Happily ever after
Mai / 2020Chez euxTrigger Warning ; homophobie intériorisée
Qu'est-ce que le mariage ? Une promesse ? Des vœux ? Le désir de regarder ensemble dans une même direction ? Pour toi, ça a été un échappatoire, un leurre, une boîte que tu as refermé au-dessus de toi et de ta nouvelle épouse en espérant ne jamais devoir en ressortir. Tout, bien sûr, n'a pas été factice ; il y eut des vérités, une réelle tendresse, et un réconfort dans le regard de l'autre. Barbara a longtemps été une confidente, une amie, quelqu'un sur qui tu pouvais compter ; sortir avec elle, puis la demander en mariage, t'a semblé naturel,
la bonne chose à faire. Les mois qui suivirent furent heureux - vraiment heureux. Une planification commune, des projets plein la tête, des envies partagées, des fous rires et des chamailleries sur des détails pour lesquels tu lui laissas le dernier mot. Le jour du mariage reste pour toi inoubliable, une fête où les cœurs s'emballent, où tout devient clair, l'espace d'un instant, où l'on
sait qu'on a fait le bon choix. Barbara était magnifique ; parfaite, dans sa robe, dans ses sourires. Tu n'as ressenti aucune once de culpabilité lorsque les mots ont été prononcé, la bague passée au doigt : tu avais toi-même fini par y croire, à cette idylle. Une femme, peut-être des enfants, une vie rangée et, surtout,
normale. La lune de miel, elle aussi, fut presque semblable à un conte de fée, en témoignent vos photos, vos souvenirs, et les quelques babioles ramenées de votre voyage. Un séjour inoubliable, pour le passionné de découvertes que tu es, accompagné de Barbara qui, si ton cœur n'avait de cesse de se mentir sur tes véritables sentiments, fut une compagne incroyable. Tu ne regrettes pas un instant ta décision, ni même ces moments passés en sa compagnie et, lorsque tu refermes le coffre de votre voiture pour entrer
chez vous avec les bagages en mains, tu es persuadé que l'avenir qui vous tend les bras sera des plus radieux. Preuve en est, il fait beau, comme si le soleil lui-même était venu vous accueillir. Tu accours près de Barbie et passes une main autour de sa taille, sur le seuil de votre demeure. Tu déposes un baiser sur sa joue.
« Home sweet home, chérie ! » t'exclames-tu avec un rire au fond de la gorge alors que tu lui souris et franchis la porte.
La maison est calme, après ces semaines d'absence. Rien n'a bougé, pas le moindre objet, comme si vous n'étiez jamais parti, que la vie était restée là, à vous attendre bien sagement. Tu poses les sacs dans l'escalier, avec l'intention de les monter un peu plus tard, les jambes engourdies par les heures de vol puis de voiture que vous venez de faire pour rentrer chez vous. Tu fais craquer ton dos avant de passer à côté de ta femme et de déposer un autre baiser sur sa joue, un geste devenu presque habituel, chez toi, témoin de l'affection que tu lui portes. Tu n'inities pourtant jamais un baiser sur ses lèvres, jamais de gestes déplacés non plus. Tu comptes les jours qui séparent vos rapports pour qu'ils restent relativement fréquents, ne soulèvent pas de question. Ces instants, d'ailleurs, ont toujours été source de stress internalisés, pour toi. Peur qu'elle découvre tes travers, peur qu'elle ne comprenne pas toujours cette retenue. Le secret que tu gardes enfouie, dont tu ne veux même pas entendre parler malgré les œillades d'Oli à ton mariage, est trop tabou pour que tu veuilles l'exprimer. En ce sens, la lune de miel n'a pas toujours été facile pour toi, et tu tairas les méthodes employées pour apparaître comme un mari actif auprès de ton épouse. Tu en as terriblement honte.
Sans plus penser à tout cela, tu balayes la maison des yeux. La vie de tous les jours revient déjà peu à peu remplacer la légèreté du voyage mais tu comptes bien ne pas t'y laisser entraîner trop vite. C'est sans doute pourquoi tu viens enlacer Barbara en te tenant derrière elle.
« Alors, qu'est-ce que ça fait d'être enfin chez soi avec son mari, hm ?
» dis-tu doucement en posant les yeux sur la bague à ton doigt. Tu n'as jamais été très affectueux, Jonathan et, pourtant, tu ressens, avec elle, le besoin de l'être, comme pour vous prouver quelque chose, à tous les deux.