(james #2) so raise your glass

09/2024 Gala Weatherton, Waldorf Hotel

(tenue) Eddie ne serait pas vraiment Eddie s'il ne noyait pas comme à son habitude ses préoccupations personnelles dans le travail, et ce peu importe la forme que ce dernier doit prendre – ici, un prestigieux Gala de mode auquel le jeune père assiste pour représenter la Maison Weatherton, de quoi lui donner une nouvelle occasion de briller en dehors d'une scène. Les évènements du genre sont encore loin de faire partie de sa routine mais Eddie s'y habitue, paré de son éternelle assurance et de vêtements griffés offrant un aperçu de la prochaine collection sur laquelle James peut travailler. D'un coin à l'autre de la pièce, le danseur engage quelques discussions et distribue poliment des sourires, tout en laissant trainer ses yeux et ses oreilles autour de lui. Les premiers remarquent assez vite la grande absente de la soirée, et Eddie se demande peut-être bien s'il n'est pas en train de prendre ses rêves pour la réalité lorsqu'il se figure que Ruby Hart ne fait pas partie des visages qu'il lui sera donné de voir ce soir. Les seconds captent quant à deux un échange entre deux petits fours, et l'information selon laquelle la semeuse de trouble ne serait pas simplement retenue ailleurs, comme il aurait été aisé de le croire.

Ruby, signer ailleurs et en l'occurrence, à Paris ? C'est le genre d'ironie dont Eddie n'a franchement pas le cœur à sourire, même si ces bruits de couloirs ont le mérite d'éveiller un étonnant mélange d'émotions en lui : un peu de soulagement, il ne dira pas le contraire, mais aussi une certaine inquiétude à l'idée que ce soudain départ ne soit lié à cette histoire de presse people et de baiser volé. Des mois qu'Eddie prend sur lui pour ne pas laisser cet épisode ressurgir, quand bien même il pourrait plaider coupable d'avoir cherché à esquiver plus d'une fois la célèbre mannequin par crainte qu'elle ne se fasse d'autres idées. À quel point cet évitement a été remarqué, Eddie ne saurait le dire tout comme il ne prétend pas savoir ce qui a précisément poussé Ruby à partir, une part de lui espérant simplement que cela n'est pas pour les raisons qu'il s'imagine. Pas de version officielle, juste des ragots qui le déconcertent et l'amènent à se tourner vers la seule personne susceptible de l'éclairer.

Repérer l'élégant couturier n'a rien d'un casse-tête lorsqu'on sait où le chercher, et l'aborder en plein événement est un risque qu'Eddie consent à prendre si cela peut lui permettre d'en savoir davantage sur ce qui se dit de Ruby. « James, je vous cherchais justement. » annonce-t-il, peu hésitant dans sa façon de se présenter devant lui. Eddie considère qu'il n'y a pas mille façons d'amener la chose, et puisque cette soirée le condamne à devoir prononcer à haute voix le nom de celle qui a fait voler son couple en éclat, autant arracher le pansement tout de suite sans plus de cérémonie. « Je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer que Ruby était absente ce soir et j'ai cru comprendre qu'elle avait signé à l'étranger. Les français semblent décidément l'adorer. » Il ponctue ses mots d'une pointe de sarcasme sans même le vouloir, au nom de son dernier séjour sur le sol français et des souvenirs qu'il ne pensait pas ramener de Paris – quelque part, les français n’ont qu'à la garder si Ruby et ses déboires amoureux plaisent tant outre-Manche. Lui n'a plus qu'à conjuguer son mariage au passé, mais il tente à cet instant de mettre sa frustration de côté pour que James ne puisse pas douter de sa conscience professionnelle et d'une démarche pas si intéressée. « L'information est vraie alors ? » Avant de s'inquiéter des raisons et de se demander s'il peut y être pour quelque chose, Eddie a besoin d'entendre qu'il n'a pas rêvé et que la grande blonde est désormais assez loin pour qu'il puisse dormir un peu plus apaisé.

09/2024 Gala Weatherton, Waldorf Hotel

C'était bien connu, James avait toujours davantage apprécié d'organiser des galas que d'y faire acte de présence, sans doute parce qu'il en avait connu suffisamment pour savoir qu'une partie des personnes qu'il pouvait vouloir ignorer dans cette ville seraient là pour lui rappeler pourquoi il tenait précisément à s'en tenir loin. Mais là où le créateur était surtout d'humeur morose, c'était à l'idée qu'il n'y a encore pas si longtemps, son père y aurait fait une entrée remarquée et l'aurait sauvé d'une ou deux de ces conversations épuisantes de banalités entre lesquelles Norman avait toujours su jongler avec brio. Ce n'était peut être pas le premier gala qu'il organisait depuis la disparition de son père, mais son absence se faisait ressentir chaque fois qu'il avait le malheur de l'imaginer franchir ces portes avec son flegme habituel, et la douleur revenait lui remuer le ventre à nouveau. Par chance pour James, qui commençait à broyer du noir au-dessus de sa flûte de champagne et qui était étonnamment d'humeur à ce qu'on lui changer les idées, l'un des convives avait jugé le moyen propice pour le rejoindre. Et pas n'importe lequel, Eddie faisant partie des visages qui représentaient Weatherton à l'international et étant donc plus susceptible d'être accueilli avec un semblant d'enthousiasme par le créateur qu'un de ces financiers barbants.

« James, je vous cherchais justement. » C'est l'impression qu'il lui avait donné lorsqu'il avait foncé dans sa direction comme une abeille sur un pot de miel. « Félicitations, vous m'avez trouvé. » Il souffla, un brin de sarcasme dans la voix, à peu près certain que n'importe qui d'un peu renseigné sur ses habitudes savait où le trouver quand il voulait lui mettre la main dessus à ce genre d’événements. James aimait peut être être le centre de l'attention, mais il n'avait aucune envie de passer les deux prochaines heures à serrer toutes les mains qui se présenteraient à lui alors comme à l'accoutumée, c'est en retrait du centre de la salle, là où il pouvait espérer un tant soit peu de tranquillité, qu'il s'était installé. « Je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer que Ruby était absente ce soir et j'ai cru comprendre qu'elle avait signé à l'étranger. Les français semblent décidément l'adorer. » Rien ne pouvait échapper au danseur, voilà la première pensée que formula James au moment de reporter son regard sur le reste des convives. « Les français en raffolent, c'est vrai. On ne peut pas dire qu'elle n'ait pas fait sensation à la Fashion Week de janvier. » Et si le coin de ses lèvres se retroussa par réflexe, c'est parce qu'il continuait de trouver toute cette histoire grotesque et était d'avis que personne n'aurait du en faire une telle montagne à l'origine. Eddie avait laissé ses lèvres traîner du coté de la jeune mannequin, ce qui était loin de faire de lui un fiancé modèle mais qui ne valait pas pour autant la peine à ses yeux d'envoyer balader plusieurs années d'une relation sincère. Bien sûr, ce qui au fond le minait le plus, c'était qu'Halston continue de lui en vouloir amèrement.

Son amie lui serait cependant peut être reconnaissante pour le petit arrangement qui s'était joué en coulisses au cours des dernières semaines. Arrangement qui aurait de toute façon fini par arriver aux oreilles d'Eddie à un moment ou à un autre. « L'information est vraie alors ? » Son regard sonda celui du danseur, croyant constater que cette idée pourrait lui inspirer une certaine inquiétude si elle devait être vraie. Sans doute pas parce que son bref rapprochement avec Ruby lui vaudrait de regretter la présence de la jeune femme si elle quittait brusquement le pays – surtout quand on savait les problèmes que ça lui avait attiré avec Halston –  cependant. « Vous êtes effectivement bien renseigné. Ruby quitte notre beau pays pour explorer d'autres horizons et nous lui souhaitons une excellente continuation. » Et bien sûr qu'il savait exactement quoi dire dans ce genre de situation pour dissuader les gens de fouiner davantage. C'était du moins vrai la plupart du temps, parce qu'ici James se doutait qu'Eddie attendait plus qu'une confirmation de sa part, raison pour laquelle il laissa ses doigts tapoter le rebord de son verre une seconde avant de souffler. « Mais ce n'est pas par intérêt pour sa carrière outre-manche que vous êtes venu m'en parler, je me trompe ? » Il y avait forcément quelque chose pour le turlupiner dans cette histoire, quelque chose qui l'empêchait de se réjouir de voir la source de ses problèmes conjugaux prendre le large.

Aux premiers mots du couturier, Eddie se contente d'étirer un sourire tout en modestie car s'il ne risque pas de s'attribuer un mérite, c'est bien celui d'être parvenu à trouver l'homme risquant le moins de passer inaperçu par ici. Pouvoir l'approcher d'aussi près est en revanche un privilège que le danseur n'entend pas gaspiller, et un temps jouant possiblement déjà contre lui – ainsi, aborder sans détour ce qui l'amène est encore la meilleure chose à faire quand on s'adresse à James, quand bien même Eddie renoue avec un sentiment bien connu au moment d'évoquer l'absence d'une certaine blonde : la colère qu'il n'a de toute évidence pas encore fini de lui vouer. « Les français en raffolent, c'est vrai. On ne peut pas dire qu'elle n'ait pas fait sensation à la Fashion Week de janvier. » Et s'il ne doute pas que James n'a ici aucunement l'intention de retourner le couteau dans la plaie, Eddie a de son côté bien du mal à ne pas soupirer par principe. C'était une occasion en or et Ruby ne s'est pas encombrée d'une once de gêne au moment de la gâcher, probablement désireuse d'obtenir son petit moment de gloire en n'hésitant pas à l'utiliser pour ça. Si le couturier continue d'aborder la chose avec légèreté, le danseur s'en trouve toujours incapable et il déteste cette amertume qui le ronge en repensant au geste de sa collègue. Ce baiser n'était rien, il est le premier à le dire mais il a aussi bien trop perdu dans cette histoire pour la minimiser aujourd'hui. Alors, face à James, étirer ne serait-ce qu'un sourire s'avère pour le moins difficile. « Je ne risque pas de l'oublier, oui. » admet-il pour seule réponse, plus conscient que quiconque du phénomène que Ruby a su créer autour d'elle. Quel dommage, vraiment, qu'elle ne sache pas attirer la lumière sans prendre les autres dans ses filets.

Doit-il alors comprendre que la célèbre mannequin a vraiment tout quitté pour la capitale française ? S'il ne doute pas des opportunités qui s'y trouvent, ce départ n'en reste pas moins inattendu pour une jeune femme qui semblait avoir ici beaucoup d'attaches. Ça, Eddie peut au moins se vanter de le savoir pour avoir échangé un certain temps avec la concernée durant leur séjour parisien. « Vous êtes effectivement bien renseigné. Ruby quitte notre beau pays pour explorer d'autres horizons et nous lui souhaitons une excellente continuation. » C'est drôle, cette façon qu'a James de présenter la chose de façon purement formelle comme s'il n'y avait finalement pas de vraie raison pouvant pousser un mannequin à qui tout réussit à partir. Au fond de lui, Eddie peut parfaitement nommer la crainte qui lui chatouille le bide et qui ne semble d'ailleurs pas vraiment échapper au célèbre couturier. Est-ce qu'en plus de le mettre en valeur comme personne, James est aussi maître dans l'art de lire en lui ? « Mais ce n'est pas par intérêt pour sa carrière outre-manche que vous êtes venu m'en parler, je me trompe ? » Cette fois, il ne retient aucun soupir et baisse même la tête une seconde ou deux, prêt à reconnaître que la subtilité n'est pas vraiment de son côté aujourd'hui. « Je m'interroge sur les raisons de son départ, c'est vrai. » Et se fiche pour ainsi dire pas mal de ce que pourrait devenir Ruby, là-dessus James ne se trompe pas. S'il ne lui souhaite rien de particulier, il espère par contre ne plus jamais avoir à la recroiser car une part de lui ne pourra jamais lui pardonner d'avoir agi par égoïsme pour quelques maudits articles. « Parce que je n'aimerais pas apprendre que c'est à cause de moi. » poursuit-il. « Du moins, à cause de cette histoire de presse people car mon intention n'a jamais été de faire des vagues, encore moins ici. » Dans le fond, c'est peut-être bien pour sa carrière fraichement débutée dans le milieu qu'Eddie s'en fait un peu. Il ne veut pas être reconnu comme celui qui a contribué au départ de Ruby, pas en ayant personnellement tout fait pour ne pas raviver cette histoire durant les derniers mois. Quant à l'estime de James, il ne tient pas à la perdre pour un fichu baiser qu'il n'a même pas un tant soit peu provoqué. « C'était l'un de vos meilleurs modèles, je ne comprends pas. » finit-il par ajouter, presque forcé de voir une corrélation entre ce départ et ses déboires médiatiques puisque Ruby était une figure de la Maison, le genre de recrue qu'on ne laisse pas s'envoler sans une très bonne raison.

09/2024 Gala Weatherton, Waldorf Hotel

Pour un peu, et s'il ne commençait pas à le connaître un peu trop bien pour en douter, James en viendrait presque à penser que le sort de Ruby intéressait Eddie plus qu'il ne le devrait. Après tout, son rapprochement avec la jeune femme avait bien failli lui coûter son couple et ne les avait pas seulement éclaboussés lui et Halston, alors James aurait pensé qu'elle serait la dernière personne qu'il s'étonnerait de ne pas trouver à cette soirée. « Je m'interroge sur les raisons de son départ, c'est vrai. » Il ne devrait pas s'en faire, pas alors qu'il n'y avait rien de moins commun que de voir une mannequin du calibre de Ruby trouver du travail à l'étranger, qui plus est alors qu'elle était devenue la chouchoute de la presse en janvier. « Ce genre de départs arrivent constamment, vous savez. Les mannequins voyagent au gré des opportunités et beaucoup s'échouent à Paris parce que la demande y est très forte. » Ce n'était pas la vraie raison au départ de la jeune femme, mais ça aurait tout à fait pu. « Vous savez ce que c'est, la France les fait rêver. » Et Paris, en particulier, était la terre de tous les possibles quand vous faisiez partie du monde de la mode. C'était là que les défilés les plus prestigieux se tenaient, là que l'excellence avait été définie des décennies plus tôt par des génies dont James s'était énormément inspiré tout au long de sa carrière. Et puis, la capitale française avait beaucoup d'autres choses à offrir qu'une jeune femme de l'âge de Ruby était susceptible de rechercher, voilà pourquoi James n'avait pas le sentiment de l'avoir pénalisée en organisant son départ. Sa vie serait bientôt bercée par des visites dans de somptueux musées, des balades dans certains des plus beaux jardins du monde et l'accès à une culture qui faisait fantasmer toutes les jeunes anglaises bercées au Fabuleux destin d'Amélie Poulain. « Parce que je n'aimerais pas apprendre que c'est à cause de moi. » - « A cause de vous ? » Qu'il puisse penser que le créateur aurait pris cette décision en fonction de lui avait quelque chose d'à la fois culotté et incroyablement amusant.

« Du moins, à cause de cette histoire de presse people car mon intention n'a jamais été de faire des vagues, encore moins ici. » James avait bien évidemment su lire entre les lignes dès qu'Eddie avait repris la parole, lui qui n'avait pas pu ignorer la culpabilité que le danseur semblait porter sur ses épaules depuis l'incitant qui lui avait non seulement valu de faire la une de la presse, mais aussi de subir – James pouvait l'imaginer sans mal – le courroux de sa fiancée. « Vous pensez vraiment que j'aurais mis tout ce temps à me décider si j'avais eu l'intention d'écarter Ruby à cause de cette histoire ? » Certes, James aimait mûrir ses plans d'action et savait dompter son impulsivité quand il était question de prendre des décisions stratégiques, mais dans ce cas bien précis il n'aurait pas attendu des mois pour finalement décider d'envoyer la jeune femme à Paris, tout simplement parce que c'était la solution la plus évidente et qu'il n'y aurait pas eu matière à tergiverser. « Ce n'est pas non plus Halston qui m'a demandé d'intervenir, si ça peut vous rassurer. » Il glissa du bout des lèvres, pour que ce point-là soit éclairci. Halston ne lui avait rien demandé, si ce n'est de s'expliquer et de prendre son mal en patience avant qu'elle ne soit capable de lui pardonner d'avoir joué un rôle indirect dans toute cette histoire, mais ça sans doute qu'Eddie le savait déjà. « C'était l'un de vos meilleurs modèles, je ne comprends pas. » Haussant les épaules, James porta sa coupe à ses lèvres avant de reposer un regard songeur sur l'assemblée. Eddie apprendrait tôt ou tard la vérité, mais laver le linge sale de sa famille en public ne faisait pas partie de ses activités fétiches, qui plus est lorsqu'il pouvait se payer le luxe de tourner un peu plus longtemps autour du pot. « Disons que de nouveaux éléments ont été portés à ma connaissance et que j'en ai conclu que ce serait préférable pour Ruby autant que pour Weatherton qu'elle s'éloigne quelques temps. » Tous ceux qui le connaissaient ne seraient en réalité pas surpris d'apprendre qu'il était une nouvelle fois intervenu pour éviter à Tybalt un nouveau scandale, sans avoir pu prédire en premier lieu qu'il se rapprocherait à son tour de la jeune femme et que la frivolité de celle-ci était loin d'être le plus gros problème que cette relation aurait en réalité posé. « J'avoue ne pas comprendre, moi non plus. » Il ajouta finalement, reposant ses deux yeux sombres sur le danseur, reprenant après un instant de fausse hésitation. « Je pensais que de la savoir loin d'ici vous rassurerait. Que vous retrouveriez votre tranquillité d'esprit maintenant qu'elle n'est plus une menace pour votre couple. » Quand bien même il n'avait jamais vraiment cru que Ruby représentait un tel danger, surtout face aux sentiments visiblement sincères qu'Eddie portait à Halston, il aurait cru que de savoir la source de ses problèmes loin de Bristol le soulagerait.