les lèvres. C’est plus fort que toi, les vieux réflexes qui reviennent à la charge. La surprise de le voir ici semble partagée ce qui te rassure, cela signifie que la présence de Rafael ici doit être une coïncidence, du moins tu l’espères. « What can I do for you Casey? » Tu t’arrêtes en face de lui et croises tes bras devant toi. Quand tu t’étais fait viré du lycée où vous étiez tous les deux, tu pensais réellement ne jamais le revoir. Contrairement à toi, Rafael avait été destiné à faire de grandes choses, du moins, de belles études. Tu ne savais pas qu’il était toujours à Bristol. Mais une chose n’avait pas changé, il était toujours aussi beau que lorsque vous étiez au lycée, plus peut-être car vous n’étiez plus des adolescents aujourd’hui.

Il attend longuement en étant devant cette porte, hésitant à reculer encore plus, à fuir même. Mais il ne pourra pas aller bien loin, et ce serait un énorme manque de respect si ses nouveaux voisins le voient courir au loin. Alors… il prend son mal en patience. Il n’est pas du genre timide en règle générale, mais son instinct lui hurle que c’est une mauvaise idée. Peut-être qu’il n’aurait pas dû venir, mais il est trop tard pour faire demi-tour.

La porte d’entrée s’ouvre et il a l’impression que son cœur s’arrête, voire même que son organisme au grand complet a décidé de faire grève. Pire qu’une descente d’organes, il a l’impression de mourir en le regardant. Un fantôme de son passé. Et il a l’air d’une vraie cloche avec son foutu crumble. Et quand il voit l’autre sourire, il replonge au lycée, quand l’autre venait l’embêter et que tout le monde regardait en retenant son souffle.

— Well … Look what the cat dragged in.

—  Fuck, qu’il souffle dans un gémissement inaudible. Yo John Doe.

Ouais, il se fou de sa gueule. Il peut, il se venge un peu de ces années qu’ils ont vécues ensemble, mais ce ne serait pas assez, pas assez pour qu’il se rende compte de ce qu’il a pu lui faire vivre. Tybalt était un connard avec lui. Il ne le brimait pas réellement, mais il refusait d’admettre qu’on lui dise non, et Rafael était le seul qui le faisait. Alors c’était son défi personnel, le faire ployer et il n’a jamais courbé l’échine.

— What can I do for you Casey ?

— I don’t know. You could tell me what the hell you’re doing in this house. And with the… garbages you’re wearing.

Putain, mais qu’est-ce qu’il fou là ? En prime, il a son dessert dans les mains, tendues face à lui. Il a l’air d’un crétin, et il a l’impression d’être à nouveau au lycée quand l’autre le martyrisait. Et le pire, c’est que malgré tout ça à l’époque il en pinçait pour lui. Comment a-t-il pu ressentir ça ? Et quand il le revoit, il a l’impression que rien n’a changé du tout.

— I just wanted to introduce myself to my new neighbors, but clearly, if this is about reliving the school, I don’t need it.

C’est vrai, avec les deuils, avec les responsabilités de son nouveau travail et son job de père de substitution… Il n’a pas le temps avec des conneries de gamins à peine pubères. Rafael a Sofia, est directeur d’une entreprise qui exporte ses produits dans le monde entier. Il ne peut pas se permettre de perdre du temps avec Weatherton.

— Especially after all the disasters in my live. But anyway. I made you a crumble. Well… not for you, but for my new neighbors.

Il lui tend alors le plat avec un sourire timide, incapable de le regarder réellement. Les vieux réflexes ont la vie dure. A l’époque, il ne pouvait pas lever les yeux, il répondait en courbant le dos. De l’eau a coulé sous les ponts, et ils ont vieilli, alors il finit par les lever ses yeux, et quand ils croisent les siens… c’est comme si ça n’avait pas changé. Il redevient le jeune homme qui ne pouvait pas faire un geste, qui n’arrivait pas à parler.

Rafael regarde Tybalt mais son cœur est comme comprimé dans un étau et il ne sait pas ce qu’il ressent en étant à ses côtés.  Peur, joie et et incompréhension se mélangent, tandis qu’il y a cette petite douleur résiduelle qui vient lui percer l’estomac. Ce n’est pas ce qu’il avait envisagé, pas du tout d’ailleurs, mais maintenant qu’ils y sont… autant y aller jusqu’au bout.

Il paraît que le passé finit toujours par venir frapper à votre porte. C’était un concept que tu avais toujours trouvé ridicule mais tu commençais à te poser des questions. Déjà parce que ta mère pensait qu’elle avait le droit de reprendre contact avec toi après des années de silence, un peu comme si de rien n’était. Et maintenant, parce que Rafael Casey se trouvait devant la porte de ton cottage avec ce qui ressemblait, à première vue, à un crumble. Très sincèrement, tu ne pensais pas que vos chemins se recroiseraient un jour. Pas parce que tu avais essayé de l’éviter, juste parce que déjà au lycée, vos vies et vos trajectoires étaient opposées. Donc il ne restait qu’une explication possible, la vie vous jouait un mauvais tour. « Fuck. » Une chose te rassure, il ne semblait pas s’attendre à te trouver derrière la porte. Et il ne semble pas être ravi de l’expérience. Tu ne peux pas complètement le blâmer, tu n’as pas été le meilleur des camarades à l’époque. La moitié du lycée passait son temps à lui faire des remarques sur son orientation sexuelle et tu en rajoutais, juste pour le plaisir de le voir te tenir tête. « Yo John Doe. » Ton sourire en coin ne quitta pas tes lèvres. La répartie de Rafael était ce qui t’avait attiré avant toute chose. Personne ne te tenait tête, pas à la maison, pas dans ton entourage, personne. A part lui bien entendu. Même s’il voulait prétendre le contraire, tu savais très bien qu’il t’avait reconnu, c’était écrit dans son regard. Au lieu de le lui faire remarquer, tu préférais lui demander ce qu’il faisait là. « I don’t know. You could tell me what the hell you’re doing in this house. And with the… garbages you’re wearing. » Qu’il ne soit pas ravi de retomber sur toi, c’était tout à fait normal. Et il avait raison, les vêtement que tu portais étaient bien loin des pièces de designers que tu t’évertuais à porter tous les jours. La plupart dessinés par ton aîné d’ailleurs. Mais là, ce n’était pas ce dont tu avais besoin. « I own this house. It was crumbling down and I needed a project. The structure is great so I am renovating it. » Rafael est la seule personne encore vivante à avoir ces informations. Bien sûr, il est loin de s’en douter mais tu n’as parlé de ce projet à personne. C’est ton jardin secret, la petite partie de toi qui vaut la peine d’être connue mais que tu préfères garder pour toi. « And I am not dumb enough to wear designer close for that. » Ton frère ne te pardonnerait jamais que tu fasses une chose pareille. Les pièces cousues main avec ses minions dans son atelier sont précieuses, tu respectes au moins ça.

Le visage de Rafael se durcit alors qu’il finit par répondre à ta question, désignant le plat qu’il a entre les mains. « I just wanted to introduce myself to my new neighbors, but clearly, if this is about reliving the school, I don’t need it. Especially after all the disasters in my live. But anyway. I made you a crumble. Well… not for you, but for my new neighbors. » Cette fois, c’est toi qui fronces les sourcils. Tu te souviens de Rafael au lycée, tu l’observais de loin quand tu n’étais pas son bourreau. Tu reconnais les signes, les murs qu’il essaie de mettre pour ne pas se faire attaquer. Ce n’est pas souvent que tu regrettes ton comportement mais à cet instant précis, c’est bien le cas. Il te faut un peu de temps pour lire derrière les paroles qu’il prononce. Voisins ? Sur la parcelle à côté de la tienne se tient la cidrerie à laquelle tu avais donné de l’argent des années plus tôt mais qu’est-ce que Rafael faisait là-bas ? Tes yeux s’écarquillèrent d’eux-mêmes. Miguel Casey, c’était ça le nom du propriétaire que tu avais rencontré. Oh shit … Tu étais tombé sur l’article dans les journaux, sur cet accident de voiture tragique à côté de tes dernières photos de soirées. Il ne t’avait pas pris de haut Miguel, c’était quelque chose que peu de personnes faisaient et qui te l’avait tout de suite rendu sympathique. « I am your new neighbor so I’ll take the crumble. » Commenças-tu par dire avant de récupérer le plat. La maison était quasiment vide. Tu y avais installé un canapé de fortune et une table et de vieilles chaises dans la cuisine. Les travaux allait tout abimer et salir de toute manière. « Would you like to stay and have some of it with me? » Tu ne sais pas vraiment pourquoi tu lances cette invitation. C’est sans doute la dernière chose dont a envie Rafael. Mais tu ne peux pas t’en empêcher parce que sur son visage, tu lis une détresse que tu ne sais pas interpréter. « I promess to be on my best behavior. Some people say I have matured over the past ten years. » Personne ne dit ça, réellement personne mais bon, il n’est pas obligé de le savoir et puis c’est une main tendue. Tu as bien conscience que Rafael avait pour habitude de te dire non, il y avait une partie de toi qui espérait qu’il accepterait cette fois. Une manière de plus de briser les vieilles habitudes, si c’était ce qu’il désirait.

Une fois la surprise passée, l’incompréhension débarque sans crier gare et bouleverse entièrement. Rafael se retrouve comme un idiot, incapable de voir l’évidence, de savoir ce qui se trame sous ses yeux. L’univers est une grande pièce de théâtre, c’est une théorie qui lui revient à l’esprit ; mais alors c’est une très mauvaise farce, et il déteste le fait d’en être le dindon. On lui envoie un message, mais il ignore encore lequel, et surtout ce qu’il doit en faire. Accepter le retour d’une personne de son passé dans son présent chaotique ou alors fuir pour ne pas réitérer les erreurs du passé ? Ce qui est sûr, c’est qu’il n’est pas en état de subir à nouveau moqueries et joutes verbales endiablées. D’autant plus qu’il a grandi et qu’il espère en avoir terminé avec toutes ces idioties d’adolescents à peine pubères.

Seulement, maintenant qu’il sait que Tybalt rénove cet endroit, il commence à se sentir mal à l’aise. C’est vrai que ça vaut le coup d’œil, cette bâtisse est un joyau, et le fait qu’il veuille la rénover, c’est quelque chose de bien, un bon projet. Pourtant, au fond de lui, Rafael est surpris, parce qu’il n’imagine pas une seule seconde l’ancien Tybalt pouvoir avoir envie de faire lui-même des travaux. Surprise, mais pas dans le mauvais sens du terme. Chacun cultive ses secrets, et celui-ci est étonnant, et il ne sait toujours pas quoi faire de cette information, ni comment la traiter.

Alors il explique lui aussi pourquoi il est venu, et glisse aussi le fait qu’il n’ait pas envie de recommencer comme lorsqu’ils avaient seize ou dix-sept ans. Le Casey a vécu suffisamment de drames ces dernières années voire derniers mois pour que sa vie redevienne un chaos sans nom. Le harcèlement vécu, les brimades et les réflexions, très peu pour lui. Tybalt ne le harcelait pas, mais il participait à un inconfort perpétuel qu’il ressentait à cet âge-ci.

— I am your new neighbor so I’ll take the crumble.

Tybalt attrape le plat en verre et Rafael commence à enfin comprendre que son nouveau quotidien rimera avec Weatherton. Et il ne sait pas ce que cela va impliquer à l’avenir, ni d’ailleurs ce que cette information doit lui faire ressentir.

— Would you like to stay and have some of it with me?

Ça aussi c’est étrange. Depuis quand Tybalt est une personne agréable comme cela ? Il n’a jamais été du genre gentil, plutôt le mec qui prend ce dont il a envie, et qui emmerde les autres parce qu’il en a le droit. Et cette surprise doit se voir sur son visage, peut-être est-ce une bonne chose au final que de le croiser à nouveau.

— I promess to be on my best behavior. Some people say I have matured over the past ten years.

Il veut bien le croire. En dix ans, il a dû devenir plus sympathique. Mais dans quelle mesure peut-il donner foi à ses propos, il n’en a aucune idée. Tout ce qu’il peut faire, c’est peut-être oser lui faire à nouveau confiance et voir où tout cela le mènera.

— OK. Let’s have a bite of the crumble.

Il se surprend à lui répondre ainsi. Jamais il n’aurait envisagé une chose pareille quand il était adolescent, parce qu’il est vrai qu’il a besoin de se changer les idées, parce qu’il est vrai qu’il est curieux de voir les changements opérés chez l’autre, parce qu’il est vrai qu’à une époque il y avait cette attirance interdite entre eux. Pour toutes ces raisons, il accepte d’entrer et de manger un morceau avec lui.

— I never seen this house occupied, you know, and yet I’ve lived in Sunhill since I was a child.

Cette maison a toujours été en ruines. Et quand il était gosse, il parcourait les grands vergers de la famille pour aller l’observer et il imaginait qu’elle était hantée avec son frère et sa sœur. L’esprit prolifique enfantin pouvait imaginer de ces bêtises. Cette période lui manque terriblement, celle où ils étaient tous les trois. Mais il ne doit pas y penser maintenant, il n’a pas envie de vivre un de ces moments de nostalgie qui lui arrachent des larmes.

Alors pour éviter tout ça, il le regarde, il regarde Tybalt, et il le regarde réellement. Comme si tout devait se résumer à lui. Et il n’a pas vraiment changé, toujours ce petit grain de beauté au-dessus de sa lèvre, toujours ces yeux marrons hypnotisants. Si, il s’est musclé, et surtout il a l’air… différent. Tybalt a toujours ce petit air suffisant, mais désormais, il ne sait pas trop si cela correspond à ce qu’il était avant. Et il fixe aussi des détails qu’il n’avait jamais envisagés comme… attirants ; ses lèvres par exemple, la courbure de son nez, et… il finit par se reprendre et lui sourire, peut-être pas de façon éclatante, mais cela fait bien longtemps qu’il n’avait songé à lui, et le retrouver est assez particulier.

L’idée de mentir à Rafael quant à ta présence ici ne t’avait pas traversé l’esprit. Il habitait la propriété d’à côté, il y avait fort peu de chances que vos chemins ne se recroisent plus par la suite. Si vous ne vous étiez pas rencontrés jusqu’ici, c’était certainement parce que tu n’avais pas beaucoup mis les pieds au cottage depuis la mort de ton père en début d’année. Traumatisme encore bien présent, une blessure que tu partageais avec ton interlocuteur même s’il ne devait pas s’en souvenir. Tu doutais que ton ancien camarade fasse parti des personnes ayant retenu le décès de ton paternel. Et tu ne lui en voulais pas, malgré la couverture médiatique, celui faisait déjà plus de neuf mois. Alors au lieu de nier, tu assumes. Tu vas rénover cette maison, selon les plans que tu as dessiné et validés avec ton père. C’est un projet qui va t’occuper un long moment vu que tu ne comptes pas faire intervenir beaucoup d’artisans pour cette rénovation. Le plus gros a déjà été effectué, le toit et la façade ont été rénovés. Un menuisier est en train de préparer de nouvelles fenêtres également, vous les poserez tous les deux. Rafael accepte tes paroles sans rien dire. Il est étonné, tu le lis sur son visage et il se demande sans doute si tu es en train de lui faire une blague. Pour continuer sur ton comportement inhabituel, tu lui proposes de rester et de manger un peu de son crumble avec toi. Il hésite, c’est évident mais il finit par accepter, surprit lui-même de cette situation. « OK. Let’s have a bite of the crumble. » Un sourire triomphant se dessine sur tes lèvres et tu lui tournes le dos pour prendre la direction de la cuisine. C’est une pièce quasiment vite, seuls trônent encore ici les meubles laissés à l’abandon depuis des années. Mais il y a la petite table de camping que tu y as installée ainsi que la boîte contenant les essentiels. Une fois que le crumble est posé sur la table, tu y attrapes deux cuillères en plastique. « I never seen this house occupied, you know, and yet I’ve lived in Sunhill since I was a child. » Information supplémentaire sur Rafael, il avait grandi sur la propriété voisine. Cela ne devrait pas te surprendre, il avait dû grandir sur la cidrerie familiale. Tout comme tu avais grandi dans l’entreprise familiale, un autre point commun sur lequel tu ne t’étais jamais arrêté. « I’m not sure I can say that I am occupying it as I am here a couple of days a month. » Tu aimerais y rester plus par moment mais ta vie à Bristol n’était jamais loin et te rappelait à l’ordre. Les obligations auprès des potes mais surtout auprès de l’entreprise familiale avec qui tu avais une relation amour/haine. Et puis, il n’y avait vraiment aucun confort ici, après plus d’une semaine, cela commençait à se sentir. « As you can see, it’s quite empty for now. This is why you will have to do with a plastic spoon. » Tu lui tendis l’objet avant de t’installer sur une des chaises à disposition, invitant Rafael à en faire de même. Ne perdant pas une seconde, tu goûtais le crumble qui était délicieux. Tu laissais échapper un grognement d’appréciation avant de dire : « It’s very good. Probably the best thing I’ll eat this week. » Il allait falloir que tu achètes un frigo, même d’à point pour que ta cuisinière puisse te préparer un peu à manger. Tu n’avais vraiment pas grand chose ici pour l’instant. « To return the favor, I can send you an invite to my next party if that’s of any interest to you. » L’idée de voir Rafael au milieu du monde dans lequel tu évoluais habituellement t’intriguait énormément. Et puis ces invitations s’arrachaient pour les connaisseurs mais vu le regard de Rafael, tu doutais qu’il soit de ceux-là. « People usually have a lot of fun, it’s on my yacht, you’ll find it more comfortable than here. » Si vous restiez assis sur ces chaises encore longtemps, vous alliez vous casser le dos. Heureusement, vous aviez encore un peu de marge. Très content d’avoir le crumble devant toi, tu continuais à en prendre quelques bouchées. « So, what’s up with you Casey? What are you up to these days mister First of the class? » Vous ne pouviez pas être plus opposés à l’époque et tu prononçais cette fin de phrase sur un ton taquin. Tu espérais que Rafael ne le prendrait pas mal, ce n’était pas pour te moquer, c’était plus pour le taquiner, un équilibre impossible lorsque vous étiez adolescents.

Perdu dans les méandres des souvenirs de son adolescence, perdu dans un présent qu’il peine également à déchiffrer. Rafe est étonné de retrouver son ancien camarade de classe avec qui il se disputait beaucoup tout en ayant un béguin inavoué pour lui. Il espérait sincèrement à l’époque, avant d’être déçu de le voir partir, exclu de l’établissement scolaire. Bien sûr qu’il aurait pu tout tenter pour le retrouver, mais ce n’était pas… il a pu enfin goûter la tranquillité par la suite et ça l’a changé, peut-être pour le meilleur d’ailleurs. En tout cas, malgré l’incompréhension, la curiosité est plus forte et il veut comprendre, il veut le découvrir, le redécouvrir serait plus honnête. Tybalt maintenant est son voisin, peut-être pas tout le temps, peut-être qu’il finira par vendre le cottage un jour ou l’autre.

Et de l’intérieur, l’endroit est encore plus étrange que l’extérieur, et pouvoir mettre des images réelles à la place de faux souvenirs imaginés avec cet esprit enfantin. La structure a été refaite, et il y a de belles idées.

— I’m not sure I can say that I am occupying it as I am here a couple of days a month.

Il comprend bien sûr. Tybalt est toujours membre de l’entreprise de ses parents, et il l’a bien vu en trouvant les papiers que Miguel avait signés avec lui. Alors forcément, rénover une maison, ce ne peut être qu’un loisir. Mais seulement, il doit admettre qu’il ne connaît pas vraiment Tybalt, et il ne sait pas… du moins, il sait comment il était avant, mais a-t-il vraiment changé ? Il n’en mettrait pas sa main à couper en tout cas.

— As you can see, it’s quite empty for now. This is why you will have to do with a plastic spoon.

— Don’t worry, it will be okay.

Il a déjà connu bien pire. Ce ne sont pas des chaises de camping et des cuillers en plastique qui vont l’effrayer. Il s’assied en même temps que son hôte avant de prendre une assiette tendue. Les pommes du jardin sont excellentes et surtout permettent de faire de merveilleux desserts en plus du cidre qui fait la fortune familiale.

— It’s very good. Probably the best thing I’ll eat this week.[/color]

Il sourit, heureux de voir que ça lui plaît. Il s’est donné du mal pour le préparer. Ce n’était pas un cordon bleu il y a encore quelques mois. Il a du tout apprendre sur le tas, afin de nourrir sa nièce, parce que c’est ça sa vie maintenant.

— To return the favor, I can send you an invite to my next party if that’s of any interest to you.

— Wow… oh, okay, why not, qu’il répond tout en terminant de mâcher sa bouchée de crumble. And thank you for the compliment on my dessert.

Le truc, c’est qu’il ne sait pas s’il ira à cette fête. L’idée de se mêler à des gens de l’envergure de Tybalt… ça ne l’intéresse pas. Seulement, il a besoin de se changer les idées, et pouvoir s’évader d’un quotidien qui l’étouffe, ça pourrait être une bonne idée. Mais ce n’est pas le moment d’y songer vraiment.

— People usually have a lot of fun, it’s on my yacht, you’ll find it more comfortable than here.

Oui, ça, il veut bien le croire. Le confort lors de travaux n’est pas optimum. Mais ce n’est rien. Il peut s’en accommoder le temps qu’il restera ici, et ce ne sera pas un long moment. Il repose délicatement l’assiette sur la table, attrapant son téléphone qu’il sent vibrer dans sa poche, un message d’un membre du conseil.

— So, what’s up with you Casey ? What are you up to these days mister First of the class ?

Le sourire qu’il voit sur le visage de Tybalt n’est pas celui dont il se souvient. Ce n’est pas pour se moquer, ce n’est pas pour blesser, c’est un rictus malicieux, taquin ; et il lève les yeux au ciel.

— You know… after the death of my brother and of his wife… I become the new CEO of the Cider Casey. I left my job as an illustrator. I hate this… but I can’t abandon the family business.

Il se livre trop facilement, mais en fait ce n’est pas grave. Il n’a pas envie d’avoir à cacher des choses, et tout ça a été dit dans les journaux il y a plusieurs mois, et forcément qu’il sait. Tybalt se tient toujours au courant de tout, surtout qu’apparemment il était dans les papiers de l’entreprise Casey. Il savait alors. Il n’y a que Rafael qui était complètement à la masse. Bien qu’il avait également vu que le père de Tybalt était décédé. Mais il ne se voit pas lui présenter ses condoléances, pas après autant de temps et il ne sait d’ailleurs pas comment le faire, et il a horreur qu’on lui dise qu’on est désolé pour la mort de son frère à lui. Et il n’ose pas parler de Sofia, du fait qu’il est devenu son tuteur, il préfère le garder pour lui, et il n’a aucune idée de la raison du pourquoi. Alors il se tait, et il préfère aborder d’autres sujets.

— And you ? What happened to the school bully ?

Il taquine lui aussi. Il a toujours répondu à Tybalt, et malgré les années ça n’a pas changé. Rafe est toujours le même malgré tout ce qu’il a vécu. Il n’a pas sa langue dans sa poche, il agit avec son cœur et ses émotions. Il sourit, il le regarde et pour éviter de continuer à le fixer comme tout à l’heure, il reprend son assiette pour continuer à manger, au moins il s’occupe les mains et évite de trop réfléchir, de toujours tout intellectualiser.

Elles sont rares les situations où tu ne sais pas sur quel pied danser. Tu considères généralement que tu ne peux jamais vraiment mal faire et que tu as ta place dans toute situation ou discussion. Certains considèrent que tu as un aplomb sans limite, tu préfères penser que tu es assuré et charismatique. Ne jamais laisser paraître de faille, c’est certainement l’une des rares leçons que tu avais appris de tes aînés. Mais avec Rafael c’était différent. Elles étaient rares les personnes du passé qui ressurgissaient brusquement dans ta vie. Soit les personnes n’en partaient pas, soit elles n’y revenaient pas. La vie semblait cependant décidée à te jouer un drôle de tour. D’où le fait que tu ne savais pas réellement sur quel pied danser. Il était toutefois hors de question que tu laisses voir cela à l’homme en face de toi. Après lui avoir expliqué que tu ne seras pas le voisin le plus présent qu’il pourrait avoir, tu lui tendis une cuillère en plastique, t’excusant du service. « Don’t worry, it will be okay. » Tu hoches la tête, ravi que Rafael ne fasse pas un petit commentaire à ce sujet. En même temps, qui aurait de l’argenterie dans une maison en pleins travaux ? Penser à l’argenterie te fait te projeter et tu ne peux t’empêcher de te demander si tu habiteras un jour dans ce cottage. Peut-être … Le calme qui y règne te donne le répis parfait du brouhaha de Bristol. Parce que tu n’as pas envie d’être redevable à ton nouveau voisin, tu lui proposes une invitation à ta prochaine fête. Tu n’as jamais vu Rafael dans une fête car tu ne comptes pas les évènements pompeux de votre lycée de l’époque. Il n’avait jamais pointé le bout de son nez dans les fêtes clandestines que tu organisais, un regret que tu n’avais jamais réellement assumé. « Wow… oh, okay, why not. And thank you for the compliment on my dessert. » Ce n’est pas un oui mais ce n’est pas un non. La graine est plantée dans l’esprit de ton interlocuteur, tu espérais que recevoir l’invitation sera le truc qui le déciderait à venir. Tu ne savais pas vraiment l’expliquer mais tu avais soudain vraiment envie qu’il vienne et c’est pourquoi tu te retrouvais à lui expliquer qu’il ne devait pas manquer ça. Pathétique vraiment, ce n’est qu’en t’entendant que tu le réalisais. Mais il y avait quelque chose chez Rafael qui te destabilisait et cela n’avait apparemment pas changé. Décidant de changer de sujet de conversation, tu lui demandais de ses nouvelles. Après tout, cela faisait plus de dix ans que vous ne vous étiez pas vus, la vie ne s’était pas arrêtée entre temps. « You know… after the death of my brother and of his wife… I become the new CEO of the Cider Casey. I left my job as an illustrator. I hate this… but I can’t abandon the family business. » La surprise est sans doute écrite sur ton visage. Tu ne t’attendais pas du tout à ce qu’il te partage ce genre de considération. Il y avait tellement de choses dans cette petite phrase que tu ne savais pas par où prendre la chose. Décidément, les entreprises familiales c’était quelque chose de compliqué … Dans ton cas, tu restais purement pour faire chier ta soeur qui serait ravie que tu disparaisses. Et aussi un peu parce que ton père avait demandé que tu sièges au conseil d’admiistration donc tu pouvais faire ça pour lui. Puis qui sait ? Tu auras peut-être une idée lumineuse un jour qui surprendra tout le monde. « Why not? » Ne pus-tu t’empêcher de lui demander. S’il détestait cette entreprise et qu’il subissait ce rôle de CEO, n’y avait-il pas une autre manière de faire les chose. « I mean, I unerstand the pressure of a family business but it should not come at the cost of your happiness. Nobody else could take over? » La pression familiale tu connaissais et pourtant, tu t’étais toujours construit avec une seule ligne directrice. Faire ce que toi tu voulais, quand tu le voulais et du moment que cela te rendait heureux. Ce n’était pas aussi simple bien sûr mais faire des études ne t’avait jamais intéressé et rejoindre les rangs de la Maison Weatherton non plus. Par contre, c’était une véritable passion pour tes aînés, ils étaient ravis de ce qu’ils faisaient, tu en étais certain. « But it seems like the doddles paied off. » Dis-tu pour le taquiner. « What did you illustrate? » Contrairement à ce que pensent les gens, tu n’es pas narcissique au point de ne pas t’intéresser aux autres. La curiosité dont tu as fait preuve semble toucher Rafael qui te demande : « And you ? What happened to the school bully ? » Un sourire en coin se dessine sur tes lèvres. Tu ne peux pas lui en vouloir, tu avais entretenu une forme de harcèlement scoalire pour tout un tas de gens quand tu étais ado. Tu espérais que tu t’étais un peu racheté en grandissant et en évoluant. « Nothing much. I live on the money my father left me and the company brings me with my shares. I spend my time planning the best parties in Bristol and going out with my friends. If you need a club recommendation, let me know. » Tu ajoutais un clin d’oeil pour faire bonne mesure. Et puis tu fis un geste de la main, montrant cette maison qui vous entoure. « And when I get enough, usuall after a board meeting, I spend a couple of days here renovating this old lady. » Tu ne sais pas ce que Rafael pensera de ton mode de vie, probablement que tu perds ton temps et que tu ne fais rien de productif, comme ton frère et ta soeur. Mais cela te convient très bien. Et au moins, Rafael a la preuve que tu n’es pas totalement bon à rien, tu es capable de rénover une maison ce qui n’est pas donné à tout le monde.

En fait, Rafael ne sait pas pourquoi il se confie autant à son ancien harceleur. Peut-être parce qu’il se dit que l’autre a changé, parce que de l’eau a coulé sous les ponts et qu’il ne peut pas être resté l’enfoiré condescendant qu’il était quand ils étaient tous deux adolescents. Seulement, il ne sait pas à quel point il peut lui faire confiance, à quel point il peut lui confier les affres de sa vie à cœur ouvert. Mais une réserve persiste, il ne lui parle pas de Sofia, du fait qu’il soit le responsable de la vie d’une enfant, parce qu’il est en quelque sorte devenu son père, ou du moins son tuteur légal. Il imagine que cela passerait mal, lui qui était si individualiste, Tybalt a toujours été du genre à penser à sa tronche avant celle des autres et il ne comprendrait pas.

— Why not ? I mean, I unerstand the pressure of a family business but it should not come at the cost of your happiness. Nobody else could take over ?

Il comprend ce qu’il veut dire, le bonheur personnel devrait passer avant, on ne devrait pas s’enfermer dans une situation infernale, faire passer son bien être avant tout devrait être la priorité. Mais… c’est impossible dans son cas précis, pour la simple et bonne raison que même s’il n’est pas taillé pour être le CEO, il aime l’entreprise de la famille, et il serait également malheureux de la voir couler alors qu’il pouvait agir. Cercle vicieux, serpent qui se mord la queue.

— My sister could, but… it seems she doesn’t want to. And she’s so childish.

Et ça ne passerait pas auprès du conseil, pas après ses frasques récentes. Rafe est donc tout désigné, que ça lui plaise ou non.

— But it seems like the doddles paied off.

Il rit doucement en l’entendant dire ça. Et puis vint une interrogation. Depuis quand il lui fait des compliments ? Et encore plus étrange, pourquoi ça lui procure de doux papillons dans l’estomac et lui donne un pincement au cœur ? Il ne peut pas analyser ça, pas maintenant, pas devant lui. Il tente de garder contenance, comme il le peut.

— What did you illustrate ? finit-il par demander, comme si la réponse l’intéressait vraiment. Le fait de devenir adulte aurait-il réellement changé Tybalt ? Il ne sait pas, il n’a aucune réponse, mais ce qu’il voit commence à lui donner l’impression qu’il est un homme moins égocentrique et égoïste.

— Some fantasy books or even children albums. It depends of the demand.

Mais comme parler de lui le dérange, comme il n’a pas envie de trop s’ouvrir, par peur d’être à nouveau blessé, ou trahi, il préfère déraper sur un autre sujet, un sujet qui normalement plaît à Tybalt, lui-même. Cette personne égotiste a-t-elle réellement changé ?

— Nothing much. I live on the money my father left me and the company brings me with my shares. I spend my time planning the best parties in Bristol and going out with my friends. If you need a club recommendation, let me know.

Le clin d’oeil doit être la cerise sur le gâteau du moment gênant. Rafael n’a jamais été du genre à aller en boite de nuit ou à des soirées de débauche ou de beuverie ; ça ne l’a jamais intéressé et ça, Tybalt le savait, mais comme lui semble avoir changé, peut-être qu’il se dit pareil sur l’hispanique. Il n’en a aucune idée et il est complètement perdu. Cependant, il voit qu’ils sont plus ou moins dans la même situation concernant le plan professionnel, et il n’a aucune idée de la façon doit il doit traiter cette information, surtout qu’ils seront probablement amenés à se revoir dans le futur pour la cidrerie Casey. Foutu destin.

— And when I get enough, usuall after a board meeting, I spend a couple of days here renovating this old lady.

C’est sûrement ça le plus étrange. Jamais il ne l’aurait imaginé passer du temps à se salir les mains, à suer à grosses gouttes pour rénover une maison. Il l’imagine toujours avec une coupe de champagne ou de cidre, à rire et danser dans des valses frénétiques voire sensuelles avec des inconnu·e·s. Rafe se rend compte qu’il ne sait pas grand-chose à propos de Tybalt et que ce qu’il imaginait est peut-être tout bonnement erroné.

— I can’t imagine you with dirty hands. But I guess people change when they get older.

Lui-même a changé, pas forcément qu’en bien, mais il ose espérer être devenu une personne dont ses parents seraient fiers. Toujours est-il qu’il ne sait pas trop où se mettre, ni quoi faire ou dire avec son vis-à-vis. Il se gratte l’arrière de la nuque, geste qu’il fait souvent lorsqu’il sent la gêne monter.

— You have a lot of work with this house. Are you doing this on your own ?

Impressionné ? Sûrement un peu, bien qu’il n’osera jamais l’admettre devant lui. La fierté l’empêche de se rabaisser, de montrer une faille à quelqu’un qui le « martyrisait » quand ils étaient plus jeunes. Martyriser est probablement trop fort comme terme, il le sait bien, mais à l’époque c’est ce qu’il ressentait, avec du recul, le mot ne convient pas, disons qu’il l’embêtait, mais jamais à outrance, tout ce qu’il voulait c’était le tirer de sa zone de confort. Seulement, quand on ne se sent pas bien, même une simple pichenette peut devenir un coup de poing émotionnel.

— You know, I never thought I'd see you again. When I saw your name on the company paperwork, I knew I hadn't finished with you. Et ça m’a plu, aurait-il pu ajouter, mais son amour propre lui interdit de le faire. La première fois qu’il a revu le nom Weatherton accompagné du prénom Tybalt, il avait cru faire une attaque, puis les souvenirs sont revenus, les douces palpitations, les rêves parfois érotiques qu’il ne s’avouait pas. Il savait que rien de tout cela ne serait vrai un jour, après tout, ils sont censés se détester. Pourtant, au fond de lui sommeillait toujours cette petite étincelle d’un béguin qu’il aurait préféré étouffer depuis bien longtemps. And here we are, together again.

Foutu destin, il se fou de leurs gueules, comme d’habitude dans son cas personnel.

Faire quelque chose que tu n’avais pas envie de faire, c’était vraiment quelque chose à l’opposé de la manière dont tu avais toujours fonctionné. Quand tu étais encore un mioche, que tu voulais impressionner tout le monde et faire tes preuves, tu avais essayé pourtant. Mais aucun de tes efforts n’avait payé alors tu avais décidé d’arrêter d’essayer de faire ce que les autres attendaient de toi et de te concentrer sur ce que tu avais envie de faire. C’était une manière de vivre que tu n’avais jamais regrettée, même aujourd’hui alors que tu rêvais de pouvoir un jour te tenir à un projet plus de quelques semaines. « My sister could, but… it seems she doesn’t want to. And she’s so childish. » Rafael avait donc une petite soeur. Tu devais avouer ne pas t’être intéressé plus que ça à la composition de la famille Casey. Avec un peu de chance, elle était la cadette de sa famille, une place que tu connaissais bien. A cet instant, tu te dis qu’Audrey devait certainement te décrire ainsi à son entourage. Puéril et irresponsable bien entendu. Une chose était certaine, Rafael semblait porter le poids du monde sur ses épaules frêles et cela te touchait car pour la première fois, il semblait vaciller. Au lycée, il t’avait paru si sûr de lui malgré les brimades, aujourd’hui, il semblait bien plus fragile. « Sometimes, the people we are closest to have a way of surprising us. » Tu ne pouvais t’empêcher de défendre un peu sa soeur que tu ne connaissais pas parce qu’elle se trouvait peut-être dans une situation similaire à la tienne. Toujours à essayer de prouver qu’on vaut quelque chose sans jamais réussir totalement. « Don’t give up on her, my sister and brother have and I don’t wish it on anybody. » Parce que Rafael avait déjà perdu assez de personnes dans sa famille, sa soeur devait souffrir elle aussi. Et tu ne connaissais que trop bien ce que ce genre de douleur pouvait vous amener à faire quand vous n’êtes pas capable de la canaliser correctement. Changeant légèrement de sujet, tu te focalises sur l’information qui est la plus intéressante, le fait qu’il est illustrateur. Le rire de Rafael qui résonne dans cette pièce vide est une découverte. Tu n’avais jamais eu droit à un rire de ce genre auparavant. A cet instant, pendant quelques secondes, le poids qu’il porte sur ses épaules disparait et tu le trouves beau, terriblement beau. Ce n’est pas une découverte, Rafael avait toujours attiré ton regard. « Some fantasy books or even children albums. It depends of the demand. » Hum. Tu ne t’étais jamais demandé qui dessinait les couvertures des livres ou ce qui se trouvait à l’intérieur. A part des nounous quelques fois attentionnées, tu n’avais pas été entouré de beaucoup de livres en grandissant. « And what do you draw for fun? » Pour toi, il n’est pas possible que Rafael ait arrêté de dessiner. Ce serait comme imaginer James ne plus jamais toucher un crayon. Totalement impossible. Ton frère avait essayé de t’expliquer que c’était une passion, que c’était plus fort que lui. Cela devait être la même chose pour Rafael.

Tu ne te fis pas prier quand ton interlocuteur te demanda ce que tu étais devenu. Parler de toi était ton passe-temps favori. Mais contrairement à lui, tu n’en faisais qu’à ta tête. Tu ne manquais pas son air gêné quand tu lui proposais de lui recommander des boîtes de nuit. Rafael n’était donc pas devenu un adapte des soirées et de la nuit ces dix dernières années. Qu’importe, il n’en restait pas moins charmant et attirant. « I can’t imagine you with dirty hands. But I guess people change when they get older. » Tu secoues la tête en souriant tristement. Tu étais peut-être moins égocentrique qu’avant mais tu ne voulais pas que Rafael se fasse une mauvaise idée de la personne que tu étais. « Not really. i’m still the asshole I was and I’m fine with it. I just found a way to channel all the crap I had to deal with. » Les travaux manuels, le bâtiment, ça aurait dû être une punition. Mais au fil des semaines de vacances, c’était devenu une passion, partagée avec un homme en Ecosse qui était comme un deuxième père pour toi. « You have a lot of work with this house. Are you doing this on your own ? » Prenant une nouvelle bouchée de crumble, tu hoches la tête. Tu n’as jamais aimé travailler en équipe, c’est vraiment pas ton truc. Tu aimes faire les choses à ta manière, quand tu en as envie et sans pression de personne donc tu t’occupes de cette maison tout seul. « Mostly. I got people to help redo the roof and the exterior. I have someone working on the woodwork to get new doors and windows but I’ll do everything else. » Et tu espérais que le rendu serait à la hauteur de tes attentes. Alors que l’on t’avait toujours décrit comme médiocre, tu étais légèrement perfectionniste dans tes rénovations. « I hope you can keep this to yourself, nobody knows what I do here. Everybody thinks I’m in Ibiza. » Photoshop et l’intelligence artificielle te permettent de faire croire n’importe quoi à tes followers. Un petit miracle pour t’acheter la paix et continuer à entretenir une image de gars complètement insouciant.

Et puis sans prévenir, Rafael te lança une bombe : « You know, I never thought I'd see you again. When I saw your name on the company paperwork, I knew I hadn't finished with you. And here we are, together again. » Ton regard croise celui du bel Apollon en face de toi et tu sens un brin de colère monter en toi. Tu sais déjà qu’aucun des papiers n’a ton nom dessus, que si ton nom est apparu c’est parce que le frère de Rafael l’a inscrit quelque part. Il y a une raison pour laquelle tu fais tous tes investissements par un fond d’investissement local. C’est pour ne pas avoir ce genre de conversation. « You never should have known I was involved. Your brother promised, it was the condition I gave him when we met. » Et certainement qu’il ne s’imaginait pas que son frère ou sa soeur viendraient fouiller dans les papiers administratifs de la cidrerie familiale. « I guess I left out that I also invest in local companies through a local investment fund. Most of them are short on cash and I give them a second chance that banks don’t. » C’était le cas de la cidrerie quelques années plus tôt lors de l’investissement que tu avais fait. Mais tu préférais ne pas partager cette information avec Rafael, il n’était peut-être pas au courant et cela ne changerait pas grand chose car l’argent mis dans l’affaire avait permis de tout relancer, l’entreprise ramenait de beaux profits depuis. « I should say I’m sorry you have to see me again but I’m not really sorry. » Cette rencontre avait été bien plus agréable que prévue et tu n’étais pas désolé de te dire que tu auras l’occasion de croiser Rafael à l’avenir.

La stricte vérité, c’est qu’il a raison sur beaucoup de points, il ne devrait pas dénigrer sa sœur, mais elle l’avoue elle-même qu’elle ne veut pas de la tête de l’entreprise, bien qu’il aurait été soulagé qu’elle soit d’accord pour endosser ce rôle, ou alors qu’ils soient ensemble sur cette aventure qu’ils n’avaient ni l’un, ni l’autre désirée. Seulement, ce n’est pas le cas, et Rafael se retrouve seul, d’autant qu’il ne voit pas sa sœur avec ses dernières frasques avec la justice, le conseil d’administration n’aurait jamais accepté. Mais il n’aborde pas le sujet, parce que ce n’est pas ce dont il a besoin, ce n’est pas ce dont il a envie et surtout parce que ça ne regarde pas du tout Tybalt, d’autant qu’il a des parts dans l’entreprise.

D’ailleurs, ce dernier réplique à l’une des phrases dites qu’il est resté le même connard qu’avant. Il s’en doutait un peu, mais cela entérine son choix de ne pas lui parler des soucis de l’entreprise familiale. Il n’a pas envie de l’inclure là-dedans ou de lui donner des billes à jouer dans ce qu’il tente de reconstruire tant bien que mal.

Mais il lui parle du fait d’avoir sur son nom dans les papiers de l’entreprise. Et il sait qu’il n’aurait peut-être pas dû quand il voit son regard se durcir. Tybalt semble en colère, et il ne comprend pas ce qu’il y a de mal. D’autant qu’il a sauvé la cidrerie. C’est clairement grâce à lui que tout a pu être sauvé et que les Casey n’ont pas sombré.

— You never should have known I was involved. Your brother promised, it was the condition I gave him when we met.

Ah, il s’agit donc d’un secret, d’une promesse tenue mais brisée. Rafael comprend un peu mieux, même s’il en a marre des secrets, même s’il sait qu’ils peuvent faire des dégâts irréparables. C’était le cas pour lui quand il était adolescent.

— I guess I left out that I also invest in local companies through a local investment fund. Most of them are short on cash and I give them a second chance that banks don’t.

Sauf qu’en réalité, il s’est un peu mal exprimé. Rafael n’est pas l’aise dans cette histoire, parce qu’il a l’impression de lui devoir quelque chose, et qu’il est à la fois heureux et dérouté face à ces retrouvailles qu’il ne désirait pas au départ. Il ne s’attendait pas à cela et les propos sortent de façon erratique.

— Your name wasn’t on the official document. Forgive my brother, but he was… very serious about his accounts and his business. Your name was on a personal note.

Rafael est un peu pareil, il est maniaque, et tout ce qu’il a en tête, il l’écrit, pour ne pas l’oublier, et c’est encore pire depuis qu’il est la tête de la cidrerie Casey. Ce n’est pas comme s’il avait une excellente mémoire non plus. Alors oui, c’est compliqué pour lui, et il comprend très bien ce que faisait son grand-frère, à croire que lui aussi était toqué voire même maniaque. Sûrement un problème de famille.

— I should say I’m sorry you have to see me again but I’m not really sorry.

— Ah, wow, OK, I don’t know how to interpret that.

Il ne s’est pas rendu compte qu’il a dit ça à voix haute. Et il grimace. Parfois ses paroles dépassent ses pensées et il ne sait pas trop comment arranger tout ça. C’est l’un de ces défauts fatals, une sorte d’hybris comme le disaient les grecs anciens. Bien sûr qu’il ne sait pas comment faire, bien sûr que c’est compliqué, et cette situation l’est encore plus, parce que malgré tout, il ressent cette petite étincelle au plus profond de lui, son cœur bat plus vite et il a l’impression de voir trouble. Ce n’est pas comme s’il avait eu auparavant cette amourette en tête, ce n’est pas comme s’il n’avait pas envisagé tout ça quand il était adolescent.

— Wait, are you saying you missed me ? You, Tybalt, are you telling me that ?

Parce que ça, il ne s’y attendait pas. Tybalt était méchant avec lui, ou du moins, il n’empêchait pas les autres de le chambrer. C’était un garçon imbu de sa personne qui écrasait les autres à la moindre occasion. Et Rafael en faisait les frais, il payait les pots cassés d’un garçon qui n’était pas serein lui-même dans ses bottes. L’hispanique sait que souvent un tel comportement relève d’un mal être profond. Il ne sait pas si c’est vraiment le cas chez Tybalt, mais peut-être, après tout, il ne connaît de lui que ce qu’il avait entendu ou a pu lire dans les journaux. Et il ne s’y était pas vraiment intéressé.

— If anyone had ever told me, I'd never have believed them.

Clairement pas. Il n’est pas comme ça, il ne l’a jamais été et cela le surprend. Il commence à entrapercevoir une fêlure dans la coquille de Tybalt, une faiblesse qu’il n’aurait jamais envisagée.

Les investissements que tu réalisais, comme les dons que tu faisais à diverses associations, étaient censés rester anonymes. C’est pour ça que tu avais engagé ce fonds d’investissement, pour ne pas avoir à apparaître nulle-part. Cela devait paraître étrange à un observateur extérieur que tu n’aies pas envie de voir ton nom en lettres brillantes sur le devant de la scène. Mais ton attrait pour les devantures de journaux ne concernaient bien que tes fêtes légendaires et tes vêtements de designers sur mesure. Tu connaissais assez de monde avec de l’argent pour savoir qu’il était beaucoup plus simple de paraître comme le connard qu’ils attendaient que d’être un gentil. Personne n’attendant quoi que ce soit de productif ou bien intentionné de ta part, tu savais que tu étais tranquille. Quand même votre famille la plus proche est persuadée que vous n’êtes qu’un bon à rien, les journalistes en restent là. Mais apparemment, il y avait des exceptions, des failles dans ce système et tu te retrouvais à devoir dévoiler cette activité à Rafael. Pas par envie mais parce que son frère avait trouvé bon de mettre ton nom dans ses papiers. « Your name wasn’t on the official document. Forgive my brother, but he was… very serious about his accounts and his business. Your name was on a personal note. » Tu secoues la tête en soupirant. Miguel avait été l’une des exceptions que tu avais faites parce que le fond d’investissement ne savait plus comment se débarrasser de ses questions. Alors tu avais fini par céder pour cette rencontre. Au fond, tu n’avais jamais compris le besoin de cet homme de te rencontrer, cela n’avait pas duré bien longtemps mais il avait semblé repartir plus léger. Comme si le fait de te remercier changeait quelque chose pour lui. « I would appreciate it if you did not mention it to anyone. My reputation would take a hit if you did. » Un petit sourire se dessina sur tes lèvres. Tu pourras répondre à des questions de Rafael s’il voulait mais il n’y avait pas grand chose à dire sur cet investissement au final. Rester un connard aux yeux de tous était le plus important, tu finiras bien un jour par leur prouver qu’ils avaient tord de te sous-estimer mais cela demandait beaucoup trop d’efforts. Pour l’instant, c’était très bien comme ça.

La conversation dériva un peu vers ces retrouvailles qui semblaient être inévitables finalement vu que ton interlocuteur aurait fini par se trouver sur ton chemin, voisin ou pas. Et cela ne te dérangeait pas autant que tu le pensais. Retrouver Rafael était plutôt une bonne surprise finalement. « Ah, wow, OK, I don’t know how to interpret that. » Tu ne peux t’empêcher de laisser échapper un petit rire à sa grimace. Apparemment, il ne comptait pas te confier cela. Tu secouais la tête, plus amusé qu’autre chose. Toi non plus, tu ne savais pas comment l’interpréter mais c’était ce que tu ressentais alors pourquoi le nier ? « Wait, are you saying you missed me ? You, Tybalt, are you telling me that ? If anyone had ever told me, I'd never have believed them.» Un sourier en coin se dessina sur tes lèvres. C’était nouveau ça, les taquineries. Il n’y avait jamais eu cela entre vous auparavant. Pas de place pour ce genre de remarques ou de ton, simplement des méchancetés jetées au visage, souvent initiées par toi d’ailleurs. « What can I say? I’m a man full of surprises. » Dis-tu sur un ton rempli de sous-entendus. Tu jouais avec le feu, très certainement mais aujourd’hui, contrairement à vos années de lycée, tu pouvais te permettre ce genre de remarques sans que Rafael n’en ait à payer les conséquences avec un harcèlement encore plus intense. « We never really learned to know each other back then. Not everyone gets a do-over. » Vous oui. Cette rencontre était une surprise pour tous les deux mais elle n’avait pas à être une mauvaise surprise. Elle pouvait aussi être une bonne surprise. Et ce n’était pas comme si tu avais gardé beaucoup de contacts avec les gens que tu avais rencontrés quand tu étais au lycée. Fouillant dans la poche extérieur de ton jean, tu en sortis un morceau de papier. Tu te levais et attrapais un stylo qui trainait sur le comptoir poussiéreux. « If you ever need a break from your CEO job, here’s my number. I see what it does to my sister, please never turn into the asshole she is. » Et c’était peu dire. Ta soeur était un robot à tes yeux. Pas de compassion, pas le droit à l’erreur, il fallait rester dans le rang. Et ça, ce n’était pas quelque chose que tu savais bien faire malheureusement … Revenant vers la table, tu tendis le bout de papier vers Rafael, curieux de savoir s’il t’appellerait ou t’enverrait un message l’un de ces jours.  

Bien sûr qu’il ne dira rien, Rafael n’est pas du genre à éventer ce genre de choses, surtout pas à propos de l’entreprise Casey. Il est hors de question qu’on apprenne que Tybalt Weatherton a des parts dans la cidrerie. Ce serait une catastrophe en terme d’image, et le conseil n’en serait pas ravi, il le sait très bien.

Mais la conversation dérive dangereusement et il n’a aucune idée de comment il doit interpréter ce qu’il a entendu. Son ancien bourreau sous entend qu’il lui a manqué, et cette idée aussi étrange soit-elle ne parvient pas à faire sens en lui. Alors il réagit en le provoquant, en venant le taquiner et sous le ton de la moquerie. Seule défense imaginée face à de tels propos. Comment pourrait-il interpréter autrement ce qu’il lui a dit ? Qu’il n’est pas désolé pour ces retrouvailles ? A croire qu’il l’a fait exprès en achetant ce cottage, parce qu’il est juste à côté de la cidrerie Casey, et qu’il avait quelque chose en tête. Non, ridicule. Tybalt n’est pas assez intelligent pour imaginer tout ce stratagème, c’est encore l’esprit tordu de Rafael qui fait des conjectures idiotes.

— What can I say ? I’m a man full of surprises.

Oui, c’est le moins que l’on puisse dire. Et ce ton, ce regard et cette… il a l’impression de défaillir. Son ventre se tord et il le regarde d’un air rempli d’incompréhension. Heureusement qu’il ferme la bouche, il aurait l’air d’un idiot fini.

— We never really learned to know each other back then. Not everyone gets a do-over.

C’est vrai qu’ils ne se sont jamais laissé cette chance à l’époque. Ils ne pouvaient pas s’encadrer, c’était comme ça à l’époque, mais désormais… c’est différent, ils ont grandi, ils ont mûri. Il aimerait dire que c’est possible encore, mais il reste prudent, le verre est à moitié vide de son côté. Tybalt pourrait toujours se révéler être un enfoiré fini.

D’ailleurs, ce dernier attrape un morceau de papier de sa poche de pantalon, un stylo en se levant pour commencer à écrire quelque chose dessus.

— If you ever need a break from your CEO job, here’s my number. I see what it does to my sister, please never turn into the asshole she is.

Il lui donne le papier avec son numéro de téléphone, et il l’attrape d’une main tremblante. Mais que va-t-il pouvoir bien faire avec ça ? L’appellera-t-il ? Il n’en sait rien. Rafael a peur de ce que ces retrouvailles vont pouvoir redonner. Il… a peur. Et il se lève alors subitement à son tour.

— How says I’m not already an asshole ? qu’il répond à cette question.

Personne ne dit ça. Il n’a jamais été un enfoiré. Mais il… en fait il commence à perdre les pédales et le contrôle de lui-même. C’est clairement une mauvaise idée de rester là et il…

— OK. I have to go. See you next time. Maybe.

Rafael met le papier dans sa poche de pantalon avant de lui adresser un geste de la main et de s’enfuir. Oui, il s’enfuit littéralement pour retrouver les murs austères de Sunhill. Il ne veut pas rester là, à étouffer dans l’ambiance oppressante de ses retrouvailles.