Fantôme entre deux scènes ++ Birdie

21/03/1994

tw : alcool, tabac.
Rp reserved : Birdie

J’erre dans la nuit, un peu vacillant, comme si chaque pas devait négocier avec le trottoir. J’ai bu juste assez pour brouiller les angles du monde, mais pas assez pour oublier. La clope se consume entre mes lèvres, lente et silencieuse, compagne fidèle d’un soir d’octobre où l’air mordille la peau. Chaque bouffée est une tentative d’exil, un répit temporaire pour tenir les démons en laisse. Ils sont toujours là, bien sûr, tapis dans l'ombre, prêts à murmurer à la première accalmie. Mais ce soir, je veux qu'ils se taisent.

Je marche sans but, laissant mes pensées suivre le vent frais qui glisse entre les ruelles. Être connu n’a jamais rendu les choses plus simples. Sous les projecteurs, on croit que je brille, mais personne ne voit vraiment ce qui m’habite. Les cris, les acclamations, c’est un vacarme creux qui masque à peine la tempête intérieure. À chaque concert, je donne tout — à en oublier qui je suis — puis, une fois le rideau tombé, le vide revient. Il me suit partout, ce foutu vide. Il s’installe à mes côtés quand je me couche, se lève avec moi au matin, et ce soir, il marche encore dans mes pas. Je me plais à penser que ces ruelles me connaissent mieux que n’importe qui. Elles ont vu mes nuits d’ivresse, mes errances silencieuses. Elles n’attendent rien de moi, elles se foutent de mon nom et des stades remplis. Ici, je ne suis qu’un type avec une clope qui tente d'oublier. C’est peut-être pour ça que je traîne si souvent dehors, à échapper aux murs trop étroits, aux attentes étouffantes.

Elle me traverse l’esprit, comme une ombre douce que je n’arrive jamais à chasser. Ma petite sœur. Est-ce qu’elle dort, est-ce qu’elle va bien ce soir ? Je devrais peut-être lui téléphoner, juste pour entendre sa voix et m’assurer que tout va bien. Mais je sais aussi qu’elle déteste ça — ce besoin de vérifier, cette habitude que j’ai de m’inquiéter un peu trop. Elle dirait que je la couve, que je devrais apprendre à lâcher prise. Peut-être qu’elle a raison. Mais c’est moi qui l’ai élevée, c’est moi qui l’ai ramassée quand personne ne se souciait d’elle. Qui d’autre le ferait, si ce n’est moi ?

Je tangue un peu sous l’effet de l’alcool. Chaque pensée se bouscule, lourde et confuse. Une part de moi voudrait l’appeler maintenant, juste pour savoir, juste pour être sûr. Mais l’autre se dit qu’il vaut mieux la laisser tranquille, qu’elle mérite un peu d’air, loin de mes angoisses. Elle a grandi, je le sais. Pourtant, dans mon esprit, elle reste encore cette gamine que j’allais chercher après l’école, celle qui posait sa tête contre mon épaule les soirs où le monde semblait trop grand pour elle. Je tire une bouffée de cigarette, en espérant que ça m’éclaire l’esprit, mais ça ne fait qu’ajouter un voile de plus sur mon indécision. J’ai toujours porté ce rôle comme une seconde peau : frère, gardien, ancre. L’alcool rend tout flou, les bonnes décisions se perdent dans la brume. Je sais que je devrais juste dormir et la laisser tranquille, mais ça m’arrache un peu, cette distance. Parce qu’au fond, je crois que c’est tout ce que je connais : veiller sur elle. Et si je ne le fais pas, qui le fera ?

Le silence me fait du bien. Il est froid mais honnête. Je m’enveloppe dedans, comme si je pouvais disparaître un instant. Juste un type qui tangue sous les étoiles, un fantôme entre deux scènes, cherchant un peu de paix là où il peut la trouver.

01/04/1988

octobre 2024 old city

Une nouvelle maison achetée, c’est une occasion de célébration. Ce n’est pas toi qui l’as dit mais Simon. Il a utilisé cette excuse, qui n’en est pas forcément une car c’est la réalité, tu as vraiment acheté une maison avec Jordan pour la deuxième fois, pour te traîner vers l’extérieur. Il est malin, Simon. Il a vu que tu commençais à aller mieux et il souhaite que tu ailles avec lui sur la même pente. Il veut te faire sortir de chez toi comme avant. Tu n’évoques pas ce qui t’es arrivé mais parfois, quand ça sort, c’est sous forme de raillerie. Alors Simon t'a amené, comme avant, dans un de ses bars préférés. Ca faisait longtemps que tu n’étais pas sortie aussi tard et encore plus que tu n’étais pas allée dans un endroit aussi bondé. Si tu appréhendais au début, tu t’es vite rappelée en enchaînant les cocktails que l’éthanol aidait, apaisait, faisait taire les démons intérieurs. C’est tellement plaisant comme sensation. Tu aurais envie de te rouler en boule dedans. Ce n’est peut-être pas conseillé avec ton traitement mais ce n’est pas une soirée d’extravagance que ça va poser problèmes. En plus, Simon a pris le soin de venir te chercher en taxi et vous repartirez sûrement de la même façon.

Enfin, c’est ce que tu pensais jusqu’à ce le bougre te lâche parce qu’un joli visage a réussi à le séduire et qu’il a une très belle vue sur la lune de son lit. Tu as roulé des yeux si fort avant de te rendre compte que tu allais être seule. Dans un endroit aussi bondé. T’aurais presque envie de pleurer tout d’un coup. Tout le sentiment de bien-être que tu as ressenti est parti. Tu ne perds pas une seconde, tu prends tes affaires et tu te sauves de l’endroit.

Mais dehors, la nuit est tombée, c’est sombre, c’est froid et tu commences à bien sentir le monde tanguer. Non non non, ce n’est pas le moment. Tes pas sont précipités et peu adroits, t’as l’impression d’entendre le rire d’Alistair dans tes oreilles. La douceur de tantôt se transforme en véritable monstre et t’en vacille mais sans pour autant tomber parce que c’est contre un corps que tu rentres, et non le bitume. Si d’habitude, tu es bien trop tactile pour ce monde, ce simple écart ne t’aurait pas dérangé ; mais là, dans ton état actuel, ça te fait le repousser brutalement. “Non, non, pas encore cette fois, c’est non, faut me laisser tranquille maintenant, dégage de ma tête!” C’est incohérent pour le commun des mortels mais toi, tu vois très précisément les mains d’Alistair sur toi, qui t’empoignent et qui t’entrainent de force.

21/03/1994

Les rues sont presque désertes, une mélodie lointaine se perd dans l’écho de la ville endormie. Chaque pas semble étirer le temps, et mes pensées, étouffées par l'alcool et la nicotine, se fondent dans l'obscurité. Un instant, je m'arrête, contemplant les lampadaires qui se tiennent comme des gardiens muets de cette nuit sans fin. L’odeur du bitume mouillé par la pluie récente monte, me rappelant que je suis encore ici, ancré à cette réalité, malgré tout.

Un souffle glacé s’infiltre sous ma veste, me réveillant à moitié de cet état d’ivresse léthargique. Je jette ma cigarette par terre, l'écrasant sous mon talon, et poursuis ma marche, comme si le mouvement pouvait chasser les ombres qui me suivent. Elles s’accrochent pourtant, implacables, déployant leurs griffes dans mon esprit. Les pavés irréguliers sous mes pieds se font traîtres, et je manque de trébucher, mais je me rattrape, jurant à demi-mot contre moi-même.

Je sens mon téléphone vibrer dans ma poche, mais je l’ignore. Ce n’est probablement rien, juste une autre alerte inutile, un message que je ne lirai que demain, lorsque l’ivresse sera passée, remplacée par une migraine et des regrets diffus. Je suis fatigué, éreinté par cette vie où tout semble faux dès que les lumières des projecteurs s’éteignent. Alors, je continue à marcher, cherchant je ne sais quoi dans le silence nocturne, peut-être un signe, un murmure du destin qui m’apporterait enfin la paix que je poursuis depuis toujours.

Un bruit attire mon attention. D’abord indistinct, comme un froissement dans le vent, puis plus net, un souffle coupé, une présence. Je me fige, mon corps tendu, les sens soudainement en alerte malgré la brume alcoolisée qui m'embrume l'esprit. Je me retourne, scrutant les ombres qui semblent s’étendre et se rétracter autour de moi. Une silhouette est là, légèrement en retrait, immobile comme si elle hésitait à avancer.

C’est une jeune femme, debout à quelques mètres, éclairée à demi par la lueur jaunâtre d'un lampadaire fatigué. Ses cheveux flottent légèrement dans la brise, ses traits indiscernables mais le contour de son visage, fin et délicat, se détache dans l’obscurité. Je ne l’ai jamais vue. Elle avance soudainement, comme si quelque chose l’avait décidé à briser la distance entre nous. Ses yeux sont sombres, fixes, absorbés par un point invisible au-delà de ma silhouette. Je n’ai même pas le temps de dire quoi que ce soit, de poser une question ou d’esquisser un geste, que sa main me heurte avec une force inattendue. Elle me repousse violemment, ses doigts crispés contre ma poitrine comme si elle voulait me repousser hors de ce monde, hors de cette nuit trop lourde de secrets. Elle ne semble même pas réaliser ce qu’elle a fait. Non, non, pas encore cette fois, c’est non, faut me laisser tranquille maintenant, dégage de ma tête! J'en hausse un sourcil, médusé et curieux. La vigilance devient plus vive, mais brouillée par l'alcool – Je ne sais pas ce qui vous assiège, mais je ne suis pas celui que vous pensez. Vous avez besoin d'aide ? L'alcool brûle dans mes veines, brouille mon cerveau, mais je ne suis pas encore un stupide alcoolique qui ne peut plus penser. Je tangue, mais je ne suis pas allongé. Je peux encore aider. Pas vrai ? Nous serons deux âmes perdues dans la nuit, dans le cas contraire.

@Birdie Cadburry

01/04/1988

Dire que les ombres deviennent des formes monstueuses ne serait vraiment pas loin de la réalité. Seulement, quand la réalité a des airs d’un cauchemar que vous avez vécu, vous auriez préféré que ce ne soit que des ombres fantomatiques ne représentant que des fantasmes horrifiques cajolés par l’enfant en soi qui ne peut qu’interpréter ces formes comme des monstres. Seulement, si Birdie ne manque pas d’imagination et que son enfant intérieur est très souvent de sortie, ce n’est pas la seule raison qui fait que cette situation se déroule à présent. Un cauchemar, elle en a vécu. Pas qu’un mais il y en a eu un particulièrement récent. Il est difficile de se relever et pourtant, la Cadburn s’en relève bien plus rapidement qu’elle aurait pu le croire. Sûrement porter par les ailes de l’affection de sa famille, de son fiancé, de son entourage. Elle jouit d’une nouvelle habitation, elle est la maîtresse d’un chiot des plus adorables qui l’apaise autant qu’il la rassure ; cependant, il est si facile de retomber et de s’écorcher les genoux, qu’elle avait presque oublié ce qu’elle avait vécu.

L’esprit altéré par l’éthanol, le brouillard de son esprit lui fait croire que son ravisseur est là, dans les environs, dans les parages. Juste devant elle, menaçant, ricanant, près à remettre la main sur elle. Elle n’a pas été assidue dans ses cours de boxe. Il faudrait qu’elle reprenne - oui mais ça, c’est toujours ce que l’on se dit quand il est trop tard. But really. Ses poings sont encore faiblards et, de toute façon, elle n’est pas en état de se défendre proprement. Simon n’est qu’un petit con de l’avoir abandonné, totalement inconscient des conséquences que cela peut avoir. Comme celle où Birdie prend un inconnu pour Alistair, qui aurait un sacré cran d’être toujours à Bristol alors qu’il y est recherché comme jamais. Enfin, elle croit. Elle sait pas. Elle s’informe pas. Si les flics ne lui disent rien, c’est qu’il n’y a rien à dire.

Je ne sais pas ce qui vous assiège, mais je ne suis pas celui que vous pensez. Vous avez besoin d'aide ? Et là… La voix n’est pas pareille, c’est presque une claque à la figure alors que non, rien du tout. La vision se fait plus claire, elle se recolle à la réalité et le visage de son interlocuteur se forme devant elle. Ce n’est pas Alistair, loin de l’un. Le type est aussi brun qu’Alistair est blond. Il a le visage fin quand Alistair a une mâchoire bien carrée. Leur seul point commun est cet air séduisant, quoiqu’un peu hagard de l’inconnu en face d’elle. “Je…” Je quoi ? “Vous ai pris pour quelqu’un d’autre.” Sans déconner, c’est sûr qu’il ne s’en était pas rendu compte. L’oiseau passe sa main sur son visage, le coeur battant toujours de cet épisode bien trop intense pour lui. “Désolée. Mon ami m’a laissé, c’était pas prévu, ça faisait longtemps que j’étais pas sortie seule le soir et-” j’ai pris peur, j’ai flippé comme une débutante, c’est pas moi d’agir comme ça mais pour ma défense, j’ai été retenue captive pendant quatre jours. Elle ravale sa salive, les mots restants dans sa tête alors que ses prunelles claires se posent de nouveau sur le jeune homme en face. “C’est moi ou vous auriez aussi besoin d’aide ?” Car, sauf si sa vision n’est pas fine et ça ne serait pas surprenant vu tout ce qu’elle a ingurgité, mais il n’a pas l’air très droit sur ses jambes.