game of shadows + carlina

game of shadows

@CARL FLANAGAN ☆ MINA VALERIOUS

gifs by (c) ammahcrellin et (c) cosmicgirl

Les rues de Bristol vibraient sous le rythme lourd des tambours, le ciel orange saignait de lumières crues et de néons. L’air avait ce goût métallique, entre la pluie qui menaçait, comme un jour sur deux en Grande-Bretagne, et les effluves d’alcool qui flottaient comme un nuage épais, collant aux murs de briques humides… comme un jour sur deux en Grande-Bretagne. La parade d'Halloween serpentait à travers les ruelles sombres et les grandes avenues de la ville, meute hurlante dans un bordel de rires, de grognements et de musique qui crachait des notes acidulées. Des monstres faits de paillettes et de faux sang déambulaient avec la désinvolture des âmes déjà bien imbibées. Mina, elle aussi, tanguait un peu, l’ivresse encore chaude sous la peau. Elle et ses quelques amis (non, sa Cour), sortaient d’un préquel de la soirée qui s’était déroulé chez l’un d’eux et où ils avaient abandonné quelques cadavres de bouteilles de bière, de vin, de gin, pour se mettre en jambe. L’alcool effaçait un peu les bords tranchants de son esprit, rendant tout plus flou, plus drôle, plus facile.

Elle avait enfilé une robe noire fendue, toute en dentelle déchirée et en tulle, laissant peu de place à l’imagination et flattant cette silhouette entretenue d’arrache-pied. Un corset ornait sa taille, si serré qu’il semblait la scinder en deux, ce qui soulevait une question aussi cruciale que perturbante ; comment faisait-elle pour respirer ? L’allure en valait la chandelle, toujours. Son masque représentait le visage d'une poupée en porcelaine brisée, au regard fixe, inquiétant, et au sourire figé, donnant des frissons. Elle-même ne saurait pas expliquer en quoi elle était déguisée, peut-être une sorte de jouet de collection hanté abandonné sur l'étagère de la baraque abandonnée d'une mamie étrange, un truc flou, mais suffisamment étrange pour ne pas avoir à se justifier. Elle aurait volontiers opté pour la reproduction fidèle d’une référence à un obscur film de série B comme elle les aimait, sauf que l’expliquer à son entourage, qui ne voyait en Halloween qu’une énième bonne raison de s’avancer un coma éthylique, l’aurait fait passer pour une intello snob à leurs yeux, et son besoin d’appartenance était plus fort que sa volonté d’offrir un hommage en bonne et due forme à sa fête préférée — aussi pathétique cela soit-il.

Les corps se frôlaient dans la foule, masques grotesques, rires gras, et effusions de cris, tout le monde voulait être le plus effrayant, le plus impressionnant, mais c’était plus grotesque que terrifiant. Les visages autour d’elle se fondaient dans une mosaïque de crânes blancs, de visages maquillés, de fausses plaies ouvertes, de masques grotesques aux sourires trop larges. Mina se sentait à sa place dans ce genre de foule chaotique, créative et laide. Les stands de boissons avaient déjà un air de champ de bataille, les verres en plastique jonchaient le sol. La jeune femme manquait de trébucher sur un d’eux, mais sa bande la rattrapa dans une clameur joyeuse. Ça sentait la bière renversée, les pétards mouillés, et les vêtements synthétiques trop proches d'une flamme. Ah, et ce foutu pumpkin-spice aussi. Elle avait des envies de meurtre à chaque fois qu’elle entendait une aspirante influenceuse du dimanche sur-maquillée dans ses yoga pants galbants articuler les mots “pumpkin spice”. Même l’odeur lui soulevait le cœur avec dégoût désormais.

Et puis, au détour d'une rue, elle le vit. Un gars, un peu en retrait du flot de monstres, ses bras croisés. Il portait un costume qui la laissait perplexe, en cela qu’il avait peu de chances de filer les jetons à qui que ce soit. Mina n’arrivait pas à comprendre ce que cela était supposé représenter, encore moins ce que le garçon faisait là, sur le côté, mais ça elle s’en fichait bien. Il semblait s’être planté là par erreur, au milieu du bal des ombres. La Valerious s’approcha, se faufilant entre deux zombies qui titubaient. L’alcool l’avait rendue audacieuse, comme à chaque fois, et la nuit la pousse à oublier ses filtres. Bonne blague, elle était toujours ainsi. « Hé, toi, c’est censé être quoi, ça ? » elle demanda, une pointe de moquerie dans la voix, les mots légèrement flous. Elle se pencha vers lui, observant le moindre détail de son accoutrement, sans trouver la moindre trace de frisson. À côté des loups-garous ensanglantés et des sorcières aux rires stridents, il ressemblait plus à un enfant pris en flagrant délit de mauvais goût. La foule continuait de défiler autour d’eux, les ombres déformées par les lumières stroboscopiques, mais à cet instant, c’était lui le focus, le mystère de son costume ridicule, et cette étrange curiosité qui la piquait.

@Carl Flanagan

Ses yeux détaillaient le costume approximatif du jeune homme. Un mélange maladroit de tissus et de maquillage lui donnait un air de… rien de bien effrayant, en effet, mais c’était l’effort qui l’amusait. Mina, qui ne comptait pas s’éterniser initialement, s’arrêta, amusée par la réponse du jeune homme. Il n’avait pas vraiment d’identité claire, pas d’explication prête à sortir pour justifier ce qu’il portait. C’était plutôt rare. En général, ceux qu’elle croisait à la parade arboraient un costume qui leur donnait un air de dévotion absolue, comme si leur choix de déguisement était tout ce qu’ils avaient de sérieux à offrir. Lui, par contre, semblait presque honteux de son improvisation hasardeuse. Il ne l’avait d’ailleurs pas envoyé paître, avec sa question somme toute peu agréable. Ses épaules étaient légèrement rentrées, et il jetait des coups d'œil furtifs autour de lui, comme s’il ne se sentait pas vraiment à sa place au milieu de ce défilé macabre. « C'est que.. c'est pas du tout le costume que j'avais prévu à la base, j'ai improvisé quelque chose mais.. ça doit se voir que je suis pas très manuel. » Du bout du nez, la blonde souffla un ricanement ironique. “No shit.” lâcha-t-elle en haussant les sourcils, mi-railleuse, mi-complice. Elle lui trouva un côté étrangement touchant dans sa façon de ne pas vouloir attirer l'attention, en dépit de la parade chaotique qui les entourait. Elle nota aussi la petite nervosité de ses gestes, cette manière de se tenir légèrement en retrait, comme s’il voulait se fondre dans les ombres de la parade tout en étant affreusement conscient qu’il ne s’y intégrerait jamais vraiment. Une brume légère venait de tomber, effleurant le sol de la rue d’un voile grisâtre, et elle songea à quel point il se démarquait dans cette scène lugubre. Avec ses vêtements un peu dissonants et son masque sans éclat, il avait l’air du dernier des résistants dans une foule de créatures avides de spectacle. « Remarque, aucun enfant partira en courant en me voyant alors que toi, par contre... » Gaffe à toi, brindille. Elle croisa les bras en le regardant d’un air de défi derrière son masque. Il n’avait pas intérêt à prononcer autre chose qu’un compliment compte tenu du ratage ambulant qu’il imposait à la vue des pauvres hères de la ville venus s’amuser. Sinon, elle pourrait lui faire regretter de lui avoir accordé l’honneur de son attention. « Je sais pas trop ce que tu représentes mais je trouve ça stylé. On doit juste pas paraitre très assortis tous les deux. » Les mots du garçon s’égrenèrent dans le chaos de la parade, presque effacés par les vagues de sons qui déferlaient, mais Mina les avait entendus, et elle laissa échapper un rire bref, presque tranchant, avant de s’interrompre, surprise par elle-même. Ce parfait exemple de DIY raté se tenait là, encore plus maladroit que la plupart des autres participants à cette procession déchaînée, mais, malgré tout, il avait une manière d’être – ou de ne pas être – qui captait son attention. Son explication hésitante et ce sens de l’autodérision maladroit provoquèrent une once de sympathie qu’elle n’aurait pas voulu admettre. « T’es pas obligée de rester tu sais (j’sais), j’veux dire.. y’a forcément mieux à faire dans le coin (sans aucun doute) et puis j’ai égaré mon frère (abrège), j’ai pas le choix que de l’attendre ici. Hum.. un rouquin déguisé en Joker, si jamais. » Rien à cirer, néanmoins la Valerious hocha la tête presque poliment. Avec un petit soupir, elle tourna le regard vers le tumulte lumineux et les silhouettes dansantes qui défilaient en aval de la rue. La parade semblait avancer comme un serpent géant, animé d’une vie propre. Chaque hurlement, chaque cri de joie ou de frayeur résonnait dans la nuit, comme autant de notes d’une symphonie étrange. Les lumières orangées et violettes découpaient des ombres sur les façades de brique, et les échappées de musique électro s’infiltraient entre les cris et les rires. C’était tout ce qu’elle aimait, cette atmosphère de folie douce. Elle n’avait pas de raison de s’en priver. Non, aucune. Ses yeux se rivèrent à nouveau sur lui, analysant chaque détail sans lui en laisser paraître. Elle aimait se dire qu’elle perçait les gens à jour d’un seul regard, mais avec un masque sur le nez, difficile de lire en qui que ce soit. Cependant, le langage corporel des chiens égarés était un message universel, et Mina n’avait jamais su combattre la sympathie teintée de pitié qu’elle avait pour les losers en bonne et due forme. « Laisse tomber, il t’a largué. » Triste vérité, pas la peine de prétendre autre chose. Elle avança, lentement, feignant l’indifférence alors qu’elle prenait soin de rester dans son champ de vision, provocante sans trop en faire. Elle fit quelques pas autour de lui, plissant les yeux en exagérant son inspection, sous le masque de poupée brisée qui, lui, était bien plus impressionnant que tout ce qu’il portait. Puis, elle s’était arrêtée, faisant soudainement taire cette partie d’elle qui aurait préféré continuer sa route, rejoignant sa Cour et leurs rires faciles. Mais elle aussi, elle avait des frères qui la faisaient sentir seule. Et elle trouvait cette sensation trop épouvantable pour laisser qui que ce soit la subir si elle pouvait l’empêcher, même un soir d’Halloween. « Ton frère te laisse souvent en plan comme ça ou c’est juste qu’il a eu honte ? » Mina força un souffle amusé, comme une précision tacite que derrière ses commentaires acerbes se cachaient une plaisanterie, consciente qu'il pouvait comprendre la question comme une invitation – ou comme une moquerie.

@Carl Flanagan

Le vent frais d’octobre caressait doucement les mèches blondes de Mina, effleurant son masque qui laissait paraître juste assez de peau pour montrer son rictus amusé. Pour un instant suspendu, elle se demanda pourquoi elle se trouvait là, plantée en face de lui, fixant cet être si différent d’elle avec une attention étrange. Elle n’avait aucun mal à lire l’hésitation, l’incertitude dans le ton du jeune homme. Lui qui, visiblement, ne s’attendait à rien d’autre que des moqueries. Ce qu’il dégageait n’était pas de la maladresse, pas seulement. C’était une hésitation, un besoin presque palpable d’être ailleurs. Mina s’y retrouvait bien plus qu’elle ne voulait l’admettre, et pourtant, ce type de vulnérabilité la mettait toujours un peu sur la défensive.
En l’entendant parler de son frère, quelque chose dans ses propos avait éveillé en elle une réminiscence bien enfouie, une mémoire floue d’elle et Marlow dans un autre temps, un autre contexte, quand il lui arrivait de la traîner, plus jeune, dans des fêtes et des rassemblements de ses amis qu’elle observait de loin, impressionnée et frustrée à la fois de ne jamais pouvoir vraiment s’intégrer. Elle comprenait d’un coup cette sensation que l’inconnu lui avait vaguement expliquée, ce mélange d’admiration et de recul volontaire, cette ombre dans laquelle il semblait évoluer malgré lui, celle de ce frère dont la présence imposante le dépassait peut-être.

La parade continuait de gronder autour d’eux, les ombres des participants s’étirant sur le bitume humide comme autant de spectres avides de s’insinuer dans les interstices du monde réel. Mina, pourtant, continuait de se concentrer sur cet étrange garçon, mi-effaré, mi-résigné, qui semblait ne pas savoir où poser son regard. Il se détournait, gêné, ses épaules voûtées sous le poids d’une gêne trop familière. Ce n’était pas la première fois qu’elle croisait ce genre de personnage. Des égarés, il y en avait à tous les coins de rue, et elle, sans trop savoir pourquoi, les attirait comme un phare. Ou c’était elle qui était attirée vers eux comme autant de petites parties d’elle oubliées, ses Horcruxes personnelles. Elle soupira en elle-même. Peut-être qu’elle ferait mieux de passer son chemin.

« Et toi tu t’attardes souvent sur les pauvres gars mal fringués ? C’est quoi, un genre de pitié ? Tu vas aller raconter à tes amis que t’as réussi à approcher le gros craignos de la soirée et bien rigoler avec eux, je suis sûr. » Il la fixait de nouveau, et elle continuait de jouer les inaccessibles. Le masque de poupée brisée, son accoutrement provocant, tout ce qu’elle portait comme une armure sociale pour détourner l’attention de ses propres failles, tout cela avait quelque chose de dérisoire face à cet autre masque, plus simple, plus fragile, qu’il s’efforçait de porter. Le garçon venait de déballer ses doutes comme on laisse tomber un fardeau, sans fard ni artifices. Elle leva un sourcil, surprise, et quelque peu désarçonnée, malgré elle. « T’sais, si tu veux que j’me casse, faut juste me le dire. Ou tu fais passer pour un monstre toutes les personnes qui ont le malheur de te parler ? » Sa voix était légèrement rauque, un ton plus bas que ce qu’elle aurait voulu, comme si elle-même hésitait à se montrer moins tranchante. La jeune femme se trouvait irritée par ses mots – cette idée qu’elle pourrait courir raconter à ses amis qu’elle avait trouvé « un loser pour rire ». Elle n’avait jamais aimé la pitié, ni la fausse compassion. Ce n’était pas dans sa nature de manipuler pour se moquer, bien que si cela avait été son intention, elle n’en aurait pas été à son coup d’essai. Si elle voulait rester ici, c’était par choix. Choix alcoolisé, mais Mina considérait qu’être ivre était le summum du libre arbitre. Croisant les bras dans une posture de défi calculée, elle reprit ; « Si j’avais envie de poser avec un quelconque trophée, ça s’rait pas toi. Va pas te croire passionnant à c’point. »

Les mots étaient sortis plus durs qu’elle ne l’avait voulu. Il y avait quelque chose dans son attitude, une manière de s’auto-saboter, qui la renvoyait brutalement à son propre reflet. Se voir à travers quelqu’un d’autre n’était jamais agréable, et c’était d’autant plus difficile quand ce miroir était un sombre inconnu, avec son air perdu et son désarroi mal dissimulé. Un peu d’orgueil, merde. Elle ravala sa hargne, consciente de son emportement, avant de s’adoucir légèrement. « Écoute, j’ai pas de compte à te rendre. Je reste pas là parce que j’ai pitié de toi, c’est tout. » Mina détourna son regard, cherchant dans la foule l’esquisse d’une échappatoire pour échapper à cette vulnérabilité qui s’installait, un brin dérangeante. Elle laissa ses doigts jouer avec une mèche de ses cheveux, une habitude qui trahissait sa nervosité. Pourtant, quelque chose dans cette conversation lui semblait presque agréable, une parenthèse inattendue au milieu de la parade. Elle finit par soupirer, acceptant finalement de lâcher prise. « Bon, allez. C’est Halloween, non ? Y'a sûrement mieux à faire que de te morfondre ici. » Elle esquissa un sourire ironique, un peu plus léger cette fois. « On va te trouver quelque chose de mieux que ce… bricolage. » Elle l’entraîna doucement vers la foule, un sourire en coin, prête à relever le niveau de la soirée du brun esseulé.