Black knight - (Mina)

Une fois n’est pas coutume, mais je me suis ennuyée aujourd’hui. Un seul client est venu au magasin en fin de matinée et plus personne ne m’a rendu visite de la journée. Si je n’aime pas les grandes affluences, enchainer les client.e.s à la pelle sans pouvoir souffler, compter les mouches voler n’est guère une activité plus attractive. J’ai bien réussi à tuer les heures du matin à jouer sur mon jeu du moment et faire mes quêtes journalières, et deux heures dans l’après-midi à faire du rangement, à réaménager l’espace en mettant en avant les nouveautés, mais rien de suffisamment captivant pour combler ma lassitude. Si j’apprécie mon métier, je suis ravie de voir 19h s’afficher sur mon écran d’ordinateur situé derrière ma caisse. Jamais à la minute près sur mes horaires, je l’éteins, enclenche l’alarme de la boutique, me sauve en dehors des murs de GINO, et verrouille ma porte d’entrée en vitesse. Pourtant, je ne suis pas pressée. Je n’ai rien prévu ce soir. Ce sera forcément plus passionnant. J’envisage de commencer sagement par rentrer chez moi et prendre une bonne douche. Manger est également une option viable même si ma flemme de cuisiner – si on peut appeler faire cuire des pâtes cuisiner – m’incite à aller diner à l’extérieur de mon domicile. Pour finir par geeker sur un jeu ou mater une série. Tout dépendra de mon humeur.

Finalement, propre et avachie sur mon canapé, le programme est : j’ai envie de sortir ! Je fais le tour de mon répertoire en quête de compagnie. Personne ne répond positivement à mon désir festif. Ok, il est vrai qu’on a fait une énorme soirée il y a deux jours, mais quand même. Mon esprit n’est pas rassasié. Mon corps déborde encore d’énergie à dépenser. Qu’à cela ne tienne, je vais sortir seule ! Je soigne mon look avant de partir. En plus de lisser mes cheveux, je revêts une robe noir moulante sans manche, bombant mon fessier rebondi, et au décolleté aguicheur sans être allumeur. De quoi mettre en valeur mes formes. Oui, si je veux sortir, je ne suis pas contre rentrer avec quelqu’un pour égayer ma nuit aussi. Habillée, j’enfile ma paire de baskets pour parfaire ma tenue. J’attrape mon gilet blanc posé en boule sur une chaise de mon salon pour affronter la fraîcheur nocturne. Définitivement prête, je quitte mon appartement. Je monte dans ma voiture et fonce à Harbourside, direction The Fisherman's Friend. J’aurais pu choisir d’aller en boite. C’est bien trop bruyant. Il est impossible de discuter sans hurler. Et même comme ça, on ne comprend qu’un mot sur deux. Bien sûr, ça a aussi ses avantages. Ça oblige à se rapprocher pour parler voire directement à chuchoter à l’oreille de mon interlocutrice quand je me montre malicieuse. Danser est également un bon moyen pour communiquer. Une danse peut parler plus que des mots. Ce soir je préfère l’ambiance d’un pub. Et ses excellentes bières m’ont également motivée !

Le trajet effectué, je me gare sur le parking et file à l’intérieur. L’endroit est encore relativement désert. Il est trop tôt pour qu’il prenne définitivement vie jusqu’au bout de la nuit. Ce n’est pas plus mal. Au moins je n’ai pas à lutter pour me trouver une table de libre. Je commande une pinte de leur bière du mois auprès de la serveuse venue à ma rencontre. Plutôt mignonne, je la suis du regard s’éloigner de moi et s’avancer vers la tireuse préparer ma boisson. Mes opales la quittent pour une autre silhouette féminine assise sur un tabouret. Elle est en pleine discussion avec un homme. Au sourire carnassier dessiné sur les lèvres du mâle, je comprends tout de suite que ce dernier essaye de la draguer. Sans être capable d’entendre la moindre parole de leur conversation de là où je suis, je devine que cette femme n’est pas intéressée. Avec sa gestuelle, elle lui formule clairement. Son dragueur ne les capte pas ou ne veut pas les capter. Il insiste en rompant au fur et à mesure la distance entre elle et lui. En théorie, c’est à elle de gérer la situation et je n’ai pas à intervenir. En pratique, je me refuse de rester passive et la laisser dans ce guêpier. Solidarité féminine oblige. Ou peut-être parce qu'elle me parait attrayante aussi, je l'admets. Me levant de ma chaise, d’une démarche assurée, je m’approche du duo. Je me cale sur le côté de la demoiselle. « Depuis quand tu commences la fête sans moi, chérie ?! » Un sourire lumineux ponctue ma question. J’enroule mon bras autour de ses épaules. Je reste soft dans mon attitude. Le but premier est de la débarrasser de ce relou et non de la mettre davantage mal à l’aise.

Mon attitude peut paraître étrange. Je ne connais rien de cette femme. Je ne l’ai jamais croisée – je ne l’aurais pas oubliée sinon. Je n’envisage même pas de la débarrasser de cet homme pour obtenir une quelconque faveur. Je ne supporte simplement pas ce comportement carnassier insistant. Je ne blâme pas ce type pour l’avoir abordée. J’aurais très bien pu être à sa place tant cette femme est mignonne. Je ne le blâme pas davantage pour s’attaquer à une femme bien plus jeune que lui. Si elle est là, c’est qu’elle est majeure. Et je n’ai pas à juger les préférences des gens. Je blâme son attitude déplorable. Ce n’est pas compliqué de comprendre un non. Si j’ai décelé les signaux de ma position, je suis convaincue qu’elle l’a formulé ouvertement. De plus, ce n’est pas comme si cette femme était l’unique représente de la gent féminine des lieux. Il a l’embarras du choix niveau cible. Il a fallu qu’il insiste. Enfin, d’un côté je le remercie. Il m’a offert une opportunité d’approcher cette blondinette. Blondinette qui sait se servir de ses neurones quant à elle étant donné sa façon de rentrer dans mon jeu. « Surtout quand ils sont offerts par la femme de ta vie. » Je lui lance un clin d'œil complice. J’en fais clairement de trop là ! Je me retiens de rire de mes propres paroles. Nos regards se croisent et mon sourire s’élargit. Bien qu’il y ait du jeu dans mon attitude, je ne nierai pas que son charme est en partie responsable de l’écartement de mes lèvres. Je me détourne de son visage seulement quand elle porte son attention sur son interlocuteur initial. Il prend conscience que ses chances sont définitivement nulles désormais.  Il n’y a plus une seule dent visible sur sa face. Elle affiche sa frustration que sa bouche ne tarde pas à confirmer. Dans son état, je m’attends à une réplique l’homosexualité. Finalement, il décide de se taire et de s’éloigner en titubant. « En voilà un qui a trop forcé sur le gin tonic ! » Ou autre alcool. Je fais simplement référence au breuvage de la miss. Un rire m’échappe alors qu’il tombe presque par terre avant de passer la porte des toilettes. Mon avis qu’il va y rester un moment ! Tant mieux ! Je ne tiens pas à revoir sa tête ! Tout le contraire de celle de cette femme. A cette distance, de face, je constate qu’elle est encore plus mignonne que ce que je croyais. Nous rompons le contact physique – à regret, j’aimais la douceur de sa peau et la tendre chaleur qui en émanait. Je pose mes fesses sur le tabouret sur sa droite, ancre mes opales dans les siennes. « Je l’ai laissée dans ma voiture. Je comptais pas devoir sortir mon costume de sauveuse de jolies femmes en détresse ce soir ! » Mon rire cristallin résonne. Me voilà déjà en train de dégainer mon humour. Elle va certainement se demander où elle a mis les pieds. En même temps, à m’appeler chérie, elle me démontre ne pas être dénuée d’humour. Ça me plait ! « J’ai déjà une bière de commandée. » Une boisson qui arrive dans la foulée. La serveuse m’a vu et dépose mon verre devant moi au lieu de ma table avant de repartir aussitôt en salle. « Si tu veux me remercier, il va te falloir trouver autre chose… » Un rictus en coin étire mes lèvres. Ce ne sont pas les idées qui me manquent. Je préfère ne rien dire et laisse travailler son imagination. « Tu peux peut-être commencer par me raconter ce que fait une aussi jolie femme seule ici ? » Enfin seule, c'est ce que je suppose. En tous cas, elle n'a rien précisé sur une éventuelle attente. Quant à mes propos, c’est une suggestion pour papoter et faire plus amples connaissances. Libre à elle de me raconter ce qu’elle souhaite. Ou de vaquer à ses occupations et m'abandonner avec ma pinte. « Et au fait, désolée d’avoir agie ainsi, je n’ai pas eu de meilleure idée sur le moment. Tu m’en veux pas, j’espère. » A priori non étant donné que nous discutons. Je ne suis pas vraiment intriguée. Surtout que je n’ai rien fait hormis la toucher quelques peu du bout de mes doigts sans avoir fait aucun geste déplacé.

Est-ce que je suis déjà en mode séduction ? Évidemment ! Elle est mignonne cette blonde ! En fait, je suis à mon naturel. Je ne peux m’empêcher de jouer de mes charmes en bonne compagnie. Rien de méchant en soi. Ni de subtil, je l’admets. D’ailleurs, elle me le fait savoir à sa manière. Elle n’est pas décidée à se laisser tomber dans mes filets aussi facilement. De quoi me refroidir ? Pas vraiment. Au contraire ! J’apprécie qu’elle ait du caractère ! Le jeu n’en sera que plus intéressant ! En plus, pour sa défense, mon approche était naze. Digne du blaireau dont je viens de la débarrasser. « Il est vrai que tu me dois rien. C’est toi qui as proposé, chérie. » Je lui lance un clin d’œil amusé. Ce que je peux détester ce sobriquet. Je le trouve d’une niaiserie déplorable ! Alors qu’il me semble qu’il fait partie des surnoms les plus donnés dans les couples. « Car tu penses que je veux t’attraper ? » Je la nargue d’un sourire en coin. Je ne peux une part de vérité, mais pas de là à l’avouer totalement. J’en reviens que je suis avant tout intervenue à cause de l’attitude carnassier du mec. Et puis ça lui permet de découvrir que moi aussi j’ai mon petit caractère. En espérant que ça ne la fera pas fuir. Enfin, si elle me fuit pour cela, c’est qu’elle ne me mérite pas. Et oui, mes chevilles vont bien. L’atmosphère chaleureuse se trouve refroidie. Je fais un pas vers elle avec mes justifications. Je ne suis pas une prédatrice ayant chassé un congénère pour lorgner sur sa proie. Je ne la considère pas comme un bout de viande sur pattes. Aussi dragueuse que je puisse être, je respecte les femmes. Sa réponse me fait sourire. Il ne faut pas trop la chercher la miss. Elle mord ! Mon regard glisse sur la combi qu’elle porte. Je n’y avais pas fait plus attention que cela. Elle aussi sait mettre ses formes en valeur. Ce qui nous fait un point commun. Tout n’est pas perdu ! « Je comprends. Y a rien de pire que les tâches d’alcool sur les fringues. » Je parle en connaissance de cause. Si ce n’est pas laver directement, ça s’imprègne dans le tissu et c’est foutu ! Je me suis fait avoir plus d’une fois. J’ai dû jeter quelques robes à cause de ma négligence. Je les ai rapidement remplacées. J’étais même ravie d’avoir un prétexte pour faire du shopping. Je saisis mon verre. Je m’enfile une gorgée de ma bière. Je passe ma langue sur ma lèvre supérieure pour retirer la mousse présente. Je retiens de sortir un rot. Je ne suis pas avec ma bande de potes là. Je dois me tenir ! Enfin, je ne sais pas vraiment. Je doute que la blonde veuille s’engager dans une conversation. Ou si. Son humour sort de sa bouche. J’aime beaucoup. Mes lippes s’étirent de malice, contentes de faire face à une consœur clownesque. « Oui j’ai un blaze, mais tu comptes pas m’appeler chérie tout le long de la soirée ? » Un rire éclatant m’échappe. Je ne le supporterai pas. Même si elle était ma copine. J’ai besoin d’une dizaine de secondes pour me calmer de ma connerie. « Je m’appelle Jill. Je suis prête à accepter un pseudo de justicière si tu m’en trouves un cool. » Je ne suis pas contre les surnoms. Je suis habituée à en donner aux gens. En fait, quand je le ne fais pas ou que j’appelle les gens par leur prénom, c’est mauvais signe. C’est que je suis trop sérieuse. « Et toi alors ? Comment je dois t’appeler mignonne blonde en détresse sauvée par mes soins ? » Un énième rire résonne dans la salle. Je la taquine. Bien qu’elle soit réellement mignonne.