Can We Pretend (Terry FB#1)

Can We Pretend

Tessa Mulligan ☆ @Terry Mulligan

gifs by (c) @svejarph et @sabrinaacarpenters

La nouvelle est tombée dans ma nuque aussi brusquement que le couperet d’un guillotine. La différence, c’est cette douleur persistante puisque je suis ressorti vivant de cette réunion fraternelle à l’initiative de Tessa. Vivant, mais inquiet, furieux également. De coutume réputé pour mon égoïsme - et quoique je n’admettrai jamais que ce n’est qu’une façade  - plus d’un s’étonnerait du fil de mes pensées. A tout peser,  j'aurais préféré être celui de nous deux frappé par la maladie. On ne choisit pas cependant, pas plus qu’on ne détermine de l’ampleur des conséquences d’une pathologie sur le quotidien. Sera-t-elle diminuée, Tessa ? Quand l’a-t-elle reçu, son diagnostic ? Combien de temps l’a-t-elle gardé pour elle ? La réaction de Lincoln présume qu’il n’était pas au courant et j’ai foi en Tessa. Néanmoins, je doute à cause de ma frustration, de cette rage à l’endroit du destin. Une petite voix - dans un dessin animé, il s’agirait d’un petit diable assis sur mon épaule - me souffle que j’ai été pris pour un con parce que c’est plus facile ? Au départ, ce n’était qu’une graine plantée dans mon esprit des suites d’une insomnie. La prise de recul de Tessa l’arrosant, elle a grandi, s’est épanouie, répandue comme de lierre de ma tête à mon coeur. Alors, j’ai arrêté de l’inonder de messages auxquels ma soeur répond avec détachement, j’ai agi. Je suis montré dans un train directement Bristol, je me suis arrêté dans une boulangerie et j’ai frappé à sa porte à l’improviste. Ne pas la prévenir était volontaire. J’ai refusé d’assumer le risque qu’elle me déboute au profit d’une éventuelle absence. Celle-là, j’aurais pu la digérer. Une invitation à rester sur Paris aurait alimenté cette hypothèse aux allures de certitudes. Je suis trop heurté pour réaliser seul que je ne suis pas le dindon de la farce. J’ai besoin d’aide tant à propos de Link qu’au sujet du mal de Tessa. ”T’inquiète. J’en ai apporté.” Je lui ai tendu un sachet avant de la suivre à l’intérieur. Elle s’est retranchée dans la cuisine et je me suis demandé si elle m’évite ou si la préparation de son thé n’est en réalité qu’une excuse.  ”Je n’avais pas prévu de venir. Mais, j’ai pas besoin de m’annoncer pour venir te voir, si ?” Je ne rentre pas de vacances, ne suis pas en quête d’un pied à terre, j’ai toujours où aller puisqu’ici, je suis chez moi.  ”Et j’en veux bien une tasse, merci.” Je me détends parce qu’elle n’a pas sorti sa théière afin de lester d’un poids de véracité ce qui aurait pu appartenir à un mensonge. Alors, je suis retourné au salon où je l’ai attendu patiemment. Tout occupé à réfléchir sur la meilleure façon de l’aborder, je ne l’ai pas entendu arriver. Au contraire, j’aurais veillé à épingler sur mes traits le masque de ma décontraction.  ”D’après Google, c’est plus qu’effrayant. Comment tu es supposée vivre si tu peux plus faire face aux imprévus ? Il y a un traitement ? Enfin, on t’en a donné un ? Il y a de grands spécialistes aux Etats-Unis. On pourrait y faire un saut au moins pour avoir un deuxième avis. On va pas se laisser faire, si ? Puis, tu le sais depuis combien de temps d’ailleurs ? Tu as été voir quelqu’un d’autre ?”  Seule ? Avec nos parents ?  ”Avec Lincoln ?” Peut-être. Pourquoi pas ? C’est son jumeau, non ? En outre, ne suis-je pas là pour me débarrasser de l’impression d’avoir été le dernier au courant ?

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☆ @Tessa Mulligan ☆ @Terry Mulligan

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Mon ton, en réponse à la surprise de Tessa, a tinté étrangement à mon tympan. Il m’a rappelé ces fois où, Link coupable d’une bêtise, je partais du principe qu’un regard de nos parents vers moi supposait qu’il ne croyait pas à mon innocence. J’en devenais d'emblée presque agressif et, si l’âge m’a appris à  ne plus tomber dans cet excès, je ne brille pas sous les feux de la sympathie. Il conviendrait davantage que je me détende. Je ne me suis pas pointé chez ma sœur dans le but caché de lui chercher des noises. Au mieux, fourbu d’inquiétude, je suis venu chercher des réponses. Dans le pire des cas, je serai l’obligé de son bon-vouloir et je prierai pour être rassuré quoique l’inverse serait plus juste. Ma cadette a le don de révéler ce qu’il y a de bon en moi et, fort de cette empathie réservée aux privilégiés, je suis conscient que trouver auprès d’elle du soulagement sera compliqué. Je me mets à sa place aisément. Si je digère mal la nouvelle de cette maladie, si j’ai l’impression depuis lors que mes jambes sont raccourcies, je n’ose imaginer l’ampleur du choc quand est tombé le diagnostic. S’est-elle sentie seule ? Finie ? Pour le moins désemparée, j’en suis certain. Alors, je rectifie mon humeur maussade au profit de la douceur.  ”Je sais. Je ne pense pas que tu me vois comme un intrus. J’avais envie de passer du temps avec toi et je suis parti sur un coup de tête.” ai-je expliqué depuis le chambranle de la porte contre laquelle je me suis adossé. De là, j’ai le loisir de l’observer remplir la théière, une assiette de nos scones et, plus tard, les tasses de son service. Ses mouvements n’ont pas l’air de l’essouffler. Ses joues ne rougissent pas à cause de la faiblesse de son cœur. Elle ne tousse pas, pas plus qu’elle ne blêmit. Mais, Google est formel. Ce dont elle souffre est assez grave pour qu’elle se ménage. Je donnerais n’importe quoi pour l'envelopper dans de l’ouate ou cacher ses yeux de l’horreur du monde avec des œillères. Sa sensibilité est son cadeau : elle la hisse au-dessus de la masse des Hommes, sur la plus haute marche du podium. Mais, pourrait-elle la tuer si elle ne se transformait pas en toile cirée ? une angoisse enfle dans mon estomac et, mal armé pour affronter mes émotions, j’ai craché le morceau gardé en travers de ma gorge. : je ne suis pas prêt à me résigner.  ”Je ne sais pas. Peut-être que ça date du jour où l’humanité est tombée d’accord pour dire que le net est une mine d’informations et un outil qui nous facilite la vie.” Version édulcorée de ses avantages compte tenu de la kyrielle d’inconvénients à la toile que dresse mon esprit critique.  ”Il y a de grands spécialistes qui pourraient voir les choses différemment.”ai-je lancé, plus radouci puisque le cynisme précédent ne m’apportera rien de bien. ”Alors, ça ne changera peut-être rien, je suis d’accord, mais qu’est-ce que tu as à perdre ? Même s’il n’y a pas de solution miracle, comme tu dis, tu as pas envie de te dire que tu as tenté le tout pour le tout ? je m'occuperais de la paperasse, des rendez-vous, de l’hôtel. Qu’est-ce que tu as à perdre ?” Qu'aurait-elle à y gagner si ce n’est de la déception et je peux l’entendre. Pour être exact, j’aurais pu si la colère, fruit de mon égoïsme, ne s'installe peu à peu en moi. Elle point comme un vent mauvais par le nord.  ”ça ne coûte rien d’essayer.” ai-je marmonné en ramassant les boîtes de médicaments déposées au préalable sur la table. J’en ai pris un de chaque et je les ai glissés dans la poche intérieur de mon blazer.  ”J’ai besoin de savoir ce qu’on te donne, que c’est bien le meilleur, le plus adapté.” “ce que tu mérites de recevoir” aurais-je pu résumer simplement.  ”Tu me tiens à l’écart de tout ça depuis avril.” Cette fois, je suis un peu sceptique et tous mes appels à la tempérance s’évanouissent dans les airs.  ”Tu as pris le temps de digérer, et tu as bien fait, je suppose que c’est normal. Et, nous ? On doit accepter parce que toi, tu as décidé que tu étais prête à gérer, juste en claquant des doigts ? Sérieusement ? Tessa, je ne demande pas grand-chose.” J’ai ramené la tasse qu’elle m’a servie vers moi.  ”Viens avec moi à Seattle. Pour moi.”

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☆ @Tessa Mulligan ☆ @Terry Mulligan

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Qu’importe où j’ai déniché les noms des médecins réputés pour leur travaux de recherches sur les pathologies du cœur. J’ai des numéros, assez d’argent pour y conduire ma soeur et payer les honoraires exorbitants de ces spécialistes. Alors, pourquoi ? Pourquoi refuse-t-elle de les rencontrer ? Pourquoi s’enferme-t-elle dans les diagnostics de ces docteurs coincés dans leur médiocrité ? Certes, je suis dur, mais je suis de ceux qui n'abandonnent jamais, qui ne se condamneraient pas à une vie de personne malade après n’avoir reçu qu’un seul avis. A  la place de Tessa, je tenterais le tout pour le tout et, ne serais-je pas terrifié, j’aurais accepté qu’elle a le droit d’être différente de moi, qu’elle a sa propre personnalité et qu’il s’agit surtout d’elle, de son corps et que la façon dont elle gère sa situation ne me regarde pas. Au lieu de ça, mes idées se mélangent. Je confonds ce qui devrait être et ce que je veux qu’il soit. Je ne sais plus si, par affection, il convient de respecter ou de la bousculer. J’ignore si mon égoïsme la frappera aussi alors que je l’en tiens à l’écart. C’est sans effort d’ailleurs. C’est aussi naturel que de respirer parce que je l’ai vue grandir et réussir. En outre, elle m’a toujours encouragé, elle a toujours cru en moi et m’a encouragé même quand d’autres doutaient de ma réussite. Cet après-midi, alors que le thé refroidit dans la tasse et que je ne touche pas aux scones par manque d’envie - j’adore ça, pourtant -, je m’offusque devant son attitude.  ”Comment ça : perdre ton temps ? On parle de ta santé, de ton avenir, de la façon dont….” Dont tu risques de vivre dans les prochaines années, me suis-je gardé d’ajouter, conscient que je pourrais la blesser. Je crois que je ne le supporterais pas et, pour cause, elle n’a pas besoin de composer avec mes états d’âme, mes humeurs, mes obsessions. Elles sont nombreuses, souvent liées à une peur terrible de la solitude, une qui n’a rien de rationnel ou qui dépend - sans que je ne veuille me l’admettre - de l’abandon de mes parents. Elles prennent le contrôle également : je me contiens, c’est vrai, mais de plus en plus difficilement dès lors qu’elle m’invite à me taire..  ”Arrêtez quoi ? De m’inquiéter pour toi ? De te proposer des options ? ” Déjà, je ne raisonne plus tout à fait. Je serre la mâchoire qui s’anime de tics nerveux. Je baisse la tête parce que mon regard la glacerait sur le champ tant il s’assombrit. Elle m’aime, mais pas assez pour m’accompagner à Seattle et consacrer une heure dans un hôpital.  ”Arrête de faire croire que tu le fais pour moi, parce que tu serais triste pour moi si les nouvelles ne sont pas celles que j’attends. Je préfère quand tu assumes que tu as simplement pas envie de changer quoi que ce soit parce que, toi, tu as digéré et qu’on a plus qu’à faire comme toi. ” Ne l’ai-je pas déjà dit en d’autres mots ? Assurément, mais j’en suis à peine conscient. Et, pour cause, je tourne comme un vieux disque rayé parce que mon cerveau, il est enseveli d’idées stupides dont je me suis convaincu.  ”A qui tu as caché des choses ? A moi ? ou à Link et moi ? Parce que tu as plus l’air certaine tout à coup.” ai-je soulevé le laspsus qui, d’après moi, est révélateur.  ”Et si c’est lui qui t’avait demandé de le faire ? Hein ? ” La question est presque rhétorique : j’ai déjà une réponse, tissée de toutes pièces dans le drap mes angoisses. ”Laisse moi deviner. Tu lui aurais promis d’au moins y réfléchir pour finalement lui dire oui. Tu aurais dit oui ? Non. Mieux. Tu lui aurais confié ton agenda pour qu’ils prennent rendez-vous et tu aurais réservé les billets d’avion toi-même. Tu attends de moi que je sois là, mais tu me laisses pas faire… Je ne comprends pas ” En revanche, son jumeau, il convient de toujours le rassurer, d’accepter sa nature plus fragile - supposément fragile -, de satisfaire à ses moindres désirs. et, pourquoi ? ”C’est parce que tu n’en as pas besoin, que je sois là, pas vrai ? Ton frère est là de toute façon. Donc…” J’ai haussé les épaules et, si une petite voix m’a confié que j’exagérais, je ne l’ai pas entendue. Je l’ai bâillonnée.

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☆ @Tessa Mulligan ☆ @Terry Mulligan

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Elle a de l’empathie, Tessa. Parmi sa kyrielle de qualités, c’est probablement celle que chacun lui reconnaît après un regard ou, mieux, une discussion. Où est-elle donc passée ? Pourquoi n’arrive-t-elle pas à se mettre à ma place ? Pourquoi ne parvient-elle pas à réaliser que je ne me rends pas coupable d’un délit d’ingérence, que je veux simplement ce qu’il y a de mieux pour elle ? Est-ce difficile d’entendre ma proposition et de lui concéder qu’elle n’est pas mauvaise et qu’elle mérite qu’elle s’y penche ? Qu’elle y pense sérieusement au lieu de me rencarder sur le banc des réservistes ? Je ne suis pas seulement déçu, je suis perplexe, surpris au point de me demander lequel de nous deux est concentré sur son nombril. C’est sur mon berceau que la fée de l’égoïsme s’est penchée. Ce renversement des pôles, il me désarçonne. Ma nervosité s’amplifie, elle enfle dans mon estomac et dame le pion de mes angoisses. Elles, elles me rattraperont. Sur l’heure, je ne les entends plus brailler. Pour être honnête, mes oreilles bourdonnent sous les protestations de ma contrariété si bien que la voix de ma soeur me parvient à peine. Elle est aussi étouffée que je ne suis assourdi par ma déception. ”Donc, ce que tu dis, c’est que si c’est pire, tu veux pas le savoir, ce qui signifie être en danger et vivre avec cette hypothèse. C’est…” Stupide ? Ridicule ? Je le pense, je ne le crache pas. Hors de question d’être mauvais avec ma soeur, mais Dieu seul sait les trésors de tempérance j’ai dû déterrer pour ravaler ma bile. ”Tu sais quoi ? Laisse tomber, Tess” ai-je lancé, bondissant du fauteuil. J’ai besoin de bouger, de marcher, de m’occuper les mains. D’une oeillade circulaire, j’ai cherché un objet sur lequel passer mes nerfs. J’ai opté pour un bic traînant dans un pot à crayons. Il a tourné entre mes doigts comme tournoient mes certitudes dans mon esprit malade de jalousie : je soupçonne Link informé avant la réunion fraternelle. J’en aurais mis ma main à couper. Bien sûr, je ne suis certain de rien. Je suggère, simplement. J’accepte l’éventualité où je me trompe sur les avisés de la pathologie qui ronge le coeur de ma cadette. En revanche, ce dont je suis convaincu, c’est qu’une conversation identique avec son jumeau n’aurait pas dégénéré à ce point. Je jure qu’à défaut d’accepter d’emblée, elle aurait promis d’y réfléchir. Pourquoi m’oppose-t-elle donc un refus aussi catégorique ? Le désappointement, mêlé à l’affliction, me donnerait presque la nausée. Je ne peux pas rester : je n’ai pas les mots pour expliquer ce qui me chagrine depuis tant d’années. Un ressenti ne se traduit pas. Il n’a pas non plus besoin d’être défini pour devenir légitime. ”Je n’en sais rien, d’accord ?” me suis-je écrié d’une voix de stentor antique. ”Ce que je sais c’est que tu as choisi de baisser les bras et j’assisterai pas à ça, ok ? Peut-être que ça conviendra à Link, mais moi, je te regarderai pas accepter une situation sans avoir toutes les données pour être certaine que tu fais le bon choix. Je suis ton frère. Et je t’aime Tessa, parce que tu es ma soeur, ma je refuse de t’aimer mal parce que ça t’arrangerait. Je l’ai déjà fait et j’y ai rien gagné.” Déshabiller son coeur est une épreuve qui consomme plus d’énergie que je n’en ai à disposition. Alors, j’ai fouillé la pièce d’un regard, j’ai repéré ma veste sur le dossier d’une chaise - retourné, j’avais oublié - et je l’ai ramassé non sans avoir conclu d’un : ”Laisse tomber, Tess. Je te souhaite une bonne journée quand même.” Partir aura le mérite de ne pas envenimer une conversation enveloppée du poison des non-dit.