I can't breathe | Morgan

Je termine de monter le dernier vidéo pour notre chaîne d'Urbex. J'ai pris congé aujourd'hui, justement pour me permettre de finir le montage. Je dois publier les Teaser ce soir pour la vidéo de vendredi.

C'est le troisième d'une série qu'on est allé tourner avant le cancer de Clara. J'essai d'étirer le contenue qu'on avait pré enregistré, mais on devra bientôt partir en vadrouille pour une nouvelle tournée d'Urbex. J'ai commencé à faire les recherches pour les prochains lieux qu'on va visiter. Habituellement Ez m'aide pour cette partie, mais considérant son état dernièrement, j'essai de lui laisser l'espace dont il a besoin. J'ai eu quelques localisations de collègue dans le monde de l'Urbex. Comme on ne publie jamais les vrais noms des lieux ou les vrais adresses, ça prend pas mal de recherche. Et entre Urbexeur, on s'échange des coordonnées. C'est un bon moyen d'entretenir les liens et de découvrir de nouveaux lieux.

Le monde de l'Urbex est régie par énormément de codes. C'est ironique considérant que c'est une activité plutôt illégal. Mais nous ne vandalisons et ne pillons pas. L'idée même de l'Urbex c'est d'être les témoins du temps et de la nature qui reprend son dû. C'est d'observer, de découvrir.  Il est important de ne rien dégrader ou de ne rien toucher. C'est l'une des règles de base. On laisse tout dans l'exacte état où nous l'avons trouvé.

J'étire mes bras, faisant craquer mes épaules par la même occasion. Je termine finalement, en mettant en ligne les teasers et en publiant des trucs sur nos réseaux. J'en profite aussi pour passer sur le groupe de notre podcast. Je regarde quelques publications de membres. Je ris à leurs conneries, en répondant et en likant certains commentaires. Ce qui est plutôt cool, avec une communauté et un fan base comme le nôtre, c'est que beaucoup ont le même humour noir et décalé. Je fais ensuite une publication pour donner des indices sur notre prochain cas, puis je regarde l'heure. Tim nous a dit qu'il ne rentrait pas ce soir et Ez devrait bientôt arriver du club de boxe.

La situation avec Ezra me fou en l'air. Depuis que sa mère a été hospitalisé et que j'ai dû appeler l'ambulance pour son père, il a dû mal à sortir la tête du tourbillon de noirceur qui le hante. Je sais qu'il a peur. Je le vois dans ses yeux. Dans chacune de ses manières de me fuir. Parce que même si je suis prête à lui donner toute la distance du monde, je le sens s'éloigner, perdu dans ses démons. Je n'aime pas cette distance qui n'a jamais existé entre nous. Je sais qu'il a peur d'être comme lui. Je sais qu'il ne me croit pas chaque fois que je lui assène que je n'ai pas peur. Que je sais qu'il n'est pas comme son géniteur. Il ne me fera jamais de mal, c'est une certitude profondément ancrée. Le fait qu'il se pose des questions, est seulement une preuve de plus. Son paternel ne se pose pas de question. C'est un monstre cruel. L'alcool et la drogue font  ressortir des traits déjà existant. Son père est un homme mauvais, il en sera un après — s'il y a un après.

Le voir plonger des ses paterns d'autodestruction, c'est difficile. Voir que cette fois, il a décidé de le faire loin de moi me fait souffrir et m'inquiète. Égoïstement, j'aurais aimé qu'il soit près de moi. Là, je ne fais que m'inquiéter. Je ne doute pas de son amour ou de notre relation. Je sais que ce n'est pas en jeu. Je sais qu'il m'aime. Ça aussi, c'est une certitude profondément ancrée. Autant dans mon âme que dans mon coeur. Mais voir une personne qu'on aime de tout notre être souffrir en s'éloignant, c'est difficile. Et puis... j'ai l'impression qu'il manque un truc à ma vie. Je sens le vide que son éloignement laisse.

Un soupire s'échappe d'entre mes lèvres alors que je ferme l'ordinateur de notre bureau. Je vérifie l'heure une nouvelle fois sur mon téléphone avant de commander à manger pour nous deux. Je crève de faim et je n'ai pas envie de faire une indigestion parce que j'aurai tué une autre recette.

La commande pour la pizza passé, je m'installe devant la télé, zappant sans vraiment écouter quelque chose. Les postes défilent, une émission de cuisine, une série inconnue, le télé journal. Next. Next. Next. Next.

Mon téléphone vibre dans mes poches en même temps qu'on sonne à notre porte. Je vais répondre au livreur. « Salut. » Il me sourit et me fait payer avant de se retourner et de partir alors que je le remercie.

Je pose la boîte sur la table du salon et j'en profite pour vérifier mes notifications. C'est un texto d'Ezra m'informant qu'il ne rentre pas ce soir. Qu'il passera la nuit chez Hadès. Il ne mentionne pas la suite, mais je la connais. Je sais que dans son état mental, et dans celui d'Hadès d'ailleurs, ce ne sera pas juste baiser et passer une soirée entre amis. Les deux retomberont dans leurs démons. Ils seront probablement complètement torchés et défoncés. Je n'ai jamais jugé leur consommation et j'ai confiance en eux pour veiller l'un sur l'autre si un problème survient. Mais je ne peux m'empêcher de penser à Gloria. À son overdose. À son corps gris, sans vie. Je ne peux que m'inquiéter, même si j'aime mieux que ce soit avec lui qu'avec d'autre personne moins recommandable. D'autre personne qui n'en ont rien à foutre. Ou pire seul. Parce que seul, personne n'est là pour faire quelque chose si ça dérape.

Je me mords les lèvres. Mon cerveau tourbillonne. Laissant mes propres démons, ma propre brûme de noirceur voiler mes pensées. Je les sens zigzaguer sous ma peau. Guettant le moment où je ne pourrais plus rien voir. Où ça m'étouffera. Mais je ne veux pas les laisser m'étouffer. Pas ici, pas seule. Lorsqu'ils sont trop fort, j'ai peur de moi. J'ai peur de ce que ma tête me cri et je n'arrive pas toujours à me ramener.

Je vois des images morbides. Des flashs de cadavres. Au début, ce ne sont que des gens lambdas. Des images tirés de mon tiroir morbide. Celui où je stock tout ce que je vois dans mes recherches pour le balado. Et puis, ça se mêle aux images réelles. À celles qui font vraiment mal. Pete sur un lit d'hôpital. Clara, faible, maigre, son corps sans vie. Le cadavre de papa dans son cercueil. Celui de Gloria, nu et ensanglanté dans notre bain. Mon coeur palpite de plus en plus fort. De plus en plus érathique. Ma respiration est chaotique et elle commence à devenir laborieuse. Les images qui passent sont maintenant tiré de mes pires cauchemars. Ezra et Hadès, mort d'une overdose. Tim un cancer l'aillant tué. Eli poignardé. Joséphine, le cou tordu par une chute dans l'escalier. Chaque une de ces visions me serrent le coeur. Le compriment, proche de l'éclatement.

Je sers les poings. Des démi-lunes s'imprimant en rouge rubis sur mes paumes. La brûlure de la douleur me ramène peu à peu. Ma respiration est toujours laborieuse, et mon coeur bas encore trop vite. Mais je revois la lumière. Tu ne peux pas rester seule ce soir. C'est une certitude. Je tente avec Eli, lui demandant seulement s'il est occupé. Il me répond vite fait. Comprenant sa non disponibilité assez rapidement. Tim ne me répond pas. Et la panique recommence à monter. Monter. Monter. Au même rythme que ma respiration qui redevient sifflante. Non. Non. Non. Je ne peux pas écrire à Ez ou Hadès. Je ne peux pas... je...

Mes pensées sont incohérentes. Mais j'ai assez de lucidité pour prendre mon manteau, la pizza, mes clefs et de foutre le camp de l'appartement. Je trouverai. Mais si je reste ici, je sombre. Et je ne sombre pas. Je ne peux pas sombrer.

Je grimpe dans la voiture, mets la pizza sur le siège passager et je démarre. Je ne sais pas où je vais, mais je conduis dans la ville. Essayant de calmer mon coeur. De retrouver une respiration normal. D'occuper mes pensées tordues.

Chacun des tournant sont aléatoires, n'ayant pas de destination en tête. Laissant l'instinct me porter. Sans m'en rendre compte, je traverse le quartier de Old City. Pour finalement tourner sur Marsh Street.. M'arrêtant devant le numéro civique dix-neuf.

Je ne sais pas s'il est là. Mais je l'espère. Parce que ce soir, je me perds. Et j'ai besoin de lui.

Je lui ai envoyé un texto, espérant qu'il me réponde. Qu'il soit chez lui ce soir. Mes pensées m'étouffent encore. Je suis inquiète, terrorisée et j'ai peur. Peur qu'ils leur arrivent quelque chose. Peur de me retrouver seule. Mes vieux démons sont si proches. Serpentant sous la surface de ma peau. Trop près pour que je me sente en sécurité. Je me suis promis de ne plus le faire. Mais quand mes pires peurs m'étreignent l'âme, je suis comme une droguée en manque de sa dose. À la différence que je n'ai même pas besoin d'en trouver. Tout est à portée de main. Je n'ai que très peu de vice. Je ne gère pas mon mal-être par l'alcool ou la drogue. J'ai assisté à trop de dérapage pour que ça fasse du sens à mes yeux. La trousse de Naloxone que je traînais dans mon sac partout où j'allais ados en est la preuve. L'overdose de Gloria, lorsque j'étais gamine, a marqué mon imaginaire et mes peurs au fer rouge. Jamais je ne pourrai oublié cette scène. Jamais je n'oublierai la panique, la terreur pure que j'ai ressentie en ce mois d'avril, l'année de mes cinq ans. C'est ironique parce que sa mort n'a pas éveillé le même genre de peur. Ça m'a marqué de façon différente. Ma fascination pour le sang et la mort est née ce jour-là. Je n'ai jamais été capable de m'en défaire. Bizarrement, j'ai une terreur bleue de perdre les gens que j'aime, mais tout ce qui touche à la mort, au sang, au gore ou au morbide m'attire. C'est probablement l'ironie qui guide mon existance depuis toujours. J'ai un esprit tordue. Il n'y a qu'Ez qui a été témoin de ma vrai noirceur. De tout ce poison qui rampe sous mon épiderme.

Je sors du tréfonds de mes pensées lorsque mon cellulaire vibre entre mes doigts, alors que je suis garée devant la demeure de Morgan. Mon ami m'indique qu'il est chez lui. Je lui demande d'ouvrir sa porte, lui indiquant que je suis devant.

Je sors de la voiture, prenant la boîte de pizza entre mes mains, n'attendant pas plus pour me rendre sur le porche de sa maison.

Mes pensées me font peurs et je sais que je pourrais replonger. Ça serait si... facile. Si douloureusement doux. Mais non. Je ne sombre pas. Je ne veux pas sombrer. Je ne peux pas sombrer.

J'attends, remuant devant la porte de sa demeure. Transférant mon poids d'un pied à l'autre. Un rictus pincé brouillant mes traits, le coeur au bord des lèvres. J'espère sincèrement que je ne le dérange pas. Je ne veux pas le déranger, mais je ne peux pas être seule. J'ai besoin de lui.

Morgan et moi nous connaissons depuis plusieurs années déjà. Je l'ai encontré lors d'une escapade à Londre. Depuis, on est devenu amis. Bons amis même. Malgré les circonstances, c'était une belle surprise de le voir débarquer à Bristol. Les choses n'ont pas été simple pour lui dans les dernières années, entre ses frasques étalées dans la presse à potins, sa blessure et ses sentiments pour une femme mariée. Il a eu son lot de truc à gérer. J'ai essayé d'être présente pour lui. L'écoutant quand ça lui était nécessaire. Lui changeant les idées et usant de mon incroyablement talent pour dire des conneries, lorsqu'il en avait besoin.

Quelque part, je pense que mon instinct m'a conduit devant chez lui, parce que je sais qu'il ne me poussera pas. Il sera là, me fera rire quand j'en aurai besoin, et si je me décide à parler, à ouvrir mon coeur, il sera là aussi. Sans en demander plus. Me laissant aller à mon rythme.

La porte s'ouvrir finalement, laissant apparaître un Morgan en jogging, une veste de foot sur le dos. Les cheveux encore trempés sur le dessus de sa tête.

Il n'y a que mon nom qui traverse la barrière de ses lèvres. Mon état se passe probablement de mot. Je doute que j'ai l'air d'un rayon de bonheur sortie tout droit du cul pailletté d'une licorne arc-en-ciel. Il me prend la boîte de pizza des mains, m'invitant à entrer par la même occasion, puis refermant la porte derrière nous.

Il pose la pizza sur la table basse du salon, avant de revenir vers moi. Le sportif passe un bras autour de mes épaules, puis, sans me lâcher me demande si ça va. Je fronce mon nez, parce que c'est une question qui pique. Je sais que c'est sa façon de m'ouvrir la porte. Il me laisse la possibilité de me confier. Mais je ne suis pas encore prête à y répondre. Je ne sais pas si je le serai, d'ailleurs. Je n'aime pas montrer cette facette de moi. Je me bas contre mes démons. Je les affronte chaque jour, tentant d'être une meilleure humaine que la veille. Mais quand ils sont si proches de la surface, que ma noirceur est presque visible, je ne me sens pas meilleure. Et je ne veux pas qu'on me voit comme ça. Je ne veux pas qu'on voit mes ombres et ma vulnérabilité. Je ne veux pas qu'on voit le poison qui coule dans mes veines. Il n'y a qu'Ez qui a pu le voir. Qui a su l'accepter sans jugement. Mais ce soir, mon tatoué a ses propres démons à gérer et je ne suis pas un fardeau. Jamais. Je me refuse à l'être.

Alors, j'esquive sa question, passant à un autre sujet. « J'avais très envie de partager cette pizza avec mon footeux préféré. » Que je lui dis, alors que je passe mon bras sous sa taille, répondant à son étreinte. Profitant de sa chaleur qui me fait du bien. Qui me donne l'impression d'être avec les vivants. D'avoir les deux pieds ancrés dans la réalité plutôt que les méandres sombres de mon esprit tordue.  « Tu vas avoir des problèmes avec mon entraîneur toi à m’apporter de la mal bouffe comme ça. » Je ne peux empêcher la commissure de mes lèvres de se retrousser. Ouais, c'est exactement pour ça que je suis venue le retrouver. « Promis, si tu lui dis pas, je lui dirai pas non plus. » Je tapote doucement sa hanche sur laquelle ma main est posée. « Et si, vraiment, il vient a découvrir mon affront à ton corps si pur, » Que je dis en levant les yeux au ciel. Parce qu'il a beau s'être assagi avec les années, et avoir pris en sagesse, il a passé quelques temps à faire la fête et à boire. Et ça, pour un corps pur, c'est moyen, moyen. « Je mentirai pour toi en disant que je l'ai mangé toute seule. Que tu as refusé avec courage, même sous le son de mes suppliques incessantes. » J'essaie de dire des conneries. J'ai besoin de rire. De rendre l'atmosphère moins lourde.

Le bras qu'il avait sur mes épaules remonte, ses doigts caressant tendrement l'arrière de ma tête. Je me laisse aller à profiter de ce geste réconfortant. Profitant de sa douceur pour réchauffer un peu la glace empoisonnée dans mes veines.

Il se dégage pour s'éloigner un peu. Juste assez pour poser ses fesses musclés de footballeur sur l'arrière du canapé. Coupant le contact de sa chaleur sur ma peau. Me privant un peu de se réconfort. « T’as envie de faire quelque chose ? On peut se mettre un film, une série. Je peux même te faire le plaisir de te mettre des compilations de mes plus beaux buts. Crois-moi, ça vaut le détour. » J'éclate de rire spontanément. Je suis convaincue qu'il a dit ça pour me faire rigoler. Et ça marche, parce que ça m'a pris au dépourvue. Morgan est un bon joueur. Il est peut être aussi l'égo plus gros que le cul de tous les éléphants de la terre réuni, mais il n'est pas non plus Narcisse. Sont propre reflet dans le miroir ne le fait pas bander.  « Ce n'est pas la modestie qui t'étouffe.Tu devrais faire attention, bientôt, tu devras faire poser des plus grands portes chez toi pour laisser passer ton énorme tête. » Je le chambre gentillement, sachant qu'il ne le prendra pas mal. On se connaît depuis assez longtemps et assez bien pour qu'il sache que c'est un commentaire taquin, sans aucune méchanceté. Il sait que je l'aime et que je l'apprécie. C'est juste que même quand il est sérieux — ce qui n'est pas le cas actuellement — il a tendance à s'apprécier beaucoup et ça me fait bien marrer. Même si quelque part j'envie un peu sa confiance en lui. Il sait qu'il est bon dans ce qu'il fait et quelque part, c'est beau à voir. « Même si cet honneur me flatte au plus haut point, j'ai envie de rire et malheureusement, t'es bon. Ça deviendra vite moins drôle. » Parce que c'est vrai qu'il est bon. Je ne suis pas une grande fan de foot, mais j'ai déjà été le voir jouer et il a du talent avec un ballon. C'est un sportif de haut niveau qui a travaillé fort pour devenir ce qu'il est aujourd'hui et malgré sa blessure, il a su rebondire en continuant de s'améliorer. C'est admirable. Je lui lève mon chapeau. Même si je ne lui dirai pas. Ça sera dommage qu'il ne puisse plus entrer dans sa propre maison.

« Mais un film ou une série, c'est une bonne idée. »

On s'installe sur la canapé, l'un à côté de l'autre. Je lui laisse le choix de ce qu'on va regarder. De toute façon, ça m'importe peu, tant que je suis avec lui et que mon cerveau peut partir derrière sur un truc plus sains que mes pensées actuelles, moi ça me va.

Je déchire le couvercle de la boîte de pizza pour nous en faire des assiettes de fortune et je lui tends sa pointe alors qu'il pèse sur play.

On mange en silence, le regard sur les images à la télévision qui défilent devant nos yeux. Puis, une fois nos estomacs remplie, on pose nos bouts de cartons sur la table basse.  

Je prends mon courage et vais poser ma tête contre lui. J'ai besoin de sa chaleur. J'ai besoin de son réconfort. J'ai besoin de savoir que je ne suis pas seule. Parce que ce soir, je n'ai pas le courage pour mener ce combat seule contre moi-même.