☆ James & Aliyah › Twelve seconds

07/03/1991

twelve seconds

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Je ne suis pas de ces femmes cavalières qui, résolues à empoigner leur rêve à pleine paume, se lancent dans leur projet sans réfléchir et avec la certitude que seule compte la détermination et, par conséquent, la réussite. moi, je suis une peureuse cérébrale qui a trop à perdre en cas d’échec. Alors, mon désir de vivre de la musique, je l’ai maturé longtemps avant de me lancer. J’ai veillé à m’entourer de gens de confiance. J’ai aussi attendu d’avoir en économie le double des fonds utiles à la publicité, à la location d’un local de répétition et aux défraiements des assurances. Je me suis jetée à l’eau avec de l’angoisse au creux de l’estomac et, les premiers mois, la sensation d’avoir investi à perte m’a rapidement saisie. J’ai nourri la sensation d’avoir salé la note déjà élevée de par la somme de mes peurs. J’ai puisé espoir et réconfort auprès de mes proches, ce soutien indéfectible né de l’amitié, de l’affection, du sens de la famille. Dieu ce qu’il m’aura été nécessaire quand mon petit orchestre a connu des débuts difficiles. Nous avons bien signé des contrats par ci par là avec des particuliers, mais ils ont à peine suffi à couvrir nos frais. Certes, je n’ai pas perdu en motivation, mais combien de fois n’ai-je pas envisagé de tout arrêter ? Trop souvent. Beaucoup trop.

Je me souviens qu’au terme de mon entretien téléphonique avec le responsable de l’Emerald hotel, j’ai cligné des yeux d’hébétude. Je n’y croyais pas davantage en sortant du rendez-vous, mais une fois le feuillet en main, j’ai bondi d’enthousiasme, de joie, d’un bonheur incommensurable. L’émotion ne m’a plus quittée jusqu’au jour J. Ce soir-là, la nervosité a succédé à mon excitation quand, devant mon miroir, ma cousine comme spectatrice et conseillère, j’ai hésité longuement sur la robe qu’il convenait de porter. Le lieu est prestigieux et je suis une fille de rien, une enfant d'immigrés qui ont sacrifié leur vie pour en offrir une meilleure aux membres de leur famille. Le trac, avant la représentation, ne m’a pas aidé à me détendre. Au terme de cette dernière, j’ai soupiré d’aise pour mes collègues, pour moi, pour cette promesse du destin que notre petite entreprise est désormais lancée et qu’elle nous apportera, si pas la gloire et la fortune, de l’épanouissement. Si, plus tôt, mon trac s’est envolé dès les premiers accords agencés par Schubert, des applaudissements ont habillés mon minois d’un sourire rare. Rien ne semble en mesure de le déloger, pas même les quelques regards que j’ai croisés. Celui d’une femme fatale à la peau laiteuse et au corps affiné dans une robe fourreau griffées par la patte d’un grand créateur ne m’a pas renvoyé à ma condition de “ fille du peuple”. Pas plus que les grands yeux verts, que j’ai jugé admiratifs, de la vieille dame du monde observant plus qu’elle ne participe ne m’a pas forcé à baisser les miens. Seule l'œillade appuyée m’a amené à contempler mon verre de champagne avec trop d’intérêt. “Que veut-il” ai-je songé, réprimant l’envie de jeter un coup d'œil par-dessus mon épaule. Personne ne se tient dans mon dos cependant. Je l’aurais remarqué et me serais décalée par politesse. Et parlons-en, de cette satanée bienséance. Faut-il qu’il m’ait reconnu pour me dévisager sans vergogne ? Au contraire, puis-je m’en vexer ? Réclamer des explications ? Désarçonnée, j’ai dispensé le curieux d’un signe de la tête puisqu’il se dégage de lui une impression de déjà-vu, un petit quelque chose qui m’est familier. Plus audacieuse, j’aurais traversé la salle à l’instar pour l’aborder et quérir nonchalamment quelque explication, histoire de rincer ce doute présumant que je l’ai déjà rencontré. Au lieu de ça, je suis restée près de mon mange-debout avec mon équipe, faible de le détailler en retour quand l’indifférence aurait mieux valu. J’ai peur de l’image que je renvoie, mais je suis incapable de me détourner de son attention quand je me demande : que veut-il, se pourrait qu’il s’agisse d’une vieille connaissance que j’aurais oubliée ? Peu de chance, mais pas impossible pour autant.

10/08/1992

twelve seconds

@Aliyah Reeves ☆ James Weatherton

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09/2024 Waldorf Hotel

Il n'était pas rare que son regard se promène au gré des convives lorsqu'il prenait part aux galas de son épouse et se laissait entraîner par un soupçon de déformation professionnelle et jaugeait ceux qui d'après lui auraient mieux fait de passer entre ses mains expertes plutôt que d'opter pour des accoutrements qui les mettaient peu en valeur. Ce qui était plus rare, c'était qu'on accroche son regard au point de capter jusqu'à la dernière bribe de son attention, qu'on le pousse même à délaisser sa flûte de champagne et son téléphone auquel il restait toujours greffé de peur que l'atelier prenne feu en son absence – ou, plus vraisemblablement, qu'on ait besoin de lui sur place. Pourtant, lorsque l'orchestre embauché pour la soirée entama une prestation à la justesse remarquable, c'est bien la silhouette d'une des musiciennes qui capta son intérêt et lui valut d'adopter un regard étonnamment captivé et contemplatif, incertain quant à ce qui le fascinait autant dans sa présence autant que dans ce qu'elle renvoyait, mais absolument convaincu qu'il n'avait plus été subjugué de la sorte depuis un bout de temps. Peut être était-ce sa longue chevelure brune qui lui rappelait la crinière ébène de sa femme, le soir de leur rencontre, ou cette peau baignée de soleil qui lui conférait une beauté plus exotique encore. Peut être était-ce plutôt ce visage divinement sculpté, semblant dépourvu d'imperfections, ou cette silhouette élancée qui lui valait de dépasser d'une tête la plupart des femmes de l'assemblée. Ou bien était-ce simplement son élégance et sa prestance incontestables, la façon dont elle sublimait la robe fourreau qui épousait ses courbes – au point qu'il fulmine déjà à l'idée de ne pas être celui qui l'avait dessinée. Quoi qu'il l'ait captivé dès qu'il avait posé les yeux sur cette jeune femme, James n'avait pas le plus petit scrupule à l'observer comme si elle risquait à tout moment de se dérober à son regard. « Matthew ? » James profita qu'un serveur passe tout près pour l'intercepter avant qu'il ne vaque à d'autres occupations. Des occupations forcément moins importantes, dans l'immédiat. Dans le regard du jeune homme se lisait une appréhension évidente, preuve qu'il ne risquait pas d'oublier qui il avait en face de lui. « La jeune femme là-bas, debout près de l'orchestre. » Il désigna la brune d'un geste de la tête, croyant au même moment réaliser qu'elle le dévisageait à son tour. « Fais-lui servir une autre coupe et propose-lui de me rejoindre. » Il pouvait voir d'ici qu'elle avait déjà entamé la sienne et il ne serait pas un hôte digne de ce nom s'il ne veillait pas à ce que tous les convives – surtout ceux qui assurait l'ambiance – ne manquaient de rien. « Bien, monsieur. » Et parce qu'il savait que la loyauté des employés s'entretenait minutieusement, il lui glissa un billet entre les doigts avant de le laisser filer.

Le jeune serveur, habitué à céder aux caprices de James, traversa les quelques mètres qui le séparaient de la jolie brune désignée par le créateur un peu plus tôt, conscient qu'il n'était pas dans son intérêt de se tromper de destinataire au moment de transmettre son message. « Madame ? » Comme tout bon employé qui avait été formé à anticiper les moindres demandes des clients, Matthew était plutôt observateur et n'avait pas manqué de remarquer que les regards appuyés de James avaient visiblement suscité un certain trouble chez la jeune femme quelques instants plus tôt, ce qui rendait fatalement son approche un peu moins aisée encore. Mais les poules auraient des dents avant qu'il songe à discuter les ordres qui lui étaient donnés, quand bien même il n'était pas trop sûr de ce que James avait derrière la tête en l'envoyant tâter le terrain. Dans un monde idéal, le créateur aurait mis son audace à profit pour l'approcher lui-même. « Monsieur Weatherton a demandé à ce que vous ne manquiez pas de champagne. » Et lui tendant le plateau sur lequel trônait une flûte pleine et n'attendant que d'être dégustée, le serveur lui fit ainsi comprendre qu'elle n'avait qu'à se servir si l'envie lui prenait. Jetant un dernier coup d’œil à l'homme qui l'avait envoyé, comme pour s'assurer qu'il désirait bel et bien qu'il aille au bout de sa requête, Matthew reposa finalement son regard sur la jeune femme au moment d'ajouter. « Il désire également vous rencontrer. » Et ça n'était pas une demande inhabituelle ou même surprenante lorsqu'on connaissait James, qui profitait parfois de ce genre d’événements pour nouer de nouveaux contacts à défaut de s'y amuser autrement. Malgré tout, c'était déjà plus surprenant de le voir jeter son dévolu sur une musicienne, aussi séduisante et talentueuse soit-elle, quand il se contentait généralement d'approcher des personnalités susceptibles de travailler avec lui ou de lui apporter quelque chose à un autre niveau. Alors, sans connaître les motivations précises du couturier, Matthew en venait à se demander ce qu'il pouvait bien vouloir à cette jeune femme. « Voulez-vous bien me suivre ? » L'approche était formelle quand les intentions de James l'étaient en vérité beaucoup moins, mais il ne serait pas fidèle à sa réputation s'il faisait dans la simplicité la plus pure.

07/03/1991

twelve seconds

@James Weatherton ☆ Aliyah Reeves

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À des kilomètres de la maison de mon enfance, perdue au milieu des bien-nés ou des favoris du destin, je reconnais à mes tympans la voix de mon père depuis les tréfonds de ma mémoire. Elle scande des avertissements à l’endroit des hommes. Ils ressemblent à des “méfie-toi d’eux, ma fille. Rares sont ceux pétris de bonnes intentions. Ils sont capables de tout. Alors, baisse les yeux ou tu les provoquerais.” Convenait-il de le prendre au sérieux ? En tout franchise, jamais je ne me suis posé la question. Il faisait figure d’autorité et j’étais une gamine obéissante. Contrairement à ma cousine, je suis passée au travers d’une crise d’adolescente et, de crainte d’être objet d'opprobre pour mon nom, j’ai appliqué ses conseils à la lettre, évitant quiconque n'inspirent pas mon intuition. Est-ce donc utile de préciser ô combien je suis mal à l’aise d’être dévisagée par un inconnu ? Que sans cette familiarité dans ses traits, je fixerais le fond de mon verre en quête d’un diamant imaginaire ? Donnez-moi une pelle et je creuserai un trou dans lequel me cacher. A défaut, j’ai songé à fuir. J’ai déjà révisé les excuses à formuler à l’endroit de mes collègues musiciens et, sans l’arrivée inopinée du serveur et mon souci de bien-faire, je me serais exécutée. De quoi aurais-je l’air si je l’ignorais cet innocent ? D’une impolie ? Hors de question. je préfère éconduire qu’être grossière. Peu m’importe si j’ai l’air bête quand, prostrée dans un silence interrogatif, j’hésite à ramasser une coupe de son plateau. Quel message enverrait-il, le geste, au maître de cet employé suant à grosses gouttes ? Il est embarrassé, c’est indéniable, si bien que je reconsidère la démarche de l’exécuteur quand l’exécutant est perclus d’embarras. Un dragueur compulsif ne serait-il pas déplacé ? Il aurait certainement bombé le torse, cédé à la facilité des flagorneries et roulé des mécaniques dans l’espoir de m’impressionner. Au lieu de ça, il m’envoie un émissaire et me fait demander avec une telle formalité que j’en viens à douter de mon postulat de départ. Et s’il était question de travail ? D’un remplacement lors d’un événement dont il serait l’instigateur alors que l’orchestre engagé souffre d’un empêchement ? Ce n’est pas impossible, ai-je songé, me détendant enfant, assez pour saisir une coupe, pour sourire à l’Hermès en queue de pie et, ensuite, pour le remercier. ”Excusez-moi, j’étais ailleurs. Pouvez-vous me rappeler l’identité de celui qui vous envoie ?” J’en déploie des efforts pour gommer mon naturel de provincial. Mon ton en est emprunté et je me sens ridicule… doublement. Où ai-je vécu ces dernières années ? Dans une grotte ? La renommée du créateur le précède. Il côtoie les plus grands. Certaines collaborations lui ont offert les couvertures des magazines qu’Andrea sème dans l’appartement. Un peu honteuse, horriblement désarçonnée par ma bévue à l’égard de cet homme marié, j’ai bredouillé un ”je vous suis” qui m’a valu une maigre victoire : au moins a-t-il l’air soulagé que je lui emboîte le pas et c’est déjà ça de pris, finalement. Dommage que j’ai cherché à forcer les portes de sa discrétion pour qu’il instruise ma curiosité. Une information sur l’objet de la discussion à mener m’aurait préservé de l’angoisse de n’avoir été à la hauteur des exigences de l’épouse Weatherton. Il s’est raidit et j’ai capitulé. Son ton obséquieux, sa voix blanche de professionnel, il la réserve à son patron pour m’introduire à sa table. De près, il a l’air sympathique. S’il n’avait pas l’air aussi fier de lui, je lui aurais tendue une main ferme. Au lieu de ça, Or, elle est aussi tremblotante que ma voix chevrotante. ”Je suis désolée. Je ne vous avais pas reconnu ou je serais venue vous saluer de moi-même et…” Que dire de plus ? Ma spontanéité, essence de ma personnalité, s’est exprimée pour moi et je déplore de ne pas avoir réfléchi davantage avant de parler. J’aurais été moins maladroite. Je n’aurais pas ri bêtement dans l’espoir de balayer cette inquiétude que je lui confie tout de go. ”J’espère que ça vous a plu. La représentation. C’est votre épouse qui a choisi les morceaux.” La presse est formelle : ils sont liés par les liens sacrés du mariage, sans quoi je serais restée à l’écart de son invitation. ”Aliyah Reeves. Je suis ravie de vous rencontrer même si j’avoue que je ne m’y attendais pas. Est-ce que… est-ce que je peux faire quelque chose pour vous ?” me suis-je enquis avec altruisme, soucieux de préserver son temps des salamalecs inutiles : je ne suis pas une femme du monde.

10/08/1992

twelve seconds

@Aliyah Reeves ☆ James Weatherton

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09/2024 Waldorf Hotel

Il n'avait pas besoin d'être à un mètre d'elle pour imaginer combien son initiative surprenait la jeune femme, qui sans doute était loin de s'attendre à ce qu'on la convie auprès d'un homme qui aurait tout aussi bien pu faire le déplacement lui-même mais avait préféré envoyer un serveur pour transmettre son message. A sa place, il se demanderait sans doute ce que ça pouvait bien cacher et tenterait d’extorquer des réponses au pauvre messager, qui mieux que personne savait qu'il avait tout intérêt à se montrer convaincant. ”Excusez-moi, j’étais ailleurs. Pouvez-vous me rappeler l’identité de celui qui vous envoie ?” - « James Weatherton, madame. » Et de ce qu'il pouvait voir de la scène qui se jouait à l'autre bout de la pièce, Matthew était décidé à mener à bien sa mission. Mieux que ça, il semblait avoir transmis son message avec suffisamment de persuasion pour que la brune ait estimé qu'elle ne perdrait rien à se joindre à lui. L'unique issue susceptible de contenter un James un peu trop habitué à obtenir tout ce qu'il voulait. ”Je vous suis” Alors, la voyant approcher, c'est un sourire subtil qui orna aussitôt ses lèvres, la perspective d'une conversation avec la jeune femme l'enchantant même davantage qu'il ne l'aurait cru. Peut être se sentait-il définitivement seul, à ce genre de soirées, lorsque sa femme était occupée à tout orchestrer en coulisses et ne pouvait même pas le sauver de l'ennui. Ou peut être était-il surtout curieux de découvrir qui pouvait bien se cacher derrière cette troublante apparition qui l'avait tant troublé un peu plus tôt. Si le serveur lui introduisit l'arrivée de la brune si tôt celle-ci postée à sa hauteur, James se désintéressa bien vite au sort du jeune Matthew pour porter toute son attention sur la jeune femme. ”Je suis désolée. Je ne vous avais pas reconnu ou je serais venue vous saluer de moi-même et…” Elle l'avait donc reconnu, peut être parce que son nom lui avait évoqué quelque chose lorsque son messager était venu la trouver. James n'était pas le genre à rougir à l'idée que son patronyme ou sa réputation puissent le précéder, y compris lorsqu'il n'était pourtant pas tout à fait dans son environnement habituel, entouré de robes en tulle pour rappeler son génie. « Ne vous excusez pas. Ici, je ne suis pas supposé être au centre de l'attention, c'est ma femme qui dirige ces lieux et je ne compte pas lui voler la vedette. » Tout du moins il ne le faisait pas délibérément, conscient de tout ce que cet endroit représentait pour Cristina et d'à quel point l'illustre destinée des Waldorf représentait une pression de chaque instant pour son épouse. ”J’espère que ça vous a plu. La représentation. C’est votre épouse qui a choisi les morceaux.” La ligne de ses lèvres s'étira subtilement, preuve qu'elle touchait du doigt le sujet qu'il avait l'intention d'évoquer. « Cristina a toujours eu beaucoup de goût. » Et tandis qu'il laissa la suite de ses paroles en suspend, son regard raccrocha celui de la brune lorsqu'il ajouta. « En toute franchise, j'ai trouvé ça formidable. Vraiment épatant. Je comprends mieux pourquoi vous nous avez été si chaudement recommandés. » Il ne saurait plus dire par qui, ni quand, ce n'était pas dans ses attributions de veiller à ce genre de détails. Mais il se rappelait que sa femme avait fait des pieds et des mains pour les avoir et maintenant qu'il les avait vu à l’œuvre, il comprenait mieux pourquoi.

L'embarras de son interlocutrice transparaissait si facilement que même quelqu'un de beaucoup moins observateur que lui l'aurait assurément remarqué. Et ça avait quelque chose d’étonnamment rafraîchissant, de se retrouver face à quelqu'un que sa présence pouvait au moins en partie intimider, la plupart de ceux qu'il rencontrait à ces galas se laissant bien moins facilement impressionner par ce qu'il représentait, principalement parce qu'ils faisaient partie du même monde et que l'admiration qu'ils lui portaient ne prenait pas la forme d'une main tremblante ou de joues rougissant sous le coup de l'émotion. ”Aliyah Reeves. Je suis ravie de vous rencontrer même si j’avoue que je ne m’y attendais pas. Est-ce que… est-ce que je peux faire quelque chose pour vous ?” Sa surprise se comprenait et c'est même l'inverse qui l'aurait honnêtement étonné. « Tout le plaisir est pour moi. Je peux imaginer que vous vous posez quelques questions depuis que je vous ai fait convier à mes cotés, Aliyah. » Et d'autant plus alors qu'il avait des méthodes parfois spéciales, James, et le reconnaissait volontiers. Aller à sa rencontrer de lui-même aurait été plus simple, mais il en aurait perdu un peu de l'effet qu'il espérait produire. « A vrai dire, je suis même flatté que vous soyez venue. Certains ne se seraient pas arrêtés à mon nom et se seraient déjà enfuis. » Mais étrangement, c'était comme s'il avait pressenti que ce ne serait pas son cas. Comme s'il avait perçu, dès le premier regard posé sur elle, qu'elle aurait la curiosité d'approcher malgré la première impression très contrastée qu'il avait du lui faire. « Pour tout vous avouer, vous avez capté mon attention lorsque votre orchestre et vous vous produisiez, tout à l'heure. J'imagine qu'on a déjà du vous le dire, mais vous avez une prestance remarquable. » Ainsi qu'un minois ravissant et une silhouette qui n'avait rien à envier aux mannequins qu'il côtoyait quotidiennement. Rien que dans cette salle, il était impossible que seul son regard se soit attardé dans sa direction. « Je ne vous demanderai pas si vous avez été mannequin, je le saurais probablement si c'était le cas. Mais je me demandais si vous n'aviez pas déjà posé plus occasionnellement pour l'objectif d'un photographe ? Ou côtoyé de près ou de loin le monde de la mode, peut être ? Vous semblez faite pour épouser les lumières des projecteurs. » Et ça n'était pas un petit compliment de la bouche de quelqu'un comme James, qui était habitué à poser un regard très critique sur ceux qui faisaient partie de ce monde. Peut être n'était-ce pas le cas de la brune, qui était après tout présente en sa qualité de musicienne, mais on se devait de souligner le potentiel d'une perle rare, surtout lorsqu'elle alimentait à ce point le feu de l'inspiration chez un créateur tel que lui.

07/03/1991

twelve seconds

@James Weatherton ☆ Aliyah Reeves

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Le serveur, aimable et nerveux, a décliné l’identité de l’expéditeur de son message et il a perdu mon attention. Trente secondes, un peu plus, un peu moins, le temps de me pencher sur le côté pour vérifier que je ne suis pas victime d’un canular. A priori, non. Je suis bel et bien attendue par celui dont le visage m’avait paru plus tôt si familier. Figure de poupe de sa spécialité, nul besoin d’être instruit du monde de la mode pour le reconnaître. Ses traits sont placardés en couverture des magazines aussi souvent que son travail. C’est étonnant, finalement, que nous n’ayons jamais été présentés à l’époque où Mickey caracolait au sommet du mont Olympe. Peut-être nous sommes-nous croisés à l’un ou l’autre galas de charité auxquels je participais en traînant les pieds. Les strass, les paillettes, ils m’ont toujours mis mal à l’aise. Quand certains jouissaient des plaisirs du luxe, moi, j’étais renvoyée à ma condition de campagnarde, de fille d’émigrés qui prétendait que réussite n’était pas compatible avec le rêve. Ils étaient plus grands que mes ambitions modestement humble, trop, beaucoup trop. Si j’avais exploité mon plein potentiel, je n’hésiterais pas à suivre le message jusqu’à son employeur. Je ne regretterais pas de m’être attardée à cette inauguration. Je l’ai décidé pour de mauvaises raisons - galvanisée par les applaudissements d’une foule visiblement conquise, j’ai prolongé le combat - et je redoute à présent la gifle du destin sur le coin du râble. C’était idiot. Un âne ne sera jamais un cheval de courses. un orchestre ne peut damer le pion des professionnels. Pourtant, quoique fragilisée par ces présomptions, j’ai soustrais l’obséquieux de notre premier échange. J’ai aussi veillé à paraître naturelle alors que j’ai soigneusement répété mes excuses téléphonées tout au long du trajet séparant ma table de la sienne. J’ai estimé qu’il les méritait : je n’en suis plus persuadée désormais. Être polie ne dispense personne d’avoir l’air bête ou ridicule. Je pourrais tenter un trait d’esprit, mais je manquerais de cœur pour cet ouvrage. La fébrilité a entamé mes réserves de confiance en moi : ma poigne en manque d’assurance et mes joues rosissent. ”Et, c’est probablement en qualité d’époux que j’aurais dû venir vous saluer. Mais…” J’ai haussé les épaules, jugeant qu’enfoncer le clou ne me sera d’aucun secours. Pour sortir de la sphère du malaise, j’ai conduit la conversation autour d’une apparente banalité susceptible de m’en dire long sur cette rencontre. Elle relève toujours du mystère. ”Et elle a effectivement des goûts sûrs, si j’en crois ce que je vois. L’endroit est somptueux. Vous avez de quoi être fiers… tous les deux, je veux dire… sans vouloir me montrer présomptueuse.” ai-je d’abord déclaré, puis bafouillé, inquiète d’outrepasser ces droits réservés aux invités. Je n’ai pas reçu de cartons ornés de feuilles d’or et embossé au logo du Waldorf hôtel. J’ai signé un contrat : mon avis n’est-il pas facultatif ? Monsieur Weatherthon m’envisagerait-il capable de flagorneries avec l’espoir d’y obtenir quelque chose en retour comme, à titre d’exemple, la garantie d’un prochain engagement ? Il ferait erreur, mais toutes célébrités comptent son lot de profiteurs. Leurs flancs sont bordés d’âmes manipulatrices n’aspirant qu’à croquer le gâteau préparé par d’autres mains. Proposer mon aide, si tant est qu’elle soit nécessaire, gagera-t-il de ma bonne foi en suffisance ? Au moins l’heure de la révélation approche-t-elle enfin. ”Effectivement. Oui. Et j’aurais imaginé, justement, que votre nom attire plus souvent qu’il n’a tendance à faire fuir. C’est moi qui suis surtout flattée que vous ayez apprécié la prestation. On a beaucoup travaillés.” J’aurais apprécié porter le masque de la décontraction air détaché.. Si je n’étais concentrée sur mon interlocuteur, j’aurais entendu résonner à mon tympan les tiqueté de ma montre. Au lieu de ça, je ne perds ni le fil de la discussion ni le sens des mots prononcés et, à mesure qu’il les égraine, j’oscille entre une terrible envie de rire, une indicible surprise et cette satisfaction presque honteuse d'être flattée. ”Et j’aime ça. La musique. En faire mon métier a toujours été un rêve de petites filles et….” Je n’ai pas pu l’étudier officiellement : je suis cependant une amatrice particulièrement douée, assez pour séduire malgré l’absence de diplôme. ”Ceci doit expliquer cela.” Première violoniste, je donne la cadence puisque nous n’avons pas de chef d’orchestre et la passion m’enlumine. ”Un violon c’est noble, ça donne de l’allure.” l’ai-je ensuite contrarié, rougissant de nouveau, non pas pour vexer ou par fausse modestie. Je ne suis pas taillée pour accepter les compliments avec nonchalance. L’arbre de mes efforts n’aura porté que peu de fruits : l’embarras maquille de rouge de mes joues. ”Mais, je vous remercie. C’est très gentil de votre part.” Sauf que ça ne conduit nulle part. Est-ce le moment de prendre congé ? Ne l’aurais-je pas fait, fissa, si je n’avais pas été désarçonnée du canasson souffreteux qu’est mon aplomb ? Indécise, j’ai jeté un coup d'œil autour de moi, comme si la réponse à mes questions étaient épinglées sur les robes des femmes ou les vestons de ces messieurs. ”Et en effet, je n’ai jamais été mannequin. Pour ça, il aurait fallu que je sois à l’aise devant un objectif et que je sois photogénique.” ai-je ricané en survolant ce regard difficile à soutenir. Il recèle de cette lueur intimidante pour une femme au panache qu’il semble seul à avoir remarqué. ”Et que je sois…” Jolie ? Est-ce bien une condition ? Charmante ? Mentir serait prétendre que je suis dénuée de tout charisme. ”Elancée ? Et élégante aussi. Je vous assure que là, je fais de gros efforts pour ne pas rire pas trop fort, pour ne pas parler trop fort non plus” Rien dans mon attitude n’est factice cependant. Disons que je repousse légèrement mon naturel spontané pour ne commettre aucun impair, pour qu’un nouveau riche ne saisisse pas à mes manières d’où je viens et qui je suis. ”Mais, je suis touchée, croyez-le.” ai-je conclu en buvant une gorgée de champagne pour mieux feindre l’aisance.