Un flambeau pour nous éclairés • Debbie

La discussion fut clairement agitée. Alexandra a eu du mal à accepter que je reparte, pourtant ça n’a rien de comparable avec ce que j’ai pu faire dans le passé. Auparavant, quand je partais en mission, c’était pour combattre. Pas de mystère là-dessus, je savais quand je partais, jamais quand j’allais revenir, si j’allais revenir. Et je comprends que pour mes proches, pour Alex qui est peut-être la seule famille que j’ai, c’est délicat de le savoir de nouveau loin, revêtir l’uniforme militaire, encore une fois. Mais rien n’est comparable, cette fois-ci, je suis déployé pour protéger une mission humanitaire. Le bémol, c’est que ça se déroule en Afrique, en Namibie. Le hasard fait que la dernière mission, celle qui m’a valu la retraite anticipée, était là-bas. Et ça ne s'était pas super bien passé, j’en garde des stigmates, physique et mental. Mais je suis un soldat, j’ai l’habitude de me mettre en off si besoin. C’est pour ça que j’ai été demandé, mes exploits passés font de moi un accompagnateur idéal, ou presque. Puis je ne serais pas seul sur place, mon ancienne commandante sera aussi sur place. L’idée est d’être en comité réduit, nous devons protéger ceux qui vont là-bas, pas inquiété les habitants du pays.

Je débarque d’ailleurs un jour après tout le monde, quelques papiers à gérer avant de pouvoir m’envoler vers la destination. La tenue est simple, un jean, un tee short noir et une veste kaki. Niveau armement, c’est rudimentaire, un couteau et un pistolet. Quelques chargeurs dans les poches. L’idée est de ne pas avoir à s’en servir. Une fois l’avion atterris, je suis amené sur le campement de l’équipe déployer sur place. Très peu de militaire, plusieurs bénévoles en mission. J’admire leur courage, leur dévouement. Venir à l’autre bout du monde pour apporter de l’aide et des soins à ceux qui en ont besoin, ce sont eux les véritables héros, eux qu’on doit décorer et féliciter. Certainement pas les militaires, mais ça, c’est un autre débat. Comme à mon habitude, je me fais discret, jusqu’à ce que mon ancien lieutenant, Claire Redfield prenne la parole. On va se diviser en groupe de deux. Chacune dans une jeep jusqu’à destination. je n’écoute que d’une oreille, jusqu’à ce qu’elle arrive à mon nom. Brody avec Shaw. je lève ma tête, je cherche du regard. Jusqu’à ce que je voie la brune qui semble, elle aussi, me chercher.

Brody ? je m’adresse à elle, une fois arrivait à sa hauteur. Nate. je lui tends la main, autant faire les présentations, on est susceptible de passé pas mal de temps ensemble mine de rien. Vous avez tout de qu’il vous faut ? Prête pour le départ ? pas loin de la jeep qu’on doit prendre. Je retire ma veste, de façon à enfiler la protection par balle. Je referme le gilet, qui normalement ne devrait servir à rien, vu que l’endroit est censé être pacifique. Mon regard s’attarde sur la jeune femme. Si je peux me permettre. Et en tout bien tout honneur. Avec tout le respect. je prends une respiration, Nate s’apprête à faire du Nate. Avec des gros lolos comme ça, ça va être difficile de fermer le gilet pare-balles. Heureusement, si vous sortez les attaches des endroits prévues, vous devriez pouvoir le fermer et pas avoir de mal à respirer. les tips accompagné du franc parler à toute épreuve de Nate Shaw.

La Namibie, des terres arides au bord de l’Océan Atlantique. Emprise aux sécheresses plus prononcées qu’à l’accoutumée, l’urgence a été décrétée, entendue jusqu’en Angleterre. Deborah avait passé des jours à hésiter. C’était finalement le contexte de sa vie privée qui l’amenait à fuir : éviter à tout prix la vague médiatique. Elle n’avait pas besoin de ça alors elle avait accepté l’appel aux volontaires pour partir avec Médecins sans frontières. Elle fut d’ailleurs la première étonnée qu’ils aient besoin d’ambulanciers dans ce contexte mais en y réfléchissant bien, qui mieux que des ambulanciers pour aller chercher rapidement des individus en détresse dans les villages les plus éloignés sans prendre trop de risques ? Ils étaient les mieux formés à la conduite dans tous types d’environnement en plus d’être en capacité de commencer les soins. Sans aller jusqu’à dire qu’ils étaient indispensables, ils n’en restaient pas moins de sacrés avantages.

C’était avec cette idée qu’elle avait atterrit là-bas, prête à faire son travail, loin d’elle l’idée d’être une white savior. Elle savait que leur mission n’allait pas changer la face du monde, n’allait pas sauver l’Afrique ni même la Namibie mais si elle pouvait sauver des vies et en préserver d’autres, c’était tout ce qu’elle souhaitait. Le premier jour avait été dicté par des efforts physiques : quitte à venir, ils n’étaient pas venus les mains vides. La soute de l’avion avait été chargée en bidons d’eau potable. Première mission : vidée cette soute et distribuer l’eau. Une journée d’effort satisfaisante qui s’était soldée par une bonne nuit de sommeil avant d’être levée tôt le lendemain. C’était le moment de faire face aux missions à l’extérieure de la ville, quitter le confort de l’hôtel plusieurs jours pour porter secours aux villages alentours, grignotés par les chaleurs désertiques, en proie à la soif et à la faim. Dire qu’elle n’avait aucun stress serait mentir. Faire face à la pauvreté, c’était une chose. Prendre des risques pour porter secours à d’éventuelles populations privées de soins par des forces ennemies, ce n’était pas son domaine.

En revanche, c’était celui de Shaw, ce grand brun plus communément appelé Nate. « Deb. » répondait-elle dans un sourire en lui serrant la main en retour. « Je ne m’attendais pas à si peu à vrai dire mais il va falloir faire avec. » Quand bien même elle ne s’attendait pas à avoir autant d’attirails de médecine qu’en Angleterre, la réalité des choses l’avait frappée de plein fouet : s’ils ont plus de connaissances et de matériels techniques, ça n’en restait pas moins minuscule face à l’immensité du problème. Quelques cathéters, des poches de réhydratation, quelques trousses de secours et bien évidemment, des ravitaillements et de l’eau et de quoi essayer de les aider à produire de la nourriture. Ça lui semblait tellement dérisoire, trop peu. Ne parlons même pas de ce gilet par balles qu’elle tentait de fermer de façon traditionnelle et qui lui retournait l’estomac. L’idée de devoir se protéger quand le seul but est de porter secours la ferait presque vomir de tristesse. Oui, de tristesse parce qu’elle comprenait malgré tout : s’ils se faisaient attaquer, ça serait certainement pour se faire voler par d’autres populations dans le besoin qui s’attaquent aux convois dans le seul but de leur propre survie.

Une pensée qui s’évaporait quand la voix de Nate résonnait de nouveau à ses oreilles. D’abord intriguée par ce déballage de politesse (qui ne démontrait qu’une chose : il marchait sur des œufs), elle restait ensuite figée quelques secondes à le regarder. Elle le remercie d’abord et le frappe ensuite ou inversement ? Ni l’un, ni l’autre. « Le concept de parler des seins d’une femme et de la vouvoyer, c’est quand même vachement particulier. » disait-elle non sans rire tout en cherchant les attaches dont il parlait. Il n’y avait pas mort d’hommes, c’était pour l’aider… elle passait outre pour cette fois. « Je te propose qu’on se tutoie ? Ça risque d’être un long séjour si en plus on doit faire attention à rester excessivement polis. » Demandait-elle alors qu’elle trouvait les scratchs dont il parlait, les desserrant un peu afin de lui permettre de coulisser la fermeture éclair : c’est qu’il avait raison, c’était bien plus confortable ainsi. « Puis entre nous, on risque fort de se retrouver dans des situations où le vouvoiement serait même ridicule. » Pas de vraies douches pendant des jours, hygiène et confort rudimentaires, adrénaline et autres émotions en ébullition, ça serait étrange de conserver ce « vous ». « Je pense qu’on peut y aller. » Est-elle vraiment prête, au fond ?

C’est une première pour moi. Presque trois décennies à être militaire et jamais aucune mission humanitaire à mon actif. Je faisais partie de l’armée de terre, l’équipe envoyée pour régler les conflits par la force. Aujourd’hui, ce sera différent, l’idée est d’aider, de réellement aider. Et c’est pour ça que j’ai accepté, pour ça que je me suis facilement laissé convaincre. Déjà parce que mine de rien, ça me manque, j’ai beau dire et penser le contraire, on ne tire pas un trait sur autant d’année d’une vie aussi simplement. Mais aussi parce que je vais avoir l’impression d’être concrètement utile, si je suis incapable d’apporter une quelconque aide aux personnes que l’on va secourir sur place, je vais pouvoir prêter main forte à ceux, qui eux en sont capables. De là à dire que je vais faire ça souvent, il ne faut pas exagérer. J’ai déjà eu du mal à faire accepter à Alexandra que j’allais partir pendants une semaine ou deux. Alors si jamais ça redevient fréquent, je pense que c’est elle qui va me faire la peau et non pas l’une des missions. Oui, vous avez beau être un homme de presque un mètre 90, fait de muscle et surentraîner au combat depuis que vous êtes un peu majeur, croyez-le, il y a toujours une femme qui vous terrorisera. Pour moi, c’est Alex, ma très chère cousine.

Et en parlant de femme, je fais connaissance avec mon binôme du jour. Il faut bien l’admettre, j’aurai pu tomber sur largement pire. Quoi ? Il faut bien en profiter un petit peu. D'ici à quelques jours, nous aurons passé plusieurs nuits à dormir dans des conditions précaires, nous aurons eu le droit à plusieurs jours avec des conditions pour se laver rudimentaire. Aujourd’hui, nous sommes frais, en pleine forme et au mieux. Du coin de l’œil, je l’observe remplir son sac. Le mien est tellement différent. De quoi contacter les autres équipes, des chargeurs, des repas de fortune en conserve et quelques vêtements propres. Si j’ai pris ma brosse à dent, le rasoir n’est pas au rendez-vous. Autant dire que la barbe risque de se fournir si jamais la mission vient à s’éterniser. Faut être réaliste. Ce qui nous paraît peu est énorme pour eux. c’est triste à dire, mais ils n’ont rien. Par définition, la moindre chose s’avère utile. Puis, j’accompagne son rire. Il faut bien admettre qu’elle aurait pu trahir nettement plus mal. Haussant les épaules, mon regard croisant le sien, c’est l’air innocent que je reprends. Je suis la preuve vivante qu’on peut être beauf et gentleman. Une espèce rare. et je conclu d’un clin d’œil, relevant plus de la connerie qu’autre chose. Bonne idée. De toute façon, si ça vient à chauffer, j’aurai bien vite abandonné le vouvoiement. lui ouvrant la portière de la voiture, je l’invite à entrer. Gentleman on vous a dit. Alors en voiture, on a un bout de route. trois quarts d’heure, une heure. Je grimpe du côté passager, checkant une dernière fois que l’on a tout dans la jeep, je démarre le moteur et nous met en route.

Cap sur le village le plus proche de notre camp de base. Là-bas, pas d’eau potable et surtout, des attaques régulières de tribu voisine qui vient voler les vivres des locaux. Une tribu pas particulièrement dangereuse, mais le village que l’on va aider est pacifique. Chose que j’ai du mal à comprendre vu le monde dans lequel il évolue. L’idée est de leur apporter des soins, de venir endiguer quelques potentielles maladies, bénignes en Angleterre, mais qui dans ces coins-là peuvent être mortel sans les soins appropriés. Une main sur le volant, un œil sur la route, je jette parfois des coups d’œil à ma voisine. C’est ta première fois ? et comme j’ai ce besoin de détendre l’atmosphère, notamment dans l’environnement pesant que peut être cette mission, j’en rajoute. J’parle en Afrique hein ! un léger rire s’échappe de nouveau de mes lèvres. En tout cas chapeau. J’admire votre taff. Venir à l’autre bout du monde, juste pour aider ce qui en ont besoin. C’est vous les vrais avengers.

« C’est bien ce qui m’emmerde. » Cash, Deborah déplorait que le peu de moyens qu’ils avaient pour venir en aide aux populations était finalement beaucoup pour eux. Elle trouvait cela tellement injuste, tellement triste d’imaginer que chez eux, ils avaient accès à tout ça avec une facilité déconcertante quand ici, ils devaient faire appel au bon vouloir des autres pays pour leur venir en aide. Comment était-ce humainement possible d’accepter une telle différence ? Comment les quelques pourcents de riches arrivaient à dormir sur leurs deux oreilles quand il est prouvé depuis des décennies qu’une partie de leur fortune pouvait régler la faim dans le monde et bien d’autres conflits ? Elle ne comprenait pas et au fond d’elle, elle souhaitait ne jamais comprendre car cela reviendrait à leur donner des excuses ou de jolis prétextes pour se dérober. La misère était si frappante qu’ils en venaient à se protéger avec des gilets par balle en cas d’attaque du convoi. C’était ahurissant de tristesse et de colère et Deborah peinait à accepter cette situation.

« Gentleman hein ? Je demande à voir. » lançait-elle, presque comme un défi, non sans un sourire malicieux au coin des lèvres et soulignant à la fois que lui indiquer où se trouvait les scratch pour desserrer le gilet ne faisait pas de lui un gentleman. Il allait falloir faire plus que ça pour le prouver et autant dire que Debbie ayant fréquenté longuement Camil, la barre était très haute. Si l’Angleterre voyait Camil comme un requin sans pitié dans le domaine de son métier, Deborah connaissait l’homme dans le privé et jamais il n’avait failli dans son attitude envers elle, toujours aux petits soins quand il sentait qu’elle en avait besoin. C’était d’ailleurs donnant/donnant. Un équilibre qu’ils avaient aisément trouvé mais qu’ils avaient choisi d’arrêter : avec du recul, à contrecœur du côté de Deborah (qui n’osait pas demander ce qu’il en était du côté de Camil, peureuse qu’elle peut être).

Après avoir embarqué son sac personnel et celui des soins, elle se retrouvait assise du côté passager de la voiture (elle en profitait parce qu’elle savait que ça n’allait pas durer), scrutant les environs dès lors qu’ils quittaient la ville pour s’enfoncer dans la campagne, des plaines désertiques et des montagnes rocheuses à perte de vue. Un paysage aussi incroyable qu’effrayant. Elle ne pouvait qu’imaginer la vie qu’offrait ce genre d’endroit : difficile. « Oui c’est ma première fois, pour l’Afrique et pour les missions humanitaires hors Angleterre. » Parce qu’elle avait participé à de nombreuses autres au sein même de l’Angleterre, n’incluant pas toujours son travail d’ailleurs. « A vrai dire, je suis une jeune ambulancière. Ca fait un peu plus d’un an seulement que je fais ce métier. Réorientation tardive mais je pense avoir trouvé ma voie. » disait-elle avec un tendre sourire, se souvenant à quel point elle a pu changer de métiers au cours de sa vie tant rien ne parvenait à la satisfaire. Jusqu’à, finalement, prendre soin des autres. C’était ça son goal de vie.

« Et toi ? J’ai entendu dire que tu faisais partie des réservistes et pas des militaires en fonction propre. C’est ta première mission humanitaire ? » Elle lâchait alors un rire quand il les comparait à des avengers. « C’est gentil mais j’espère que tu sais que c’est grâce à des gens comme toi qu’on peut venir jusqu’ici. Si le travail est différent, c’est bien ensemble qu’on y parvient. » Comme les avengers : assemble. Sans réserviste supplémentaire pour les accompagner, les médecins et ambulanciers auraient bien moins nombreux à pouvoir venir jusqu’ici. « J’ai ouïe dire que ta cousine était pas ravie que tu viennes d’ailleurs. » Ouais, c’était le bon moment pour lui balancer, sans avertissement, qu’Alex lui avait parlé de son cousin qui allait faire la même mission qu’elle. Si Deborah n’avait pas idée de la tête du cousin jusqu’ici, Alex lui avait au moins donné son prénom et son nom. Peu de chance qu’un militaire réserviste autre que lui porte la même identité. C’était donc avec un certain amusement qu’elle lui dévoilait plus ou moins le connaître par le biais d’Alexandra.

Difficile de donner tort à la jolie brune. Quand on vous les inégalités de ce monde, y a de quoi avoir envie de vomir. Et encore, il y a pire, quand on sait dans quel but sont déployés certaines armées, bref, parfois, on peut facilement perdre foi en l’humanité. Difficile de rester optimiste quand on voit certaines choses. Ma retraite m’a appris à relativiser, mieux encore, ma dernière mission et la proximité de la mort m’a appris à être optimiste. Autrement dit, un miracle me concernant. Rome  ne s'est pas fait en un jour. tournant mon visage vers l’irlandaise, mon regard vert croisant le sien, je précise le fond de ma pensée. Aujourd’hui  une première pierre. Demain un mur. Et ainsi de suite. Chaque aide rapprochera un peu plus ces pays d’une vie meilleure. C’est difficile, mais dans ces cas-là, seule la persévérance et la patiente paie. malheureusement, je le sais. Le temps est un luxe que la plupart des habitants d’ici n’ont pas. Et c’est frustrant d’avoir ce sentiment de ne pas pouvoir aider, pas suffisamment en tout cas. Mais le faire, c’est aider, c’est accélérer les choses, faire bouger les choses. Il n’y a pas de solution miracle. Les milliardaires qui pourraient agir ? Ça fait trop longtemps que j’ai assimilé que ce genre de personne se foutent du monde et n’ont en tête que leurs richesses personnelles. Les personnes comme Déborah aide nettement plus à bouger les choses par exemple. On n'est jamais mieux servis que par sois même, c’est une philosophie que j’ai adaptée et ça, pour pas mal de chose. C’est pratique, ça évite d’avoir des attentes et par ricochet, ça évite d’être déçu. Je recommande fortement cette façon de faire.

Un sourire en coin étire mes lèvres. Challenge. marquant un léger temps de pause, juste pour venir capter le regard de ma complice du jour. Accepté. référence à une série connue. Mais réelle volonté de le prouver. Pas en étant extravagant et en jouant un rôle. Non, justement, tout le contraire. Je n'ai pas toujours été un modèle, en tout point. Mais j’ai mûri, j’ai pris en maturité. Je suis devenu un autre homme avec le temps, je n'en ai pas totalement conscience, car il y a bien longtemps que j’ai arrêté de me soucier de moi-même. Mais j’aspire à être devenu quelqu’un de bien. Un gentleman ? Peut-être pas parfait, il ne faut pas déconner. Je ne suis pas le stéréotype du prince charmant, je le sais et je ne le serai jamais. Je ne le souhaite pas. J’aime les imperfections, j’aime le fait d’être beauf sur les bords, j’aime le fait d’être une tête brûlée quand il faut défendre mes proches ou mes valeurs. J’aime être un bon vivant capable de finir endormis sur la banquette arrière de ma voiture à cause de trop de bière. J’aime ma voiture d’ailleurs, plus que tout ou presque. Mais une chose est sûre, je compte bien faire en sorte que le voyage africain de la brune se passe au mieux. Est-ce que j’irai jusqu'à là porter si nécessaire ? Oui, totalement. Et non, pas juste pour éparpiller mes mains un peu partout, ouais, je vous vois venir ! En  revanche, tu ne m'as pas demandé de prouver que je peux être beauf. Ça a priori, c’est acté ! et on ne va pas lui donner tort, mon rire qui accompagne mes mots veulent tout dire.

La conversation se recentre, un minimum. Sur le projet, sur la raison de notre présence ici. Enfin, la raison officielle. Il y a toujours une raison officieuse. C’est mon cas, concernant celle qui est à côté de moi ? Aucune idée. Je ne suis pas du genre à creuser, si les gens veulent parler, je sais écouter. Mais d’expérience, je sais que vouloir pousser les personnes à se confier peut avoir l’effet inverse. Je pense juste qu’on part rarement à l’autre bout du monde, seulement comme ça. Raconte  moi. Quelles ont été tes différentes expériences avant de trouver ta voix ? curieux, oui. D’autant plus que j’aime connaître le parcours des gens, je trouve ça toujours captivant comment on peut passer d’un opposé à l’autre, c’est fascinant cette capacité que certains ont de se réinventer. Je suis admiratif.

Ouais. Je suis censé être à la retraite depuis trois ans, je crois. Ils avaient besoin de monde. J’avais besoin de bouger. Gagnant, gagnant. hochant la tête, la retraite a du bon et du moins bon. On ne peut pas dire que j’en sois un grand fan, pour autant il me semble improbable que je me remette dans tout ça. Pour la suite, un simple hochement de tête. Je ne suis pas vraiment d’accord. Mais c’est parce que je n’ai pas une haute opinion du métier militaire. Nous sommes payés pour tuer. C’est affreux. Nécessaire, mais affreux. Mais je ne veux pas emmerder la jeune femme avec ça. En revanche, je manque de nous foutre dans le décor quand elle évoque ma cousine. Hein ?! Tu connais Alex ? Et Alex ne nous a jamais présenté ?! secouant mon visage, je me reprends aussi tôt. Desolé  ça m’a échappé. Mais tu m’as pris de cours là. il faut croire que ce monde est sacrément petit. Mais  oui, elle n'a pas tellement accepté le truc. Je peux le comprendre. Elle a suivi ma carrière militaire. Elle a trop souvent vécu les longues semaines où la peur que je ne revienne pas était présente. c’est bien pour ça que je ne lui en veux pas, bien au contraire. C’est  pour ça que je vais nous ramener. En entier, sain et sauf. un clin d’œil, un sourire plein d’assurance. Ouais, rien ne nous empêchera de revenir entier en Angleterre. Elle t’a pas trop fait la morale à toi ?

Et comme le timing s’avère être taquin, la radio de communication s’active. La commandante des opérations prend la parole. « Une embuscade se prépare après notre passage. Le véhicule numéro 7 peut se trouver pris pour cible. 5 individus identifiés. Terrain plat. Aucune hauteur à l’horizon. Permission de tir de sommation. » bien entendu, la voiture numéro 7, c’est nous. Mon visage vers Deborah, si une de mes mains restes sur le volant. Mon autre main dégaine la seule arme que j’ai, un pistolet certes efficace, mais léger. Va falloir que tu prennes le relais. Je vais m’assurer que l’on passe sans encombre. fouillant dans mon sac, que j’ai pris dans l’habitacle avec nous, je sors deux grenades fumigènes. Je vais tirer, de façon à les forcer à reculer. Je jetterai ensuite une premier fumigène devant nous. Il faudra foncer dedans, pendant quelques secondes, on n'aura plus du tout de visu. Et un second fumigène dans notre dos pour que l’on puisse s’éloigner le plus possible. c’était à prévoir les complications. Inquiet ? Non pas du tout, le calme est le maître mot dans ces cas-là. J’ai confiance, tu vas gérer.

Elle n’arrivait pas à être optimiste comme il pouvait l’être. Une pierre, un mur, un empire. Ça marchait parfois, oui mais l’histoire recommençait souvent : une pierre, un mur et quelqu’un plus grand que soi pour s’emparer du reste et t’empêcher d’aller plus loin. C’est ainsi qu’elle voyait les pays européens, entre autres : des voleurs se proclamant riches en dépouillant les autres. « Je leur souhaite, qu’un beau jour ça fonctionne comme tu le vois. » quand bien même elle n’y croyait pas beaucoup. En venant ici, elle s’attendait à une désillusion, elle le savait qu’elle aurait la sensation de ne servir à rien. Néanmoins pas aussi vite. Il parvenait pourtant à lui redonner le sourire, acceptant le défi de se montrer gentleman tout en soulignant qu’elle ne lui demandait étrangement pas de prouver qu’il était beauf. « Je dois déjà te rappeler que tu as parlé de mes seins d’entrée de jeu ? » Le sourire se voulait amusé. En réalité, dire qu’il était beauf, c’était quand même un grand mot. Du moins c’est l’impression qu’elle en avait pour le moment. S’il y avait bien une chose qu’elle pouvait lui accorder qu’un beauf n’a pas, c’était bien qu’il n’était pas lourd. Ok, il avait parlé de ses boobs en premier mais non seulement il y avait une bonne raison mais en plus il avait arrêté de le faire dès l’instant où elle était parvenue à desserrer le gilet. Un beauf aurait insisté et aurait fait des sous-entendus bien plus appuyés et lourds.

Assis dans la voiture avec une promesse de 45 minutes de route, les deux comparses se mettaient naturellement à parler de leur vie. Deborah était une jeune ambulancière et il ne fallait pas être né de la dernière pluie pour voir sur son visage qu’elle n’avait plus vingt ans et qu’elle avait probablement fait d’autres choses avant cela. Nate s’interrogeait donc sur ce qu’elle avait pu faire avant de se sentir enfin à sa place dans son métier. « Oula, ça peut être très long comme réponse. » riait-elle d’elle-même tant elle avait changé de métiers pendant des années. « Il y a des gens volages en amour, moi je l’étais professionnellement parlant. En fait j’ai fait presque tous les métiers qui ne demandent pas diplôme particulier, qui paye assez pour vivre correctement et qui peuvent se quitter facilement. » Elle réfléchissait un peu, comptant même sur ses doigts qui dépassaient très vite la dizaine. « Par exemple j’ai fait caissière, distributrice de flyers, préparatrice de commandes, assistante, livreuse, hôtesse d’accueil dans différentes structures, serveuse, vendeuse, conseillère en téléphonie. J’ai bossé à McDo aussi, du travail en usine évidemment, du ménage chez les particuliers aussi. De façon plus originale, j’ai aussi été cobaye médicale, modèle pour les cours d’art et de sciences dans une université, j’ai fait des sondages rémunérés. J’ai joué la cliente mystère aussi, ça s’était chouette d’être payée à voyager/manger/s’amuser en donnant son avis. Mais je crois que le summum de l’originalité, c’est bien dans le fait d’avoir fait du téléphone rose. » Elle était très sérieuse et ne ressentait aucune gêne à le dire. Après tout, ce ne sont que des mots. « Le métier que j’ai tenu le plus longtemps avant d’être ambulancière, ça a été en mairie, pendant un eu plus d’un an. Mon diplôme de webdesigner m’a permis d’accéder au poste de community manager. » Puis elle avait eu la proposition de Camil et refusant de mêler professionnel et personnel, elle avait choisi d’accepter à la condition de quitter la mairie où il travaillait également à l’époque.

« Assez parlé de moi. » disait-elle avec un geste de la main qui semblait sous-entendre qu’il fallait laisser tomber. C’était à son tour de lui poser la question. Si la mission avait été en suspend pendant un moment, c’était parce qu’il leur manquait des militaires pour les accompagner. Nate faisait partie de ces réservistes qui avaient acceptés de venir avec eux, complétant l’équipe et rendant possible la venue de nombreux personnels médicaux. « A la retraite ? Tu n’es pas obligé d’en parler si tu ne le souhaites pas mais tu me parais bien jeune pour être à la retraite. » Ce n’était pas rare de voir des militaires plus âgés que lui, hauts gradés notamment après des années de service. Si Deborah était connue comme étant une curieuse invétérée, jamais elle n’obligerait qui que ce soit à parler s’il n’en avait pas envie. Elle en avait elle-même fait l’expérience avec son psy lors de sa grossesse nerveuse et quand bien même parler avait été bénéfique dans son cas, ça avait surtout été très douloureux et elle ne le souhaitait à personne d’être obligé de parler. Cela cachait trop souvent de bien tristes histoires.

La voiture faisait une légère embardée quand elle se mettait à parler d’Alex sans prévention. Une réaction qu’elle n’attendait pas mais qui la faisait beaucoup rire. « Je dois comprendre que ça t’embête de ne pas m’avoir connue plus tôt ? » disait-elle avec malice. De son côté, elle n’avait aucun mal à comprendre le pourquoi Alex ne les avait pas présentés : jusqu’ici, la brune était officiellement avec Camil depuis 2020. Il était évident qu’Alex n’allait pas lui présenter des hommes (ou des femmes d’ailleurs) dans ce contexte. Ce qui restait tout de même étonnant était qu’ils ne s’étaient jamais croisés, chez elle ou avec elle, peu importe. « Pour être un peu plus précise, on se connait depuis des années. Je l’ai connue quand j’avais 15/16 ans, quand mes parents m’ont envoyé en Angleterre en internat. Au final j’ai tellement adoré que j’ai fait toutes mes études là-bas et avec Alex, c’était une évidence, c’est devenu ma meilleure amie très vite. J’avais l’impression de la connaître depuis toujours. » Et cette sensation d’amour fraternel pour elle ne s’est jamais évanoui, même lorsqu’elle était partie pour New York sans prévenir personne.

« Je peux la comprendre... » Rien de plus, rien de moins. Bien sûr qu’elle comprenait les frayeurs d’Alex à l’idée que son cousin ne revienne jamais de ses missions. Pour cause, ils étaient tous les deux au courant qu’elle n’avait que trop peu de famille autour d’elle. Il était au-delà d’un cousin, un véritable frère de cœur, tout comme Deborah pouvait être une âme sœur (dans le sens non amoureux du terme, évidemment). « C’était pas vraiment la morale mais elle avait clairement pas envie que je sois là. Elle soutient le projet mais ses angoisses naturelles lui font toujours imaginer le pire. Je te dis même pas sa réaction quand elle a compris qu’on était tous les deux dans le même bateau… » Son cousin et sa meilleure amie, sur la même mission, confrontés aux mêmes risques. Elle péterait sûrement un plomb si elle savait, qu’en plus, ils étaient dans le même véhicule, augmentant les risques d’y passer tous les deux si un pépin devait arriver.

Le genre de pépin qui s’annonce sur une radio, celle-là même qui résonnait dans la voiture. Voiture 7, la leur, évidemment. Ils n’étaient pas idiots, ils visaient la dernière voiture du convoi, celle qui était plus simple d’attaquer parce qu’elle était plus facilement mise de côté. Comme la brebis galeuse en fin de troupeau qui s’égare. La procédure se mettait en place : les voitures devant eux prenaient de la distance, elles accéléraient la cadence. Le but n’était pas de les semer mais il était hors de question de perdre l’ensemble du convoi dès maintenant. Les 5 individus identifiés pouvaient les prendre pour cible. Rien n’était sûr, il s’agissait seulement d’assurer ses arrières et Nate s’y préparait, son arme sortie de son étui et à la recherche, d’une main, des grenades fumigènes dans son sac. Deborah l’écoutait attentivement. Ça serait mentir que de dire qu’elle ne ressentait pas d’adrénaline engendrée par un certain stress. Le même qu’elle peut avoir quand elle est au volant de son ambulance et qu’il est question de vie ou de mort. « Ok, j’ai compris... Droit devant. »

Adroitement, ils échangeaient leur place. Un court instant où la voiture ralentissait et où les individus en question y voyait un signe pour foncer vers le véhicule à bord de leurs motos. Concentrée sur sa trajectoire, Deborah n’y prêtait pas attention. Son objectif à elle était de suivre le peloton tout en gardant une distance sécuritaire avec eux. Les secondes s’égrainaient et les premiers coups de feu se faisaient entendre, la faisant sursauter au premier. Une dissuasion insuffisante, les motos s’approchant de plus en plus, à la fois à l’arrière comme sur les côtés. « Nate ! Devant ! J’ai une idée ! » Elle lui sommait de lancer sa première grenade devant, comme il en avait eu l’idée précédemment. A la différence que la suite n’allait pas se dérouler comme Nate l’avait envisagé. « Accroche-toi ! » Comme initialement prévu, elle fonçait dans le nuage de fumée mais au lieu de le traverser, elle s’arrêtait à l’intérieur. « C’est à ton tour de me faire confiance... Quand je te le dirais, tu lances la deuxième devant. » Quelques secondes d’arrêt, le temps d’écouter son instinct et les motos en approche. Elle se doutait qu’en ne les voyant pas sortir de là, ils allaient venir à leur rencontre. Dès qu’elle les sentait assez proches, elle enclenchait la marche arrière à toute vitesse, les pneus mordant la poussière.

En marche arrière, elle sortait du nuage du fumée, laissant les motos dans le brouillard. Néanmoins, elle ne comptait pas sur le fait que ça allait les embrouiller assez. Assez éloignée du restant de fumée, elle lançait en direction de Nate : « Maintenant ! » Criait-elle en apercevant les motos prêtes à sortir également. Un nouvel écran de fumée se déployaient devant les deux roues. Le bon moment pour Deborah de se relancer vers l’avant, contournant le nuage à une vitesse peu raisonnable. Le temps que le nuage se dissipe et que les motards se rendent compte qu’ils n’étaient plus en marche arrière mais bien dans l’autre sens, elle avait le temps de s’éloigner et prendre de la distance pour rejoindre les autres véhicules. Non sans jeter des coups d’œil dans ses rétroviseurs, elle fonçait droit devant de longues minutes pour finalement n’apercevoir que des petits bonhommes à l’arrêt, les bras levés de colère d’avoir manqué leur cible ! « YES ! Je suis une pilote ! » Riait-elle en ralentissant un peu la vitesse, une main vers Nate pour un high five, pas peu fière d’elle de n’avoir fait aucun blessé.