(gigi) falling for the promise of the emptiness machine.

falling for the promise of the
emptiness machine.

@Gigi Meadows ☆ Reed Donnelly

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09/2024 Bristol City Center, logements

Il avait tenu plusieurs semaines. Certains auraient parié qu'il ne résisterait pas au-delà de quelques jours, mais Reed avait bel et bien pris son mal en patience avant d'aller sonner chez Gigi et ça, ça n'était pas rien quand on savait combien de fois il avait repensé à leur rapprochement depuis que celui-ci avait eu lieu. S'il n'était pas fier d'avoir retrouvé les draps de celle qui était devenue son ex-femme moins d'un an plus tôt, c'était surtout l'idée de s'être laissé aller à un moment de faiblesse – et prouvé par la même occasion qu'il était loin d'avoir tourné la page comme il tentait de s'en convaincre – qui le désespérait le plus. Quiconque le connaissait savait que c'était loin de ne rien signifier à ses yeux, que s'il était parfois possible de retomber dans les bras de son ex par habitude, les choses étaient loin d'être aussi limpides en ce qui le concernait. Un état de confusion qui s'étendait depuis peu à plusieurs aspects de sa vie et que Reed avait tant bien que mal tenté de domestiquer, d'abord en se voilant la face, puis en évitant la question chaque fois que Gigi et lui avaient été amenés à se revoir – ce qui n'était pas arrivé bien souvent depuis leur écart, autant de son initiative que de celle de la jeune femme, il semblerait. Mais s'ils avaient pu réduire leurs contacts au maximum et se contenter de faire bonne figure pour Lucas les fois où la brune avait accepté de passer un peu de temps avec leur fils, la situation était devenue suffisamment ingérable pour que Reed ait estimé qu'une discussion s'imposait. Qu'ils avaient assez reculé et que le moment était venu de se parler comme des adultes, quitte à prendre le risque de rouvrir certaines plaies pas encore cicatrisées. Son doigt appuyé sur la sonnette, son autre main cramponnant le carton rempli d'affaires dont il entendait se servir pour justifier sa présence, Reed sentit une vague d'appréhension le submerger et atteindre son paroxysme lorsque la porte s'ouvrit sur la silhouette de Gigi. « Hey. » Quelque chose dans son regard s'illumina dès l'instant où il posa ses yeux sur elle, parce qu'il craignait de tomber à un moment où la jeune femme serait sortie mais sans doute aussi parce qu'il restait incapable de ne pas se laisser subjuguer par la beauté de ses traits, songeant à quel point ils lui donnaient cet air angélique par lequel il était si facile de se laisser désarçonner.

« Je suis désolé, j'ai pas prévenu que j'allais passer. J'espère que je te dérange pas. » Sa nervosité de plus en plus palpable, il l'observa avec la crainte de tomber mal ou, pire encore, de tomber à un moment où Gigi ne serait pas seule. S'il essayait de ne pas trop songer à cette possibilité, Reed savait qu'elle ne lui devait plus rien et qu'il aurait de toute façon lui-même provoqué sa déconvenue en lui ayant rendu visite sans s'annoncer. Et que Gigi soit accompagnée ou non, il n'était pas assez crédule pour ne pas savoir qu'elle l'avait évité elle aussi depuis cette fameuse nuit qu'ils avaient passé ensemble, sans doute parce qu'elle le connaissait suffisamment bien pour avoir appréhendé qu'il tente tôt ou tard de provoquer une rencontre pour en discuter. Là où il avait au moins tâché d'être un peu subtil, Reed, c'est en s'assurant d'avoir une excuse relativement crédible pour sonner à sa porte. « Je... j'ai des choses qui t'appartiennent. Tu les as laissées chez moi et je me suis dit que tu voudrais les récupérer. » Ce n'était jamais que des affaires dont Gigi avait pu se passer jusqu'ici, rien d'assez important pour qu'elle ait elle-même demandé à les récupérer, mais maintenant qu'ils avaient retrouvé leur logement respectif et qu'ils étaient censés reprendre le court de leurs vies en tant que célibataires – sur le papier, puisqu'en pratique ils n'avaient pas excellé dans l'art d'allier les actes à la parole, en tout cas ce fameux soir – il lui paraissait normal de ne pas garder en otage des choses qui lui appartenaient. Bien sûr, il espérait surtout que ça leur permettrait de se poser un moment pour avoir cette discussion qu'ils repoussaient l'un et l'autre, mais c'était aussi sa manière de lui montrer qu'il était de bonne foi, aussi difficile ce soit pour lui de renoncer à la dernière trace qui subsistait de sa présence chez lui.

Penchée au dessus de l’ilot central encombré de sa cuisine, Gigi laissa échapper un gros bâillement. Elle commençait à accuser un manque de sommeil assez important et elle n’avait que sa propre personne à blâmer pour ça. Ces temps-ci, elle prenait à peine le temps de se poser. Bien sûr ce n’était pas inhabituel en soit. Si son mariage et la naissance de son fils avaient eu pour effet de la stabiliser un peu, au fond, elle n’avait jamais eut en elle le désir de rester trop longtemps au même endroit. Trop survoltée, trop brulante de multiplier les expériences, de s'employer à découvrir si l'herbe n'est pas plus verte ailleurs. Son quotidien surchargé, toutefois, elle ne pouvait pas le mettre exclusivement sur le dos de sa soif d’aventure et de ses obligations professionnelles. Bien sûr cela constituait des facteurs importants, mais il n’y avait pas que cela. Elle dormait mal ces temps-ci. En dépit de sa fatigue évidente, le sommeil peinait à la saisir au moment de gagner le lit. Elle qui avait toujours été une grosse dormeuse se heurtait à des problèmes d'insomnie. Trop de choses se bousculaient dans sa tête, faisant désordre avec ses dehors aériens, presque frivoles. Et elle n’aimait pas s’attarder trop sur toutes ces choses qui menaçaient son sommeil. Le plus simple pour maintenir ses pensées à distance était de poursuivre son mode de vie effréné. Résultat des courses elle était claquée, mais presque angoissée par la perspective de se coucher tôt, et même si tout son corps exigeait d’elle qu’elle s’allonge un peu, les chances étaient fortes qu’elle ressorte d’ici quelques heures.

Poussant un soupire entre deux bâillements, elle fit volte face pour farfouiller dans un placard et en extirpa une boite de biscuits. Cédant à une envie de sucre, elle en déversa le contenu sur l’ilot et attrapa un premier sachet, saisissant son portable d’une autre main. Tout en mangeant, elle parcouru ses différents réseaux sociaux, rattrapant les messages des nombreux fils de discussion. Elle allait sortir, oui, bien sûr. Qu’elle ait un plan précis ou non, elle allait passer une jolie tenue et partir à l’aventure. Si une chose ne l’angoissait pas, c’était bien de faire cavalier seul en sortant le soir, essentiellement car, seule, elle savait pertinemment qu’elle ne le resterait pas longtemps. Si elle disposait bien d'un talent, outre celui qui constituait sa source de revenu, c'était assurément celui là. Un animal social, voilà ce qu'était Gigi depuis l'enfance et en cela résidait sa force. Elle n'avait pas son pareil pour faire son trou où qu'elle aille, et avec un aplomb rugissant.

Elle était en train de terminer son deuxième sachet de biscuits quand le bruit de la sonnette lui fit lever la tête de l’écran de son smartphone. Elle fronça les sourcils. Elle n’attendait personne et rares étaient les gens à débarquer chez elle à l’improviste. Cela pouvait paraître bizarre venant d’une personne aussi volubile qu’elle, mais son appart constituait presque une sorte de no man’s land, y compris la concernant elle directement. Elle était si peu souvent entre ces murs que c’est tout juste si cet endroit lui évoquait plus de familiarité que l’aurait fait une chambre d’hôtel. Quoiqu’il en soit quelqu’un était là, sur le palier et elle n’allait pas laisser cette personne poireauter. Elle alla ouvrir et se figea brièvement en découvrant Reed de l'autre côté de la porte. « Hey. » « Hey. » Une lumière familière s’alluma dans les yeux de son ex-mari en la découvrant et elle sentit la culpabilité revenir en force comme toujours quand elle accrochait le regard de l’homme qu’elle avait épousé avant de renoncer à lui. Car c’était bien elle la fautive, elle qui avait précipité les promesses qu’ils s’étaient faites dans un gouffre qu’elles n’avaient plus quitté depuis. Ce même gouffre où ils étaient partis se terrer le temps de quelques heures, voilà quelques semaines. Une nuit de rechute. Une erreur, sans doute. Plus que sans doute, à vrai dire. « Je suis désolé, j'ai pas prévenu que j'allais passer. J'espère que je te dérange pas. » Machinalement elle avait noué ses bras sur son ventre et les laissa retomber le long de son corps face à la nervosité apparente affichée par Reed. Malgré elle, elle se sentit saisie d’une bouffée de tendresse envers lui. Elle n’avait jamais cessé d’éprouver de la tendresse à son égard. Comment aurait-il pu en être autrement ? Il n’avait rien fait de mal. Il avait été parfait. Il était parfait. N’importe qui de sensé (d’après Gigi, du moins, qui ne pouvait pas faire valoir d’expertise en matière) ne pouvait que le voir. Le problème cela avait été Gigi, tout du long et ça l’était encore. « Je... j'ai des choses qui t'appartiennent. Tu les as laissées chez moi et je me suis dit que tu voudrais les récupérer. » Elle baissa les yeux sur le carton tenu par Reed. Des affaires qu’elle avait laissé chez lui. Des affaires qui ne lui manquaient pas, qu’il aurait sans doute pu jeter sans même qu’elle le réalise. Il n’aurait jamais fait ça. Toujours tellement avenant. Toujours tellement gentil, y compris envers les gens qui ne méritaient rien de tel venant de lui. Gigi fut prise d’une envie sévère de fondre sur Reed, de l’envelopper de papier bulle comme on tâcherait de protéger un objet précieux la veille d’un déménagement. Une pensée ridicule. Que la personne qui veuille protéger Reed, soudain, soit celle là même qui lui avait déjà causé tant de chagrin. Elle n'avait pas fait grand cas de lui apporter la moindre protection lorsqu'elle s'était débrouillée pour qu'il la surprenne au lit avec un autre.

« C’est gentil, merci » répondit-elle prudemment avant de s’écarter dans l’embrasure de la porte, lui délivrant un passage vers l’appartement. « Tu veux entrer ? Prendre un café ? Donnes-moi ça. » Elle fit un pas vers lui, récupéra le carton avant même qu’il ait répondu à sa proposition. Déjà elle emportait ses affaires à l’intérieur, l’invitant sans un mot de plus à lui emboiter le pas. Elle le connaissait. Elle le connaissait bien. Il n’était pas là que pour lui rendre des affaires sans lesquelles elle vivait très bien depuis des mois. Il y avait autre chose là-dessous et Gigi n’étant pas une idiote, elle devinait aisément de quoi il pouvait être question. Si l’idée de la probable discussion à venir ne l’enchantait pas, elle n’allait certainement pas non plus le mettre dehors pour s’y soustraire. Elle ne pouvait pas continuer à l’éviter plus longtemps. Ils avaient un enfant ensemble. Ils étaient coincés l’un avec l’autre, qu’ils le désirent, ou non. Elle devait à Lucas de faire preuve d'un peu plus de maturité que ça. « Comment tu vas ? Et Lucas ? » Lança-t'elle avec un bref regard par dessus son épaule. Atteignant la cuisine, elle déposa le carton sur l'ilot à côté de son snack sucré abandonné. Elle fit volte face une fois derrière la protection constituée par l'ilot, une tension encore timide s'invitant dans la ligne de ses épaules.

- @reed donnelly

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@Gigi Meadows ☆ Reed Donnelly

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09/2024 Bristol City Center, logements

Il put voir dans son regard qu'elle ne s'attendait pas à le trouver de l'autre coté de cette porte, sans doute parce qu'il lui avait donné l'habitude de prévenir chaque fois qu'il lui rendait visite et qu'elle lui connaissait un tel souci des convenances qu'il se serait normalement assuré qu'elle était bien chez elle avant de passer. Mais le sujet qui l'amenait aujourd'hui n'était pas anodin et c'est un Reed inquiet à l'idée que Gigi anticipe sa démarche et préfère remettre cette discussion à plus tard qui s'était risqué à un peu plus de spontanéité, pour une fois. « Hey. » Pour quelqu'un d'aussi démonstratif et affectueux que lui, le fait que leurs échanges aient retrouvé un coté aussi formel suite au divorce restait une habitude difficile à prendre, notamment parce qu'à l'inverse de ses deux premiers mariages, le leur avait pris fin sur une note bien plus inattendue et soudaine. Alors s'il s'efforçait comme toujours de faire bonne figure, le fait de se tenir devant elle avec ce carton rempli des affaires de la brune avait encore quelque chose de profondément douloureux et invraisemblable. « C’est gentil, merci » La connaissant, il se serait sans doute passé un certain temps avant qu'elle ait réalisé qu'elle avait laissé ces quelques affaires chez lui, simplement parce que Gigi avait souvent beaucoup d'autres choses à l'esprit et avait toujours été plus attirée par les expériences en elles-mêmes que par les choses purement matérielles. Malgré tout, il ne considérait pas correct de garder des choses qui lui appartenaient et savait aussi que ça n'aurait sans doute rendu service à personne, qu'il ait laissé tous ces souvenirs de sa présence éparpillés un peu partout chez lui. Des souvenirs susceptibles de le replonger en pleine nostalgie et de raviver des blessures qui n'avaient jamais trop de mal à se rouvrir quand il pensait à la fin de leur mariage et à ses conséquences, Reed en détenait suffisamment rien que dans sa mémoire pour ne pas avoir besoin d'un objet aussi symbolique soit-il. Et ils savaient tous les deux que des symboles, il était pourtant capable d'en trouver même dans ce qu'il y avait de plus banal en apparences, y compris dans ce qu'elle ignorait même avoir laissé chez lui.

« Tu veux entrer ? Prendre un café ? Donnes-moi ça. » Fidèle à l'énergie débordante qui était la sienne, la jeune femme ne lui laissa pas l'occasion de répondre lorsqu'elle lui prit le carton des mains et l'emporta à l'intérieur, poussant Reed à l'y suivre presque aussi naturellement qu'il l'aurait fait quelques années plus tôt, mais malgré tout avec ce brin de réserve qui lui rappelait que bien des choses avaient changé. Et ça remuait toujours quelque chose en lui de s'en faire la réflexion, surtout lorsque son regard un brin trop curieux se chargeait déjà de passer la pièce principale au crible comme s'il risquait d'y trouver une trace de la présence de quelqu'un d'autre. Certaines plaies étaient encore loin d'avoir cicatrisé et celle-ci mettrait plus longtemps que les autres à guérir, il le savait. « Ce serait pas de refus, mais je veux pas te déranger si... tu étais occupée. » Elle avait ouvert la porte, et ça suffisait pour qu'il sache qu'il n'avait pas sonné dans un moment où elle était affairée à peindre ou à créer quelque chose qu'elle aurait légitimement jugé plus important qu'une invite improvisée, mais ça ne voulait pas pour autant dire qu'elle attendait un visiteur. Pour ça, Reed n'avait pas l'intention d'abuser de son temps, tout ce qu'il attendait de cette visite c'était de saisir l'occasion pour discuter comme ils n'en avaient plus pris le temps depuis des semaines, là où ils en avaient à ses yeux cruellement besoin. Qu'ils veuillent ou non se rappeler ce moment de faiblesse auquel ils avaient cédé ensemble, il y avait forcément quelque chose à en dire. Il en était convaincu, en tout cas.

Son sourire s'étira timidement lorsqu'elle reprit la parole. « Comment tu vas ? Et Lucas ? » Qu'elle pose la question ne devrait pas le surprendre, Gigi restait une mère profondément soucieuse du bien-être de son fils et ça même si elle ne savait pas toujours à quel point s'impliquer dans sa vie et doutait beaucoup d'elle-même dès qu'il était question de Lucas. Reed était témoin de la situation depuis près de deux ans et savait qu'elle faisait de son mieux, même si pas un jour ne passait sans qu'il regrette de la voir emprunter un chemin qu'il avait bien connu lui-même, à l'époque où il avait laissé d'autres priorités l'éloigner de Juliet et n'avait eu que trop d'occasions de le regretter ensuite. « On va bien, même si je crois que Lucas me reproche un peu d'avoir repris le boulot à temps plein avec la rentrée universitaire. C'est pas facile de lui expliquer que je peux pas toujours rester avec lui. » Il précisa dans une moue inévitablement coupable, lui-même toujours à fleur de peau quand la rentrée arrivait et qu'il ne pouvait plus passer autant de temps avec son cadet, qui à son âge ne comprenait pas encore pourquoi toutes les bonnes choses avaient forcément une fin. La suivant jusqu'à la cuisine, chacun d'eux posté d'un coté de l’îlot central, Reed reposa son regard dans celui de Gigi, triturant ses doigts en signe de nervosité. « Toi, tu vas bien ? » S'il le lui demandait d'un air si concerné, c'est parce qu'il se faisait beaucoup de souci et n'avait jamais su le cacher, ça son ex-femme le savait bien. Si elle avait toujours mené une vie bien différente de la sienne et embrassé une liberté à laquelle lui ne saurait même pas rêver – mais qu'il avait toujours admiré au fond de lui – ce n'était pas ce qui l'inquiétait précisément ici. « Tu as une petite mine. Tu travailles sur un gros projet en ce moment ? » Il avait remarqué les cernes sous ses yeux dès qu'elle avait ouvert la porte, chacun de ses traits lui étant si familier que ce détail n'aurait pas pu lui échapper. Pensait-elle au moins à se reposer de temps en temps ? Prenait-elle soin d'elle, quand aucun ex-mari un peu trop protecteur s'assurait qu'elle pense à se ménager ? « J'ai pas tellement osé prendre de tes nouvelles à ce niveau-là depuis... » Il s'interrompit, passant une main contre sa nuque, incertain sur la meilleure façon d'aborder le sujet. Depuis qu'une soirée supposément anodine s'était soldée par un rapprochement que ni elle ni lui n'auraient pu prédire mais contre lequel ils n'avaient pas plus lutté l'un que l'autre, ce qui contribuait à l'état de confusion d'un Reed incapable de regretter mais pas plus capable d'en être fier pour autant.

« Ce serait pas de refus, mais je veux pas te déranger si... tu étais occupée. » En route pour la cuisine, progressant dans l'appart encombré d'un pas énergétique, elle secoue la tête, ses cheveux s'agitant dans son dos. « Je ne le suis pas. » Sans être ferme, son ton a quelque chose de catégorique, ne souffrant pas d'objection. Si la visite surprise de Reed la dérangeait, elle le lui aurait dit. Elle est comme elle est et comptabilise d'innombrables défauts à son actif, mais elle est plutôt du genre honnête. Enfin, la majorité du temps, avec la majorité des gens. En passe de se réfugier derrière l'îlot de la cuisine, elle l'interroge sur lui et sur leur fils. Son ton se veut badin, décontracté. Une ex-femme et une mère concernée. Elle veut croire qu'elle l'est, malgré tout. Quand bien même elle ne méritera jamais un mug à café affirmant qu'elle est la meilleure maman du monde, elle s'intéresse à eux. Vraiment. Elle s'intéresse à Lucas et elle s'intéresse à Reed. Elle a toujours de l'affection pour son ex-mari et elle en a, pour sûr, pour leur fils. Même si ce n'est pas l'évidence même. Même si elle est douloureusement consciente de l'image qu'elle donne et qui n'est pas éloignée de la réalité. Une mère démissionnaire, une femme égoïste, toujours plus encline à se faire passer en premier avant de songer aux autres. Et ce n'est pas normal. Pas pour une mère. Lucas devrait être le centre de son monde, de sa vie. Il devrait être sa priorité, quoiqu'il advienne, quoiqu'elle puisse bien vouloir. Comme un contrat qu'elle aurait dut signer le jour de la venue au monde de son fils, et peut-être même avant ça. Elle a seconde où elle a appris qu'elle le portait dans son ventre. A cette pensée son estomac se contracte. Et elle profite de présenter encore quelques instants son dos à Reed pour essayer de gommer son trouble de son visage.

« On va bien, même si je crois que Lucas me reproche un peu d'avoir repris le boulot à temps plein avec la rentrée universitaire. C'est pas facile de lui expliquer que je peux pas toujours rester avec lui. » Elle dépose le carton, fait volte face. Elle a retrouvé une expression moins tourmentée, se fend d'un petit sourire compatissant qui n'atteins néanmoins pas tout à fait ses yeux. « Il comprendra. C'est un petit garçon intelligent. » Sa voix se fait plus douce, rassurante. Il comprendra que son père l'aime, qu'il sera toujours là pour lui. Heureusement, Lucas a Reed. Et il l'aura toujours. « Toi, tu vas bien ? » Elle ne mérite pas sa gentillesse, la compassion qu'elle lit dans ses yeux. Une forme d'inquiétude même. « Tu as une petite mine. Tu travailles sur un gros projet en ce moment ? » Elle a toujours du boulot sous le coude, oui. Elle aime ça. Il faut toujours qu'elle se mette quelque chose sous la dent. Ça la maintiens en vie. Rien de moins. Comme si elle n'avait que ça. Comme si elle n'avait pas un petit garçon, en chair et en os,  qui réclame sa présence et son attention. L'agitation la gagne et elle se met à farfouiller dans le carton sans vraiment regarder ce qu'elle y trouve, juste pour s'occuper les mains et se fournir un semblant de contenance. « J'ai pas tellement osé prendre de tes nouvelles à ce niveau-là depuis... » Elle se fige un instant, réalise qu'elle a baissé les yeux, fuyant à demi son regard et redresse la tête, cesse un peu de fourrager dans les affaires qu'il lui a apporté. « Ce n'est rien. J'aurais pu appeler aussi. » La liste des choses qu'elle pourrait/devrait faire et qu'elle ne fait pas ne cesse de s'allonger. « Et je vais bien alors ne te fais pas de soucis pour moi. » Plus facile à dire qu'à faire bien sûr. Il doit le savoir, non, forcément ? Savoir qu'il se porterait cent fois mieux sans elle et qu'il ne lui doit rien. Mais il n'a pas de contrôle sur ce qu'il ressent, pas plus qu'il n'a d'emprise sur elle, sur ce qu'elle veut ou pas, et sur ce qu'elle peut lui faire. Une partie d'elle aurait aimé qu'il l'ait, cette capacité. Qu'il soit la personne à même de la canaliser. Mais peut-être que cette personne n'existe pas. Peut-être que, tout effrayée qu'elle est à l'idée de se retrouver un jour isolée, elle n'est pas taillée pour autre chose. « Tu n'es pas tenu de... » Elle s'interrompt, incertaine quant à la façon de finir sa phrase. Pas tenu de s'intéresser à elle ? Pas tenu de lui trouver des excuses ? Il n'est tenu de strictement rien la concernant, même si elle est la mère de son enfant. Tu parles d'une mère. « Je suis désolée pour l'autre soir. » C'est maladroit, sujet abordé de but en blanc. Elle bascule dans le vide, se lance en premier, lui fait au moins ce cadeau là. « Bien sûr c'était notre décision à tous les deux, mais je n'ai jamais eut l'intention de compliquer les choses plus qu'elles ne le sont déjà. » Elle garde son regard accroché au sien, pour qu'il puisse bien y lire ce qu'elle y laisse transparaître. Du remord surtout, au delà de l'inconfort qu'accompagne ce sujet de conversation. Elle ne veut pas empirer les choses entre eux. C'est déjà suffisamment terrible à cause d'elle. Et honnêtement elle peut encaisser sa colère, son ressentiment. Ce n'est pas ça qui l'effraie. Se prendre en pleine poire ces émotions là de la part de Reed serait tout à fait justifié. D'une certaine façon, elle a envie de ça. De s'entendre dire quelle calamité elle est de la part de l'homme qu'elle avait juré d'aimer et de protéger il n'y a pas si longtemps que ça. Elle a fait tout le contraire. Elle a cessé de l'aimer comme elle était supposée le faire et loin de le protéger, elle s'est au contraire déchaînée sur lui comme une tempête. Un foutu cyclone, ne laissant sur son sillon que le chaos. Il devrait la fuir comme la peste, au lieu d'être là, à se faire du soucis pour elle.

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« C'est vrai. » Le sourire qui éclos sur les lèvres de Reed à la mention de leur fils est si solaire qu’il s’avère contagieux. Oui ils ont apporté dans ce monde un petit garçon malin et craquant à souhait et même si Gigi compte à son actif bien des regrets, elle est incapable d’avoir celui là. Elle ne regrette pas d’être tombée enceinte quand le résultat a été Lucas. Elle ne regrette pas ce petit bout d’elle et de Reed, souvenir vivant et coloré de ce qu’ils ont partagé ensemble et qu’ils partagent toujours en dépit de leur rupture. Lucas les lient l’un à l’autre pour la vie et si son amour pour son fils suffit pour ôter d’éventuels regrets à Gigi, elle aime aussi l’idée que ce qu’elle a vécu avec son ex époux ne se perdra pas complètement au fil des années. Alors non elle ne regrette pas Lucas, pas plus qu’elle ne regrette ce qu’elle a vécu auprès de Reed. Elle regrette juste d’être ce qu’elle est, ou plutôt ce qu'elle n'est pas. Elle regrette de ne pas être une mère, de ne pas être une épouse, de ne pas être faite de ce bois là. Si c'était le cas, tout serait plus simple et elle n'aurait rien contre une dose de simplicité là, tout de suite. « Et puis il est loin d'être malheureux quand mes parents s'en occupent, ils lui passent à peu près tout. Ils sont presque pires que moi, tu imagines ? » Le rire de Reed ne suffit pas à dissimuler la difficulté que lui pause cette situation. Gigi le regarde posément, comme si ça pouvait marcher.
Comme, si à force de le regarder, une espèce de magie sortie tout droit d’un dessin animé se mettra en branle et permettra à Reed de se voir à travers ses yeux et à travers ceux de tous les autres. Car elle est convaincue de ne pas être la seule à le voir comme elle le fait. Elle sait que tout le monde le sait, tous ceux qui le connaissent. Ils savent que c’est un bon papa. Que c’est une bonne personne. Imparfaite oui, mais ça ça s'applique à tout le monde. En ce qui concerne Gigi, il est aussi parfait qu’une personne puisse l’être, du moins pour ce qui est d’élever des enfants. Il a fait des erreurs dans le passé à ce niveau là, de sa propre confession, mais il les rectifie désormais avec talent et c'est assurément le plus important. « J’ai du mal. » Lâche-t-elle gentiment, un sourire affiné toujours accroché à ses lèvres. Ça n’a rien d’une critique, au contraire. Elle n’est pas du genre à refuser grand chose à leur fils non plus, les rares fois où ils passent de vrais moments l’un avec l’autre. Il est tout simplement trop mignon et elle n’a pas l’énergie d’entrer même vaguement en conflit avec lui si elle peut l’éviter. Ce n’est pas le comportement idéal à avoir avec un enfant. Être parent exige de poser un cadre et de faire preuve de fermeté. Mais Gigi n’a rien d’une maman idéale et s’il fallait s’attaquer à tous ses défauts et travers, sa tendance à céder à son fils se retrouverait dans le bas de la liste.

Quand la conversation dévie sur elle, Gigi se montre, contrairement à ses habitudes en société, volontiers plus furtive, voir peu causante. Elle lui dit qu’elle aurait pu prendre le téléphone, elle aussi. Ce qui est vrai. Tout ne doit pas venir forcément de Reed. Il en fait déjà bien assez et Gigi déjà bien assez peu. « Rien ne t’y obligeait. » Uh-huh. Quand bien même ça aurait été le cas elle n’est de toute façon pas réputée pour tenir ses obligations envers Reed ou leur fils.  D’elle, on ne peut qu’attendre le pire si tant est que son ex époux ou son enfant soient concernés.
Elle n’exprime pas cette pensée à voix haute, toutefois.
La dernière chose qu’elle veut c’est se déprécier à voix haute, au risque que Reed commence à lui trouver des excuses. Elle n’a pas besoin d’être excusée. Elle n’attend rien de tel venant de lui. Elle veut soulager Reed après lui avoir causé tant de chagrin et elle œuvre pitoyablement pour ça.
Ne te fais pas de soucis pour moi.
Comme si c’était si simple, hein ? La vie serait bien plus facile alors, si on pouvait juste se détourner des gens, ordonner à son cœur une ligne de conduite dont il ne dévierait jamais simplement parce qu'on en a pris la décision.
Peu importe qu’elle ne mérite pas la moindre de goutte de sollicitude venant de Reed. Il est là et il la couve de ce regard inquiet car ça fait partie de lui. Il n’a pas de prise là-dessus.
C'est beau. C'est triste. Surtout triste.
« Tu sais que c’est plus fort que moi en général. » Le sourire de Gigi s’est effondré sur lui-même. L’air plus grave, peiné, elle acquiesce.
Oui, elle sait.

Reste à aborder le sujet qui motive la présence de Reed. Reste à s’occuper de l’énorme éléphant rose qui git entre eux, planté sur l’îlot de la cuisine. Ils l’ont déjà ignoré trop longtemps. Ils pourraient continuer s’il n’y avait pas Lucas mais ils doivent le faire. Ils doivent pour leur petit garçon, mais pas seulement.
Ce n'est pas facile de mettre le sujet sur le tapis, même pour quelqu'un d'aussi volubile que Gigi. Malgré tout, elle prend les devants, se lance.
Elle s'excuse. Pour l'autre soir.
Elle s'est pas tant de fois excusé que ça. Une tare parmi tant d'autres. Elle le fait maintenant, sans pouvoir pointer du doigt de quoi elle s'excuse précisément. En fait c'est un tout. Elle a commis tant d'impairs que ses excuses en deviennent brouillonnes. Les mots fusent dans sa tête et elle les prononce en tâchant de leur donner un sens.
Je n'ai jamais eut l'intention de compliquer les choses plus qu'elles ne le sont déjà.
« Je le sais. » Elle n'est pas cette fouteuse de merde, désireuse de raviver le souvenir de leurs ébats à son ex alors même qu'elle lui a brisé le coeur. Ce n'est pas ce qu'il pense, il s'empresse de le lui affirmer, son intonation adoucie lui faisant l'effet d'un baume étalé sur la peau. Heureusement, il ne pense pas ça d'elle. Il aurait le droit de la croire cruelle à ce point, bien sûr, mais ça reste un soulagement de ne rien lire de tel dans ses yeux. « Je cherchais pas non plus à nous rendre les choses plus difficiles, je... je sais pas ce qui m'a pris ni à quel moment on a perdu le contrôle... mais je suis désolé de pas m'être montré plus raisonnable. En temps normal c'est pas vraiment un problème que je rencontre. » Tout comme il n'a pas voulu lui laisser penser qu'il puisse la croire capable d'avoir calculé son coup, elle rouvre rapidement la bouche pour soulager une culpabilité mal placée. « Personne n'exige de toi que tu sois raisonnable à chaque instant de chaque jour, Reed. Enfin, en tout cas moi pas. » Il ne manquerait plus que ça. Ce serait l'hôpital qui se moque grossièrement de la charité.
« J'aurais du savoir que c'était pas la meilleure idée qu'on pourrait avoir. »
Effectivement. Ils n'ont pas réfléchi sur ce coup-là et ils se partagent la responsabilité de ce qui s'est produit entre eux. Le fait que, d'eux deux, Gigi soit celle qui cède à toutes ses impulsions ou presque, ne lui décerne en rien un totem d'immunité à ce niveau là. Elle n'en pense rien. Elle devrait être plus prudente, d'autant plus avec Reed. Elle le regrette. Elle regrette de n'être bonne, pour lui, qu'à être une foutue lame, fourrageant encore et toujours dans sa chair. « Est-ce que... tu regrettes ? » Elle enfonce ses dents dans sa lèvre, son regard ancré à celui de Reed.
Est-ce qui lui regrette ?
Pas sur le moment, certainement, mais désormais il doit en être là. Quant à elle... « C'était bon de te retrouver » s'entend-elle dire au bout d'un moment. Son honnêteté plane au dessus. Trop honnête sûrement. « C'est monstrueux ces mots là dans ma bouche, non ? » Sa voix est roc, s'étrangle sur un rire rêche qui ne monte pas jusqu'à ses yeux, loin de là. Elle se fait l'effet d'un monstre. Elle pousse un soupire, passe une main sur sa nuque, enfonce légèrement ses onglets un peu trop longs dans la peau de son cou, comme si cette morsure auto infligée pouvait insuffler en elle un peu de bon sens. Tu parles.
Elle n'a pas besoin d'un peu de bon sens.
Il lui en faudrait des brouettes, des montagnes.
« Je songe à partir parfois. » Les mots tombent comme des pierres. Elle se juche sur un tabouret de son côté de l'ilot, se sentant faiblarde de tout à coup. Cette conversation menace de pomper ce qui lui reste d'énergie. « Je ne pense pas que ça t'étonnes. » Il la connaît, malgré tout. Il a sûrement voulu voir en elle plus que ce qu'elle est, quand ils étaient ensemble, mais il ne peut pas le lui reprocher. Elle aussi a essayé de se leurrer à l'époque. Quand son ventre s'arrondissait, quand elle a mis au monde Lucas, quand elle l'a tenu contre son coeur pour la toute première fois. Elle a voulu se voir plus forte, plus grande que ce qu'elle est, avant que la vérité ne la rattrape.

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emptiness machine.

@Gigi Meadows ☆ Reed Donnelly

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Il en avait l'habitude, Reed, de prendre davantage de précautions chaque fois que la discussion dérivait tout naturellement vers Lucas, bien conscient que le simple fait d'évoquer le sujet pourrait rouvrir certaines plaies chez Gigi, dont il savait mieux que personne combien elle se reprochait déjà toute la situation. Ça lui tenait pourtant à cœur de faire qu'un lien plus tangible se créé entre son ex-femme et leur fils, de l'aider à apprivoiser progressivement son rôle de mère tout en choisissant ses mots de façon à ne pas la pousser à se culpabiliser plus qu'elle ne le faisait déjà, en lui laissant le temps, en évitant tout simplement de la brusquer. Il voulait lui rendre les choses plus faciles, pas appuyer là où ça faisait mal ni renforcer l'impression qu'elle nourrissait sans doute de passer complètement à coté de son propre enfant. C'était sa manière de l'inclure, de la tenir au courant de tout ce qui composait le quotidien de Lucas, tout en s'efforçant de ne pas lui en dire plus qu'elle n'était capable d'en entendre. « J’ai du mal. » Et il l'enviait probablement de ne jamais avoir connu le Reed qui pouvait s'absenter plusieurs semaines pour mener des recherches à l'autre bout du monde et laisser ses proches derrière lui comme si ça n'avait pas de conséquences, comme si tout reprendrait exactement au même point à son retour. Il l'enviait de ne pas avoir connu le père inconséquent qu'il avait été pour Jules, mais aussi pour Jade durant les premières années, et songeait que ça l'aurait peut être poussée à se montrer moins dure avec elle-même. Elle connaissait toute l'histoire, mais il lui était peut être difficile de l'imaginer autrement qu'en père dévoué et ça, ça n'était pas totalement juste pour Gigi, qui saurait sinon à quel point il était loin d'être parfait en retour. A quel point elle pouvait elle aussi encore réparer ses propres erreurs. « Ils m'ont demandé de tes nouvelles. » Il souffla après un instant, et parce qu'il ne se voyait pas lui cacher cette partie-ci de son échange avec ses parents. Depuis le divorce, ils avaient tout naturellement voulu s'assurer qu'il tenait le coup et que les choses étaient apaisées entre la jeune femme et lui. A demi-mot, pourtant, il savait bien que ses parents espéraient surtout savoir comment elle allait, elle. Parce qu'ils n'avaient pas toujours rencontré que du soutien dans leur entourage, mais que ses parents – à défaut d'avoir nécessairement compris ce qui les avait placé sur la route l'un de l'autre – avaient au moins tâché de comprendre tout ce qu'elle représentait pour lui. « Je m'en suis sorti en brodant quelque chose d'un peu approximatif. Rassure-toi, je pense pas qu'ils te contacteront. » La dernière chose qu'il souhaitait, c'était mêler qui que ce soit d'autre à leurs histoires, quand lui n'était déjà pas tout à fait certain qu'ils géraient les choses de la bonne manière. Il n'en avait pas dit beaucoup plus et ses parents n'avaient pas posé de questions.

Si son ex-femme et lui n'avaient pas tourné autour du pot bien longtemps, mettre le sujet sur la table n'en était pas plus facile pour autant. Parce qu'il n'était pas seulement question d'eux, pas seulement question d'une nuit volée entre deux adultes consentants qui avaient cédé à l'appel de ces retrouvailles comme on s'autoriserait à replonger le temps d'un soir dans ce qui ne nous avait pourtant pas si bien réussi. Gigi et lui étaient aussi des parents entre qui la situation s'était inévitablement compliquée lorsque fuir la discussion avait semblé plus simple que de se parler. Et parce que les choses se voulaient déjà assez complexes pour ne pas qu'ils tiennent en plus à mettre en péril les intérêts de Lucas, le moment semblait plus que bien choisi pour se dire les choses. Pour assumer leur part de responsabilité et reconnaître qu'aucun d'eux n'avait l'intention de tout compliquer mais qu'ils n'avaient pas pour autant été capables de reprendre le contrôle sur la situation. C'était une chose que Reed se reprochait tout particulièrement, là où il était incapable de douter des intentions de Gigi et de faire peser sur ses épaules plus de responsabilité qu'elle ne le méritait. Peut être bien qu'il était habituellement celui qui gardait la tête froide et agissait avec pondération, mais sur ce coup-ci il n'avait guère été plus raisonnable « Personne n'exige de toi que tu sois raisonnable à chaque instant de chaque jour, Reed. Enfin, en tout cas moi pas. » La ligne de ses lèvres s'étira timidement, preuve qu'il n'était pas habitué à entendre ce genre de choses. Ses parents l'avaient élevé dans l'idée qu'il ne commette jamais le moindre faux pas et cette pensée l'avait accompagné tout du long de sa vie d'adulte, quand bien même ça ne l'avait pas empêché de commettre son lot d'erreurs. « Je suis pas certain que ce qui s'est passé serve de bon argument pour que je me montre plus souvent déraisonnable. » Il n'était pas entrain de dire qu'ils avaient mal agi, parce qu'ils n'avaient fait de tort à personne d'autre qu'à eux-mêmes, mais même l'homme désespérément épris qu'il était savait pertinemment que c'était une mauvaise idée. Alors peut être bien qu'il prenait un risque en cherchant à savoir si elle regrettait ce qu'il y avait eu entre eux, peut être bien qu'il lui donnait une nouvelle fois le pouvoir de le blesser. Mais ne pas savoir, ce serait probablement pire en réalité. « C'était bon de te retrouver » Sa franchise ne devrait plus le surprendre ni le désarçonner comme c'avait pu être le cas à leurs débuts, pourtant c'est bien une pointe de rouge qui colora ses joues face à cette confession. Relevant fébrilement son regard vers le sien, Reed prit sur lui pour garder un semblant de contenance. « C'est monstrueux ces mots là dans ma bouche, non ? » - « Non, c'est... » Il n'y avait rien de monstrueux en elle, et on ne l'entendrait pas dire le contraire même si elle s'enfuyait une bonne fois pour toutes avec son cœur autour du cou. Même si elle avait du lui avouer qu'en réalité, elle se mordait les doigts d'être retombée dans ses bras. « On a passé un bon moment, et j'étais... heureux que la soirée prenne cette tournure. » Ça lui coûtait à lui aussi de l'avouer, parce qu'il savait malgré tout qu'ils ne s'étaient pas rendus service. Sur le moment, rien ne lui semblait plus naturel. A présent, tout lui apparaissait beaucoup plus compliqué.

« Je songe à partir parfois. » Son regard avait à peine trouvé la force de se détacher du sien qu'il s'y ancra à nouveau, porteur d'une panique nouvelle, d'une peur impossible à déguiser. Son corps se raidit et il entrouvrit d'abord la bouche sans qu'aucun son n'en sorte. « Je ne pense pas que ça t'étonnes. » Il n'était pas si surpris que ça, c'est vrai, parce qu'il avait partagé sa vie pendant assez longtemps pour avoir toujours eu conscience qu'elle avait la bougeotte, Gigi, et qu'elle n'était pas de ceux qu'on pouvait retenir. Il suffisait de voir la fin de leur mariage pour comprendre que sa liberté n'était pas une chose dont qui que ce soit ou quoi que ce soit pouvait la priver. Malgré tout, c'était une chose de la savoir plus heureuse maintenant qu'elle était délivrée des liens de ce mariage et une autre de l'imaginer partir loin d'ici. Loin de tout. « Je me suis souvent demandé ce que je ferais si l'idée germait un jour dans ton esprit, parce que je crois que j'ai toujours su que c'était une possibilité, oui. » Il avoua faiblement, bien incapable de nier que cette peur avait ressurgi plusieurs fois du temps où ils étaient mariés, qu'il lui était déjà arrivé de rentrer d'une journée de travail sans être absolument certain qu'elle serait bien là, que Gigi n'aurait pas cédé à l'appel d'une autre vie, plus libre et sans attache. Parce qu'il avait toujours su qui elle était et qu'il ne la changerait pas ; qu'il n'en avait même jamais eu envie. Même s'il s'était parfois bercé d'illusions à leur sujet, il n'avait jamais voulu la changer. « Est-ce qu'il t'arrive de faire plus qu'y songer ? Est-ce que tu as déjà eu envie... de le faire ? » De le faire pour de vrai. De partir, de mettre de la distance entre cette ville et elle. Est-ce qu'il lui arrivait de se sentir prête à sauter le pas ? Est-ce qu'elle avait déjà réfléchi à ce qu'elle ferait, à où elle irait ? « On serait perdus sans toi, Gigi. » Ces mots-là fuitèrent d'entre ses lèvres avec plus de difficulté encore, non pas parce qu'il ne voulait pas qu'elle les entende, mais parce qu'il avait conscience de l'image que ça donnait une nouvelle fois de lui. Celle d'un homme qui y avait déjà cru un peu trop fort, en dépit de tout bon sens parfois, et qui était encore prêt à l'impossible pour la dissuader de partir. « Lucas, moi. On a besoin de toi, même si tu t'en rends peut être pas compte. » Même si elle devait avoir l'impression du contraire, c'était une chose dont il ne pourrait jamais la laisser se convaincre. Peu importe ses erreurs, peu importe tout ce qu'elle était convaincue de mal faire. La place qu'elle tenait dans leur vie, même si elle restait incertaine parfois, personne d'autre ne pourrait jamais la tenir. Tout comme personne ne pourrait combler le vide qu'elle laisserait derrière elle.

« Ils m'ont demandé de tes nouvelles. » Elle éprouve un honnêtement sincère en entendant ces mots et sa surprise se retranscrit dans ses yeux. Les parents de Reed doivent la détester et même si cette pensée lui porte un coup, Gigi ne peut que difficilement s'attendre à autre chose de leur part. C'est en général ce qui se produit quand vous trompez votre ex-mari et balancez toute votre histoire ou presque aux ordures. Votre relation avec vos beaux-parents, quelle qu'elle soit, a tendance à se désagréger nettement après ça. Les parents de Reed l'avaient acceptée quand ils s'étaient mis ensemble, passant au delà de toutes les façons par lesquelles elle était si différente de leur fils et de la femme qu'ils se représentaient certainement être bien plus taillée pour lui. Gigi en avait machinalement éprouvé de la reconnaissance, se passant bien d'éventuelles querelles avec ses beaux parents. Elle avait même fini par les apprécier. Tout cela, cependant, c'est du passé. Elle a brisé le coeur de Reed. Il est trop conciliant et/ou trop attaché pour ne pas la précipiter hors de sa vie et de celle de leur fils, fils qu'elle n'a de cesse de décevoir quand bien même il est trop petit pour saisir la pleine mesure de la situation,  mais il y viendra sûrement. C'est du moins ce que Gigi pense,  au fond.
Le temps finira par manquer. Un jour, elle commettra une erreur qui n'aura pas l'allure d'un drame, pas forcément, pas sur le moment, mais qui en constituera un malgré tout. Un jour, elle atteindra une sorte de ligne de démarcation et elle n'aura pas la sagesse de s'arrêter devant. Elle la traversera et ce jour-là le fragile équilibre maintenu par la nature bienveillante de Reed se verra brisé. Il verra Gigi comme elle se voit et il n'y aura plus aucune marche arrière possible après ça.
« Je m'en suis sorti en brodant quelque chose d'un peu approximatif. Rassure-toi, je pense pas qu'ils te contacteront. » A cela, elle se contente d'acquiescer d'un mouvement de tête, sa reconnaissance passant dans son regard, lui ôtant le mot de la bouche. Merci.

Vient ensuite le moment de gérer l'éléphant qui se trouve dans la pièce. Un éléphant qui se tape l'incruste depuis nettement trop longtemps et que Gigi entreprend de déloger en quelques phrases. Elle n'est pas surprise que Reed se reproche lui aussi leur écart. Il est bien normal, bien sûr, de reconnaître que leurs deux responsabilités étaient engagées ce soir-là, mais au delà de ça, pour quiconque les a connu en couple, Reed a toujours incarné le pendant raisonnable à la nature survoltée de Gigi.
L'eau de son feu, en quelque forte.
Non que l'image soit pertinente.
L'eau éteins le feu.
Reed n'a pas éteins Gigi. Etouffée peut-être, nettement, mais jamais de son fait, jamais intentionnellement. Elle n'a pas ne serait-ce que l'idée de le blâmer pour ça. Elle ne l'aura jamais. Elle aime que Reed soit ce qu'il est. Si elle avait voulu épouser un homme qui reflète fidèlement chaque dimension de sa propre personnalité, alors son regard se serait porté ailleurs.
Les opposés s'attirent. Ce fut le cas, du moins, pour eux. Et ça a fonctionné. Pas pour toujours, durant un cours instant même, à l'échelle d'une vie, mais ça a fonctionné. Et ça a compté.
Elle est sincère quand elle dit qu'elle n'attend pas de Reed qu'il soit raisonnable à chaque instant. Elle sait qu'il a été élevé selon cette ligne de conduite et que les attentes déposées durant l'enfance sur ses épaules ont contribué à définir ce qu'il est aujourd'hui. Et oui, parfois la nature plus posée et raisonnable de Reed a aussi profité à Gigi et très certainement que ça a contribué à l'attirer vers lui. Mais cela ne l'empêche pas de souhaiter aussi autre chose à son ex-mari. Qu'il se laisse aller un peu plus, qu'il se défasse un peu du poids placé de longue date sur lui. Cela pourrait lui faire du bien et lui ouvrir de nouvelles portes, qui sait. Il peut prétendre à tellement de choses. « Je suis pas certain que ce qui s'est passé serve de bon argument pour que je me montre plus souvent déraisonnable. » Ouais. Il marque un point, mais elle ne s'y arrête pas. Elle se fend d'un léger haussement d'épaules. « Je ne m'arrêterais pas à ça à ta place. Un jour l'issue sera peut-être différente. » Il doit se dire qu'elle est mal placée, elle même, pour défendre ce point de vue. Gigi est loin de constituer un bon argument avec sa vie filante et effilochée, mais c'est à croire qu'elle a ça dans le sang. Elle ne sait pas comment être quelqu'un d'autre. Elle a essayé, en vain, et si l'existence de son fils ne peut pas l'ancrer à la terre, alors sans doute que rien n'y parviendra.

Cette conversation leste son moral comme c'est souvent le cas lorsqu'elle se laisser aller à l'introspection, essaie de dresser un bilan confus de sa vie jusqu'ici.
La confidence a un parfum de plomb.
Elle s'y abandonne quand même.
Les mots s'écoulent de sa bouche alors qu'elle reconnaît à voix haute qu'elle a éprouvé du bien être en retrouvant Reed, même l'affaire d'une seule nuit. Des mots cendreux, embarrassants et qui raisonnent presque comme une insulte, du moins aux yeux de Gigi. Ce n'est pas juste de lui dire ça. Cela ne peut les conduire nulle part, pas positivement parlant du moins.
Pourquoi gâche-t'elle tout constamment ?
« Non c'est... » Il lui trouve des excuses, inévitablement. Il a ça en lui, autant qu'elle a en à elle de tout saboter en permanence. « On a passé un bon moment, et j'étais... heureux que la soirée prenne cette tournure. » Bon sang.
Elle va lui faire du mal, encore.
Ses yeux bruns se chargent de tristesse.
Elle ferait mieux de se taire, mais elle transgresse une nouvelle ligne.
C'est du pur Gigi.
Comme de très loin soudain, elle s'entend reconnaître à présent qu'elle songe à partir, parfois. Souvent. Elle ajoute à cela que ça ne doit pas le surprendre, non ? Comme pour se dédouaner rapidement, comme si on ne pouvait légitimement rien attendre d'autre d'elle que ça.
Que la fuite.
C'est ce qu'elle a fait, après tout, jusqu'ici.
Elle a pris la fuite vis-à-vis de leur mariage, en le précipitant vers sa fin sans faire cas e minimiser les dégâts.
Elle ne cesse de prendre la fuite désormais, en se soustrayant à ses obligations envers leur fils.
Elle passe son temps à courir et pas forcément après quelque chose ce qui ne rend la situation que plus triste.
Constamment en mouvement, constamment sur le départ.
Instable.
« Je me suis souvent demandé ce que je ferais si l'idée germait un jour dans ton esprit, parce que je crois que j'ai toujours su que c'était une possibilité, oui. » Elle acquiesce, figée de son côté de l'îlot de la cuisine, plus immobile qu'elle ne l'est en temps normal. Bien sûr, qu'il a toujours sut, ou du moins qu'il a finit par y venir. Il la connait. Il sait ce dont elle est capable. « Est-ce qu'il t'arrive de faire plus qu'y songer ? Est-ce que tu as déjà eu envie... de le faire ? »
Oui.
Non.
« On serait perdus sans toi, Gigi. » Elle peut jurer que sa gorge s'est remplie de papier de verre. Ses yeux rougissent, sa respiration se hache un peu. Elle ne s'attendait pas ça. Ce n'est pas qu'elle est sincèrement étonnée d'entendre de la bouche de Reed que Lucas et lui ne seraient pas mieux sans elle. Elle sait qu'elle compte toujours pour lui, même si ça défie pour bien des gens toute logique. C'est sans doute juste le fait d'entendre ces mots à voix haute qui menace de faire sauter un barrage en elle. « Lucas, moi. On a besoin de toi, même si tu t'en rends peut être pas compte. » Non, elle ne s'en rend pas compte effectivement. Lucas finira par la détester, elle en a la conviction et Reed... Reed y viendra un jour lui aussi. Ou peut-être qu'il ne la détestera pas, non, mais il cessera d'espérer. Il cessera d'attendre quoi que ce soit d'elle. Quand il la croisera, il n'éprouvera plus qu'un mélange d'exaspération et de déception. C'est cette vision hypothétique de leur futur qui achève de faire rouler des larmes sur les joues de Gigi.
Reed ne l'a que rarement vue ainsi. Presque jamais.
Elle laisse les larmes filer, ne les écrasent pas. Ses mains se resserrent sur les bords de l'ilot, ses phalanges blanchissant alors qu'elle tâche de se resaisir.
« Je suis désolée. » qu'elle finit par lâcher d'une voix étranglée, au bout de quelques instants.
Elle ne sait pas de quoi elle s'excuse, précisément. Elle a trop de raisons de s'excuser au point où ça ne fait sans doute même plus sens. Elle se force à rouvrir la bouche, à relever des yeux qu'elle a baissé quelques instants plus tôt. « Partir pour toujours serait trop douloureux. » Elle n'a pas ça en elle, le courage lui manque, même si elle persiste à penser que ce serait, de loin, la décision la moins égoïste qu'elle pourrait prendre de sa vie.

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Quiconque le connaissait savait que ça n'était pas son fort, à Reed, de lâcher prise et de se laisser simplement aller à un moment d'impulsivité et de déraison, ce qui expliquait probablement qu'il ait autant ressassé cette nuit passée avec Gigi et n'ait pas manqué de se flageller à chaque fois. C'était comme s'il s'était toujours senti l'obligation d'être celui sur qui on pourrait compter pour prendre les décisions les plus réfléchies, ou du moins pour garder la tête froide en permanence, et il n'y avait bien que lui pour avoir longtemps nié que ça l'avait sans doute longtemps privé de l'occasion de sortir de sa zone de confort et de faire un peu plus souvent les choses parce qu'il avait envie de les faire et non pas parce qu'il était supposé les faire. Le problème, c'est qu'il peinait au fond de lui à comprendre comment il était supposé s'affranchir du besoin de pondérer la moindre de ses actions si c'était chaque fois susceptible de tout compliquer. Comme ici où son rapprochement avec son ex-épouse ne risquait pas seulement d'altérer sa relation avec cette dernière et d'instaurer une gêne qui tôt ou tard risquait de se répercuter sur Lucas, mais où leurs actions risquaient aussi de compromettre l'équilibre parfois bancal que toute la famille était parvenue à trouver au gré des séparations et des conciliations.

C'est à tout ça qu'il pensait aujourd'hui, là où il était bien loin d'avoir ce genre de pensées à l'esprit lorsque rien ne comptait plus que de retrouver les étreintes de la jeune femme. Alors non, il n'était pas certain qu'il rendrait service à grand monde s'il osait plus souvent agir déraisonnablement. A commencer par lui-même, à vrai dire. « Je ne m'arrêterais pas à ça à ta place. Un jour l'issue sera peut-être différente. » Il aimerait le croire aussi simplement que ça, lui aussi, ne serait-ce pour ne pas passer le reste de sa vie à craindre la moindre répercussion chaque fois qu'il lui prendrait l'envie de déroger à sa ligne conductrice et à prendre un soupçon de risque. Parce qu'il ne demandait au fond qu'à prendre la vie avec un peu plus de légèreté, Reed. Ça n'avait simplement rien de simple de se convaincre que céder à ses envies et en affronter les conséquences, ça avait parfois des vertus qu'on ne soupçonnerait pas. « Tu as sûrement raison. » Le plus fou, c'est que c'était précisément la personnalité de Gigi, sa passion, son espièglerie et tout ce qui faisait d'elle quelqu'un d'aussi intrépide qu'indomptable qui l'avait précisément séduit en premier lieu chez elle. Parmi beaucoup d'autres choses, bien sûr, mais il gardait tout particulièrement en mémoire l'instant où il avait compris à quel point ils pouvaient être différents sur le papier mais à quel point, étrangement, ça ne lui faisait pas peur. Ses proches avaient montré bien plus de scepticisme face à leur couple pour le moins détonant, mais même ça n'avait pas altéré le regard que Reed avait pu poser sur elle, comme si tout ce qu'elle était représentait justement la dose de changement et d'inattendu dont il avait cruellement besoin au quotidien. S'il savait aujourd'hui que leur mariage était loin du havre de paix auquel il rêvait à leurs débuts, que la jeune femme n'avait pas connu le plein bonheur qu'il souhaitait tant pouvoir leur offrir et qu'il en avait finalement souffert à son tour comme il n'avait jamais souffert en amour, Reed restait pour autant conscient de l'influence positive que l'arrivée de Gigi avait eu sur lui. Peut être pas au point de le changer complètement ou de lui faire voir la vie tout à fait autrement, mais assez pour qu'il se rende compte aujourd'hui de ce qui avait changé après leur séparation et d'à quel point elle l'avait sans doute déjà inconsciemment incité à oser rien qu'un peu plus, rien qu'un peu plus souvent.

Pour ça, il serait bien incapable de regretter ce qui était survenu l'autre soir. Pour ça, il serait surtout bien incapable de rester de marbre face à l'idée qu'elle puisse potentiellement songer à partir. A mettre sa vie à Bristol derrière elle. A laisser ceux qui n'étaient pas le moins du monde armés face à la possibilité de son départ. Il s'incluait bien évidemment dans le lot, Reed, parce que même après leur divorce et même après qu'elle lui ait probablement fait plus de mal que quiconque avant elle, il ne pouvait pas imaginer son monde sans qu'elle en fasse partie. Sans qu'elle y tienne au moins une place, aussi petite qu'elle le souhaite, mais une place malgré tout. Mais c'est aussi et surtout à leur fils qu'il pensait, à lui qui du haut de ses deux ans méritait non seulement que sa mère fasse partie intégrante de sa vie, mais qui méritait aussi de savoir qu'elle s'était battue pour s'y faire une place. Que ça n'avait pas toujours été simple, mais qu'elle avait tout fait pour y parvenir. Parce que tout ça, Reed se refusait à le lui dire en grandissant, à lui parler de sa mère comme d'une figure fantomatique qui avait choisi de s'en aller et que Lucas découvrirait au gré des photos et des souvenirs qui lui permettraient de se faire une idée de la femme et de la mère qu'elle était. Il ne voulait pas de ça pour leur fils, mais il ne voulait pas de ça non plus pour elle. Gigi méritait une vraie chance avec Lucas, elle méritait surtout de voir combien sa présence lui serait toujours essentielle. Combien elle leur serait toujours essentielle à tous les deux. « Je suis désolée. » S'il avait vu l'émotion la gagner au fil des minutes, c'est de la voir si désarçonnée à cet instant qui le bouleversa entièrement. Il n'avait plus le souvenir de la dernière fois qu'il l'avait vu aussi ébranlée, aussi vulnérable, autant à la merci de ce qui la submergeait. Elle avait toujours tout ressenti avec intensité, avait parfois laissé ses émotions la contrôler et prendre le dessus, mais rarement de cette façon. « Gigi. » Sa voix se voulait aussi douce qu'elle laissait transparaître son souci et sa propre émotion. « Si c'est à cause de ce que j'ai dit... » Il ne voulait pas lui faire de peine, pas plus qu'il n'espérait la bouleverser en lui disant ces mots. La voir pleurer était une vision difficilement supportable, mais l'entendre s'excuser était sans doute tout aussi difficile. Il ne voulait en aucun cas rajouter à la culpabilité qu'elle éprouvait sans doute déjà face à toute cette situation ; il ne voulait pas qu'elle se sente en plus coupable de ça.

« Partir pour toujours serait trop douloureux. » Ce n'est pas lui qui irait dire le contraire, et sans doute qu'il aurait été profondément soulagé d'entendre ces mots si elle ne les avait pas prononcé dans un contexte aussi douloureux et difficile. Peut être bien que ça la frustrait, tout au fond d'elle, que ces attaches l'empêchent de choisir la fuite dont une part d'elle rêvait probablement, parce qu'il la connaissait au fond un peu trop bien. Ça ne l'empêchait pas d'être certain qu'elle aimait Lucas et qu'elle serait incapable de l'abandonner. Ou qu'elle passerait sinon le reste de sa vie à se le reprocher. « Tu n'as pas à partir, Gigi. » Il osa s'approcher d'un pas, puis d'un second, sans pour autant totalement oser briser la brève distance qui les séparait toujours. De son coté de l’îlot, il avait l'impression de lui laisser l'espace dont elle avait besoin, celui dont il l'avait sans doute un peu trop privé durant leurs années de mariage. Il avait l'impression de se montrer plus raisonnable que la dernière fois qu'il s'était approché d'elle avec aucune envie d’aggraver les choses mais aucune capacité non plus à freiner la machine avant qu'elle ne s'emballe. « On sait tous les deux que ça ne résoudrait rien. » Que si fuir semblait parfois être la seule solution, ça n'aiderait pas à tout résoudre. Que ça ne résoudrait pas ce qui lui valait de tant culpabiliser depuis des mois, si ce n'est en lui donnant l'impression de rendre service à leur fils. Mais ce ne serait pas le cas, pas si elle devait partir. « Je n'aime pas te voir pleurer. » Il confessa finalement, sa propre émotion faisait dérayer sa voix sur la fin. A cet instant, chaque part de son être aurait voulu la serrer contre lui, simplement pour qu'elle sache qu'elle n'était pas seule. Qu'il serait toujours là pour elle, encore aujourd'hui. « Si tu préfères que je te laisse... je peux repasser à un autre moment. » Il ne voulait pas faire pire que mieux, il ne voulait pas en rajouter. C'était déjà indirectement par sa faute qu'elle se retrouvait dans cet état, et la dernière chose qu'il souhaitait c'était lui rendre les choses encore plus pénibles. Ils savaient tous les deux qu'elle aussi se serait sans doute évitée pas mal de complications si leurs chemins ne s'étaient jamais croisés. Malgré tout, ça aussi il était incapable de le regretter et elle le savait bien.