☆ James & Aliyah › Twelve seconds

09/2024 Waldorf Hotel

Il n'était pas rare que son regard se promène au gré des convives lorsqu'il prenait part aux galas de son épouse et se laissait entraîner par un soupçon de déformation professionnelle et jaugeait ceux qui d'après lui auraient mieux fait de passer entre ses mains expertes plutôt que d'opter pour des accoutrements qui les mettaient peu en valeur. Ce qui était plus rare, c'était qu'on accroche son regard au point de capter jusqu'à la dernière bribe de son attention, qu'on le pousse même à délaisser sa flûte de champagne et son téléphone auquel il restait toujours greffé de peur que l'atelier prenne feu en son absence – ou, plus vraisemblablement, qu'on ait besoin de lui sur place. Pourtant, lorsque l'orchestre embauché pour la soirée entama une prestation à la justesse remarquable, c'est bien la silhouette d'une des musiciennes qui capta son intérêt et lui valut d'adopter un regard étonnamment captivé et contemplatif, incertain quant à ce qui le fascinait autant dans sa présence autant que dans ce qu'elle renvoyait, mais absolument convaincu qu'il n'avait plus été subjugué de la sorte depuis un bout de temps. Peut être était-ce sa longue chevelure brune qui lui rappelait la crinière ébène de sa femme, le soir de leur rencontre, ou cette peau baignée de soleil qui lui conférait une beauté plus exotique encore. Peut être était-ce plutôt ce visage divinement sculpté, semblant dépourvu d'imperfections, ou cette silhouette élancée qui lui valait de dépasser d'une tête la plupart des femmes de l'assemblée. Ou bien était-ce simplement son élégance et sa prestance incontestables, la façon dont elle sublimait la robe fourreau qui épousait ses courbes – au point qu'il fulmine déjà à l'idée de ne pas être celui qui l'avait dessinée. Quoi qu'il l'ait captivé dès qu'il avait posé les yeux sur cette jeune femme, James n'avait pas le plus petit scrupule à l'observer comme si elle risquait à tout moment de se dérober à son regard. « Matthew ? » James profita qu'un serveur passe tout près pour l'intercepter avant qu'il ne vaque à d'autres occupations. Des occupations forcément moins importantes, dans l'immédiat. Dans le regard du jeune homme se lisait une appréhension évidente, preuve qu'il ne risquait pas d'oublier qui il avait en face de lui. « La jeune femme là-bas, debout près de l'orchestre. » Il désigna la brune d'un geste de la tête, croyant au même moment réaliser qu'elle le dévisageait à son tour. « Fais-lui servir une autre coupe et propose-lui de me rejoindre. » Il pouvait voir d'ici qu'elle avait déjà entamé la sienne et il ne serait pas un hôte digne de ce nom s'il ne veillait pas à ce que tous les convives – surtout ceux qui assurait l'ambiance – ne manquaient de rien. « Bien, monsieur. » Et parce qu'il savait que la loyauté des employés s'entretenait minutieusement, il lui glissa un billet entre les doigts avant de le laisser filer.

Le jeune serveur, habitué à céder aux caprices de James, traversa les quelques mètres qui le séparaient de la jolie brune désignée par le créateur un peu plus tôt, conscient qu'il n'était pas dans son intérêt de se tromper de destinataire au moment de transmettre son message. « Madame ? » Comme tout bon employé qui avait été formé à anticiper les moindres demandes des clients, Matthew était plutôt observateur et n'avait pas manqué de remarquer que les regards appuyés de James avaient visiblement suscité un certain trouble chez la jeune femme quelques instants plus tôt, ce qui rendait fatalement son approche un peu moins aisée encore. Mais les poules auraient des dents avant qu'il songe à discuter les ordres qui lui étaient donnés, quand bien même il n'était pas trop sûr de ce que James avait derrière la tête en l'envoyant tâter le terrain. Dans un monde idéal, le créateur aurait mis son audace à profit pour l'approcher lui-même. « Monsieur Weatherton a demandé à ce que vous ne manquiez pas de champagne. » Et lui tendant le plateau sur lequel trônait une flûte pleine et n'attendant que d'être dégustée, le serveur lui fit ainsi comprendre qu'elle n'avait qu'à se servir si l'envie lui prenait. Jetant un dernier coup d’œil à l'homme qui l'avait envoyé, comme pour s'assurer qu'il désirait bel et bien qu'il aille au bout de sa requête, Matthew reposa finalement son regard sur la jeune femme au moment d'ajouter. « Il désire également vous rencontrer. » Et ça n'était pas une demande inhabituelle ou même surprenante lorsqu'on connaissait James, qui profitait parfois de ce genre d’événements pour nouer de nouveaux contacts à défaut de s'y amuser autrement. Malgré tout, c'était déjà plus surprenant de le voir jeter son dévolu sur une musicienne, aussi séduisante et talentueuse soit-elle, quand il se contentait généralement d'approcher des personnalités susceptibles de travailler avec lui ou de lui apporter quelque chose à un autre niveau. Alors, sans connaître les motivations précises du couturier, Matthew en venait à se demander ce qu'il pouvait bien vouloir à cette jeune femme. « Voulez-vous bien me suivre ? » L'approche était formelle quand les intentions de James l'étaient en vérité beaucoup moins, mais il ne serait pas fidèle à sa réputation s'il faisait dans la simplicité la plus pure.