Sami » Itsy Bitsy

La journée avait été longue. La soirée le serait encore plus.

Forcé de faire du temps supplémentaire pour combler l’absence d’un de ses collègues, Sami avait franchi la porte de sortie du centre pénitencier à 22 heures. Sa voiture au garage depuis le début de la semaine, il était contraint à revisiter les joies du transport en commun, le temps que le garagiste mette la main sur une pièce manquante. Ça allait lui coûter un bras, lui qui a peut-être oublié de renouveler ses assurances, pensant naïvement que sa voiture était intouchable.

En sortant à son arrêt de bus, celui à une quinzaine de minutes de marche de son appartement, Sami reçoit un message. C’est son ami qui lui demande s’il tardera encore longtemps avant d’arriver chez lui. Il semble déjà bourré, vue les fautes de frappe qu’il a faites. Ce soir, c’est Halloween. Le costume du garçon est encore chez lui, parce qu’il n’avait pas pensé à l’apporter au cas où il ferait des heures supplémentaires. Pour Sami, c’était inconcevable de se présenter à une soirée costumée sans déguisement. Et puis, il y avait consacré beaucoup de temps et de réflexion, à ce costume parodique d’Edward Cullen ! Il voulait qu’on complimente les efforts fournis dans l’application d’une peinture blanche sur toute son corps, avec l’ajout de paillettes qui brillent au soleil ! Il savait déjà qu’il ferait fureur ; Sami fait toujours fureur. C’est dans son ADN, de plaire à la majorité, jusqu’à ce qu’on découvre son vrai visage derrière ses jolis compliments manipulateurs.

« On est en retard à la fête ? » Qu’une voix s’élève derrière lui, dans la ruelle. Sami a sursauté et plaqué sa main sur sa poitrine. Fatigué, il se sent déjà un peu irrité. Quelle idée, de lui faire une telle frousse dans un lieu aussi sombre et reculé ! « Oui, justement. » Il annonce du tac au tac en plissant les yeux pour détacher de l’ombre la silhouette de l’étranger. Il s’est immobilisé, légèrement craintif. Il a l’habitude de côtoyer des criminels, alors il voit le mal partout. « La chasse aux bonbons, c’est un peu plus loin. » Il déglutit. La sonorité de la voix de l’homme lui a fait deviner qu’il a passé l’âge de frapper aux portes pour se sucrer les dents. Dans sa main, il a gardé son téléphone ouvert sur le clavier numérique. Il appuiera rapidement sur 999 s’il le faut.    

@Mac Kelly  

TW : couteau

Quelque chose cloche dans l’air. La soirée d’Halloween a toujours fait son petit effet sur Sami, qui a toujours adoré profiter de toutes les occasions pour faire la fête. Le 31 octobre le fait se sentir dans une autre dimension où les êtres humains ne craignent pas de s’amuser et de faire ressortir l’enfant en eux. À quel autre moment de l’année pourrait-il croiser un dragon dans la rue ? Sûrement pas lors d’une journée banale où le train-train quotidien fend les rails de tout le monde.

Mais dans cet air, légèrement nauséabond à cause des poubelles de chaque côté, ce n’est pas seulement Halloween qui envoie un frisson dans le dos de Sami. Il a l’impression que ce type apparu de nulle part, à la voix grincheuse et pourrie par la cigarette, lui passe la soie dentaire entre les vertèbres à chaque mot prononcé. Le CPIP, habitué de croiser le chemin de types pas nets, s’immobilise. Ici, il n’a pas son poivre de cayenne, et aucune caméra n’assure sa sécurité. « Un bonbon ... » Oh qu’il l’entend venir, la foutue vanne transformée en menace. Maintenant que l’étranger n’est plus collé au mur, il peut détacher sa silhouette du paysage. S’il fait quelques centimètres de moins que lui, il n’en est pas moins menaçant dans sa démarche, sa façon de ricaner comme s’il ne craignait pas la fin du monde. Le front de Sami se couvre d’un fin voile de sueur mais il garde le dos droit et sa fausse autorité. Ici, il est complètement seul. Il se surprend à espérer qu’Eli sorte de l’ombre à son tour pour que la force du nombre fasse son effet. Hélas.

Le couteau fait aussitôt réagir Sami. Il recule d’un pas, lève ses mains devant lui, mais pas pour renoncer, plutôt pour lui intimer de ne pas avancer davantage. Dans sa gauche, son téléphone encore ouvert, et le clavier numérique prêt à composer le numéro de la police. Il fait de son mieux pour ne pas le montrer, mais son index tremblant s’est mis à tapoter l’écran sans pour autant réussir à appuyer sur les bons chiffres. « N’avancez pas plus. » Il arrive tout de même à faire ressortir sa grosse voix autoritaire, la même qu’il utilise pour réclamer des comptes. Ses yeux font un ping pong entre l’homme et l’écran de son téléphone. « Qu’est-ce que vous voulez ? De l’argent ? » Pas de chance. Il ne se trimbale plus avec des billets de banque depuis qu’il a été engagé à la prison de Bristol. Et son téléphone ? Sans valeur, depuis qu'il a fissuré l'écran à trois endroits différents.  

@Mac Kelly  

Les techniques d’intimidation sont familières à Sami, qui nage déjà dans un environnement rempli de piranhas. Il sait habituellement comment réagir à une menace, une insulte ; souvent il lèvera haut le nez et continuera de marcher en prétendant n’avoir rien entendu. Sami est excellent pour jouer la carte de l’indifférence, mais dans cette ruelle avec pour seule issue droit devant lui, il n’a pas d’autre choix que d’accorder au mafieux de pacotille l’attention qu’il lui réclame. Il se prendra rapidement un coup dans le nez, ou pire, s’il agit comme avec tous les prisonniers à l’œil des caméras. Ici, il est seul contre un ennemi, et un peu contre lui-même. Ça le démange de grogner, de mettre à profit ses cours d’autodéfense, mais dans un scénario où il n’est pas armé, il n’a aucune chance de gagner la bataille. Et y’a pas à dire : le type a tout l’air de savoir manier cette lame brandie en sa direction. « Un organe suffira. » Il réagit à peine, seules ses phalanges blanchissent un peu lorsqu’il serre les doigts autour de son téléphone. Son front est couvert de sueur, et son expression est celle d’une petite fille qui a peur du monstre sous son lit, mais il ne l’admettra jamais à personne. Les choses deviennent sérieuses ; le prochain ordre est aboyé, et Sami échappe son téléphone en sursautant. Putain ! Il ne s’y attendait pas, à cette voix puissante qui pourrait lui décoller le cuir chevelu et lui creuser les premiers signes de calvitie. « Oui, oui, ça vient. » Il couine en tapotant ses poches à la recherche de choses qu’il sait déjà ne pas posséder. Jamais un CPIP ne se trimbalerait avec une montre de valeur sur son lieu de travail, encore moins avec des bijoux. Et puis Sami n’a pas le salaire le plus généreux. S’il décorait son poignet, ce serait avec du seconde-main récupéré sur Facebook Marketplace.

« J’ai rien. » Il réalise pour de bon à voix haute, après avoir fait poireauter l'autre quinze seconde. Puis, un peu plus fort, pour être certain que la brute a bien entendu. « J’ai rien du tout ! » Dans sa main, un porte-monnaie avec quelques certificats cadeau, une carte d’entrée illimitée au cinéma et son adhésion au club de lecture du dimanche, auquel il n’est plus allé depuis des lustres. « J’ai seulement ça. » Il explique en sortant de son socle une carte de crédit qu’il pourra de toute façon désactiver en quelques cliques grâce à son téléphone ou son ordinateur. « Je ne vaux rien du tout (aouch, l’ego !) alors continuez votre chemin. » À nouveau, ses yeux se remettent à exécuter un ping-pong entre l’agresseur et son téléphone étendu au sol, écran face au ciel, dévoilant le clavier numérique servant à faire un appel.  

@Mac Kelly