Novembre 2006BristolTrois mois. Voilà trois mois que nous sommes arrivées à Bristol. Trois mois que j’ai rempli cinq valises en vrac juste après le départ en voyage d'affaires de mon père. 3 mois, que nous avons pris l'avion, ma mère et moi pour quitter New York et rentrer chez nous. Ou plutôt chez elle. J’avais 6 ans quand on a quitté Bristol. Je ne connais rien de l’Angleterre. Je n’ai aucune attache. Je n’en avais pas non plus à New York. J’avais Maria, notre femme de ménage/nounou/cuisiniere/maman de substitution pour moi. Et aujourd’hui j’ai 16 ans et je dois tout redécouvrir en Angleterre. Apprendre à vivre dans un autre Pays, avec ma mère qui passe ses journées dans le noir à pleurer en pensant que je ne vois rien que je ne sais rien. Je vois. Je constate qu’elle va mal mais je ne sais rien. Rien des raisons qui nous ont poussé à quitter New York aussi précipitamment.
Enfin je ne savais rien jusqu’à ce jour. Un jour en somme banal. Banal ou presque. Ma mère m’a donné de l’argent pour aller m’acheter des affaires, elle ne sait pas que j’en ai déjà assez, et que je n’ai même pas déballé toutes mes affaires encore. Mais elle ne s’en préoccupe pas, elle me donne de l’argent et elle ne me questionne même pas. Elle ne me questionne jamais et c’est seule que je vais m’acheter quelques affaires et de quoi dessiner. Je rentre avec les affaires, elle est allongée dans le noir. Dans le canapé pour changer du lit. Les volets du salon sont fermés malgré que l’on soit en pleine journée. Je soupire. Ne lui parle pas. Elle essaye de me parler mais je mets mon casque et ma musique et je commence à dessiner tout en gardant mon téléphone à côté de moi pour répondre à Caleb s’il m’écrit. C’est la seule chose qui me fait sourire, la seule personne avec qui j’ai envie d’être, Caleb, mon petit-ami et si je m’enferme dans ma chambre seule, si je ne suis pas avec lui, c’est uniquement parce que nous sommes en week-end et qu’il habite loin de Bristol. Mais je passe mon temps à lui écrire, et alors que je lis le dernier sms envoyé par Caleb, je menace de tomber en essayant de me frayer un chemin au milieu de mes valises et des cartons qui sont arrivés quelques jours après nous me prouvant que ma mère avait tout prévu. Je n’ai rien déballé, enfin que le stricte minimum, je ne suis pas vraiment chez moi ici.
Je reste un long moment à dessiner, levant la tête de mon dessin que pour répondre aux sms de Caleb, mais malgré ma musique je finis par entendre des cris. Je me lève et je me dirige vers le salon. Il est là. Au début je crois rêver. Pas un rêve positif mais plutôt un cauchemar. Mais il est bien là. Avec ce même gars qui l’accompagne partout et visiblement il est même prêt à traverser l'Atlantique avec lui. Je retire mon casque et j’entends leurs discussions ou plutôt j’entends les cris de ma mère, alors que mon père reste extrêmement calme, beaucoup trop et sans même le voir je devine son visage, son regard et son sourire qu’il doit avoir alors que je vois ma mère s’énerver de plus en plus. Je n’ai jamais vu ma mère ainsi, je l’ai déjà vu pleurer, mais s’énerver de la sorte, jamais et je ressens de la peur à cet instant précis parce que je vois ma mère avoir peur face à Charles Clarke.
“ Je te laisserai pas l’emmener, tu ne lui feras pas de mal.” Je sais que c’est de moi dont ils sont en train de parler parce que je les ai entendus.
“ J’ai déjà porté plainte pour enlèvement d’enfant, elle va rentrer avec moi, et tu ne pourras rien faire pour changer ça.” Je les écoute se disputer et je sais qu’aucun d’eux ne veut vraiment de moi et pourtant, ils se battent pour moi, ce qui est assez dingue non ?
“ Je t’ai laissé faire pendant des années, c’est fini maintenant, si tu veux te battre, je suis prête et il faudra me tuer si tu veux ramener Alex avec toi.” Le rire de mon père à ce moment est presque plus inquiétant que les propos de ma mère.
“ Tu es incapable de t’occuper de toi et tu penses pouvoir t’occuper d’elle. Tu es pathétique, tu sais bien que j’obtiens toujours tout ce que je veux, alors s’il faut que tu ais un accident pour qu’elle vienne avec moi, ça pourrait arriver bien plus vite que tu ne le penses.” Des menaces, avec un calme qui fait froid dans le dos et c’est à ce moment, alors que je frissonne de peur en entendant les paroles de mon père que j’appelle la police. Sans même réfléchir, sans avoir vraiment conscience de ce que je fais, mais le regard de ma mère, les mots de mon père, et cette tension me pousse à agir. Elle peut dire qu’elle n’a pas peur, qu’elle est prête à se battre, mais je vois dans les yeux de ma mère qu’elle a peur de lui. Assez peur pour avoir déménagé du jour au lendemain de l’autre côté de l’atlantique. Elle a peur et alors qu’elle a passé des années à se taire aujourd’hui elle ne le fait pas mais la peur dans ses yeux se transforme en colère, en haine, je ne sais pas mais ce que je vois me terrifie. Les yeux noirs, les insultes, et les objets se mettent à voler dans la maison alors que ma mère craque complètement.
“Regardes toi, tu n’es qu’une hystérique, je ne vais pas avoir de mal à obtenir la garde mais merci de me faciliter les choses.” Il rit encore et s’installe sur le canapé du salon en regardant ma mère craquer et se mettre à pleurer sans s’arrêter. Moi aussi je pleure, sans même m’en rendre compte, et j’ai peur parce que mon propre père me terrifie, parce que je sais qu’il a raison, s’il veut quelque chose il l’aura sauf que je ne veux pas aller avec lui.
“Je suis assez grande pour choisir avec qui je veux vivre, et je veux rester ici.” Ma voix tremble, mon corps tremble et je n’ai pas l’assurance que j’aimerais avoir, mais il se lève et se tient devant moi et je sens mes épaules qui s’affaissent et ma tête qui fixe le sol. Je l’entends me reprendre, me rappeler les règles et le respect, me rabaisser sans que je ne puisse rien dire parce que je n’ai jamais pu dire quoique ce soit face à lui. Je le déteste pourtant mais je ne pourrais jamais lui dire. Il continue de nous rabaisser ma mère et moi. Il continue à faire pression sur elle, à la menacer et à me menacer aussi et quand il le fait ma mère se jette sur lui mais elle est arrêtée par l’homme de main de mon père, qui rit en voyant sa femme craquer à cause de lui. Je suis figée, et la seule chose qui me permet de sortir de cet état, ce sont les sirènes de police qui se font entendre.
“Je ne viendrais jamais avec toi, jamais et je veux plus que tu m’approches.” Je me précipite dehors pour rejoindre les policiers avant qu’il ne leur donne sa version des choses et qu’il manipule tout le monde comme il sait le faire.
“C’est mon père, Charles Clarke, il menace ma mère, et il veut me ramener de force à New York, il est dangereux. Ne le laissez pas vous manipuler, s’il vous plaît, vous devez faire quelque chose. Il est prêt à tout pour avoir ce qu’il veut et j’ai peur, je ne veux pas aller avec lui.” Je parle trop vite, la peur dans la voix est perceptible, et je tremble, parce que j’ai peur qu’il apprenne que j’ai appelé la police, j’ai peur de l’avoir énervé et qui sait ce que Charles Clarke est capable quand il est contrarié ? Je me rapproche du policier, quand je vois mon père sortir de la maison et avancer vers eux.
“Messieurs, bonjour, veuillez nous excuser pour le dérangement mais ce n’est qu’un léger malentendu. Ma femme est malade, et la situation a dégénéré, mais j’ai appelé les secours pour qu’elle soit prise en charge, tout est sous contrôle.” Je n’ose pas le regarder, ni lui, ni le policier avec qui il parle, parce que j’ai peur qu’il arrive à convaincre le policier, j’ai peur de lui comme je n’ai jamais eu peur jusqu’à présent parce qu’aujourd’hui, je comprends enfin pourquoi nous avons déménagé si précipitamment il y a trois mois.
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