morning coffee

@Scarlet Arden ☆ Jules Donnelly

gifs by (c) jofridapettersen. et (c) recsbylotte

”Une restructuration, tu parles. Je le dérange, surtout. Je parle trop et la vérité le dérange” ai-je confié à Elliott au téléphone, alors que je quitte mon nouvel ancien job. Je détestais bosser dans cette boutique de fringues de mauvaises qualités vendues pourtant à des prix exorbitants. Au vu de mes convictions, c’était hypocrite de participer à ses activités. Sauf que le salaire n’était pas négligeable. Il n’assurait de l’autonomie et finançait mes projets les plus fous. Autant dire que je peste. ”Tu veux qu’on tag la façade ? C’est pas gratuit. C’est le genre de patron qui s’enrichit sur le dos des…” Je connais la suite : je l'écoute à peine. Je devine qu’au fond, il se réjouit de ce licenciement et je roule des yeux, tandis qu’il me flatte, pour mieux cacher qu’il m’ébranle. Il ne peut pas me voir, c’est idiot, mais n’ai-je pas précisé que la fierté n’est pas qu’un accessoire ? A force de m’y fier, elle est devenue un réflexe. Il a conclu par un ”Tu valais mieux que ça.” et je ne l’ai pas remercié. Pas le temps. Je passe devant la librairie de ma ante par alliance et de l’achalandage de sa vitrine est né une idée. Peut-être ne la gère-t-elle pas toute seule sans sacrifice, Scarlet. Peut-être qu’elle accepterait un coup main. ça vaut le coup d’essayer et je décide, ni un ni deux, de tenter ma chance. ”J’ai un truc à faire. Je te rappelle. Bisou.” ai-je lancé, raccrochant et soupirant pour gagner en courage. Ce n’est jamais facile de demander de l’aide, surtout quand nous ne sommes pas en danger. Seul mon porte-feuille souffre. Mon porte-feuille et mes projets mis sur pause. Me jugera-t-elle, Scarlet ? Non ! Impossible. Elle a autant d’affection pour elle que je ne nourris de respect à son égard. La preuve, elle me prend dans ses bras à peine ai-je poussé la porte de son commerce. Il sent la poussière, mais elle, elle a une odeur qui m’est familière et, par conséquent, rassurante. ”Et toi ?” ai-je demandé avant de poursuivre. ”Je passais devant et je me suis dit que je pouvais bien prendre le thé avec toi. J’ai eu une idée et… Enfin, c’est pas la question.” Pas encore, aurais-je pu ajouter en secouant le sachet contenant les boissons chaudes. J’aurais trouvé déplacé de me pointer les mains vides, surtout que cette visite, tout improvisée soit-elle, assume un but caché. ”Je viens d’être virée figure-toi. Sans raison. Je te jure que j’ai rien fait. Mais, à part ça, ça va bien.” Je me suis installée dans le divan auprès d’elle et j’ai ri devant ses suppositions. ”Non. Je sèche pas. Mon père serait au courant à la seconde. Je te rappelle qu’il est prof là-bas. Je peux pas moufter. Non.” J’ai bu une gorgée de mon chaï latte, trop chaud, je me suis brûlée les lèvres. ”C’est le dernier bouquin que maman a fait publier, non ? Tu l’as lu ? ” Un soupçon de dédain dans ma voix. ”Et tu passes une journée difficile que tu avais besoin de lumière ?”

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@Scarlet Arden ☆ Jules Donnelly

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”Hmm, ça se pourrait, en effet.” ai-je avoué en m’asseyant dans un fauteuil normalement destiné à la clientèle. En profite-t-elle de ce confort ? Leur arrivent-ils, à ses clients, de s’y installer pour lire les quatrièmes de couverture d’une sélection de bouquins qu’ils hésitent à s’offrir ? Je trouve cette idée sympa. Ça ajoute un côté chaleureux à cette petite boutique qui vend du rêve caché dans des objets inanimés, des objets neufs et sans autre histoire à raconter que celle imaginée par l’auteur. A choisir, je me rends plus facilement chez un bouquiniste, mais est-ce bien nécessaire d’étaler ce jugement de néophytes basé sur les quelques préceptes appris en classe. Ce n’est pas ce qu’elle attend de moi, Scarlett. Pas non plus ce qu’elle espère. De mon côté, je souhaite à son commerce qu’il soit plus fréquenté qu’en ce début de matinée. A son commerce et à ma tante, le succès qu'elle mérite. Mon affection n’est plus à démontrer. J’ai d’ailleurs accueilli son accolade avec le sourire et j’ai apprécié qu’elle s’intéresse à moi, vraiment, autrement que par la faute de la politesse. Je me suis sentie moins bête de lui rendre une pareille sincère. A mon âge, les adultes ne s’inquiètent plus d’où traînent mes oreilles avant de discuter du sort de nos proches. Certes, je n'ai jamais posé de questions directes de peur d’être en dehors du cadre. Néanmoins, l’histoire de cette épouse prodigue ne m’est pas inconnue. Elle m’a ébranlée d’ailleurs. Elle n’a pas aidé à rehausser les hommes d’un échelon sur l’échelle de mon estime, pas plus que mon patron, quoique les situations ne soient pas comparables. La différence, c’est que je tais le nom de l’avant-dernier des spécimens qui m’aura déçu par son comportement. Le dernier en date, lui, il tombe au cœur de cette discussion. ”Le boss de l’Alta Moda. Tu sais, la boutique de fringues au fond de la rue commerçante, à côté du Burger King. Déjà qu’ j’étais pas très à l’aise avec ce qu’il vend, j’avoue que je suis agacée par son mensonge. il a parlé de restructuration comme s’il tenait une multinationale le mec. Laisse-moi rire.” J’ai sifflé mon mépris sans scrupule. Puis, plus résignée, j’ai haussé les épaules en songeant aux mots d’Alex. ”Tout à l’heure, je me dirai qu’il m’a rendu service. Mais, là, j’ai juste le seum. j’avais besoin de ce job. Percy m’a légué sa camionnette et…” “C’était le moment idéal pour lui proposer tes services, Juliet” ai-je pensé en maudissant mes travers de dissipée. Mon oeil a happé la couverture du dernier ouvrage édité par ma mère quand mon cerveau s’est attardé sur mes études, sur mon père et cette paire de menottes encerclant mes pieds et mes poings, celles qui me privent du loisir de sécher les cours comme la majorité des universitaires. Il se tracasserait, à tort, et tant que je ne disposerai pas d’une raison en accord avec mes convictions, je choisis de lui épargner ce tracas pour un temps. ”Un road trip, tu dis ? Avec combien de scènes amoureuses trop mièvres qui sortent du contexte de ce voyage et, donc, de son seul intérêt ?” me suis-je enquis avec curiosité. Je me suis même levé pour attraper l’exemplaire mis en évidence sur un présentoir. ”C’est ça qui m’embête dans ce qu’elle fait. Je dis pas qu’elle n’est pas capable de reconnaître le talent quand elle le croise, mais elle est tellement plus intelligente que ce qu’elle choisit de vous faire vendre.” Par vous, j’entends la communauté des libraires. ”Moi, j’aime bien lire des trucs plus engagés, tu vois. Des trucs que… je suis pas sûre que tu lises. Plus c’est documenté, plus j’aime. Il y a un vrai public pour ça aussi. Tu en vends ?” ai-je demandé soucieuse de me vendre avant de lui soumettre ma proposition. N’est-elle pas cavalière ? Peut-être que de l’aide ne lui sera pas nécessaire. ”Est-ce que je peux te demander un truc ?  Enfin, un truc que tu dois refuser si ça te va pas. Tu dois me le promettre, sinon, je ne dirai rien.” ai-je conclu en reposant le livre et en jetant vers Scarlet une oeillade remplie d’espoir et de certitudes.

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@Scarlet Arden ☆ Jules Donnelly

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Certes, j’ai investi la librairie de Scarlet avec une bille en tête. Pourtant, je ne le feins pas, mon intérêt pour elle, pour sa boutique ou pour notre conversation. La compagnie de ma tante compte parmi mes fafvorites parce qu’elle est intelligente et qu’elle sait m’écouter sans juger. ans un monde où je fais figure d’originale, elle semble me trouver rafraîchissante de passion. Elle ne me dévisage pas avec le dédain réservé aux insolentes quand je condamne mon ancien boss d’être un fieffé menteur. Elle promet d’être attentive à sa présence lors de la prochaine réunion des commerçants et encourage même ma frustration en prêtant foi à mon analyse comportementale. A mon sens, son attitude traduit une volonté crasse de se débarrasser d’une dissidente dont l’efficacité n’était pas à prouver, mais somme toute réduite par l’amplitude de ses convictions. Je bossais bien - il l’a reconnu - mais il a si souvent souffler dans sa barbe dès que j’ouvrais la bouche pour me plaindre des pratiques de ses fournisseurs ou de ses choix non-écologiques par rapport à sa marchandise pour que je devine les causes de mon licenciement. Serais-je de mauvaise fois que je l’accuserais d’être coupable d’un délit de faciès. Sauf que je m’efforce d’être authentique aussi souvent que possible, ce qui vaut à Scarlet un élan de sincérité.  ”Mais, c’est un peu de ma faute. Personne n’a envie de m’entendre parler de l’impact sur la planète de tous les chiffons qu’il vend.” J’ai grimacé, nez froncé et moue attristée.  ”C’est comme si je te parlais des hectares de forêt qui sont détruits chaque jour alors que ton fond de commerce, c’est le papier. Je te taperais vite sur les nerfs, non ?” Me suis-je enquis, soucieuse d’évaluer dans quelle mesure les conseils de mes proches sont à respecter. Mon père, par exemple, quoiqu’il use de sous-entendu, m’a déjà avisé de l’importance du silence. A priori, toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire et, moi, ça m’échappe. Quel mal y a-t-il à informer autrui ? Est-ce que j’en deviens une espèce de moralisatrice agaçante ou intolérante ?  ”Un de mes profs à l’unif a dit à mon père que j’avais des idées trop arrêtées. J’ai dit qu’il avait tort… mais, parfois, je me dis que c’est peut-être moi qui me trompe. J’en sais rien.” Les remises en question s’enchaînent sans que je ne sache comment les gérer. Jamais je n’avais été confrontée à cette sensation que toutes mes certitudes s’écroulent les unes après les autres. C’est déroutant, d’autant plus désarçonnant que je cherche encore à quel saint me vouer. Je m’accroche donc à deux réalités : je suis en partie soulagée d’avoir été dégagée par ce gars dénué d’éthique et je ne devrais pas laisser les autres, quels qu’ils soient, me bousculer autant. Seuls mes projets pour l’avenir devraient être moteur. N’est-ce pas leur évocation qui étire un sourire sur mes lèvres ?  ”Pas tant que ça pour le moment.  Je l’ai eu il y a pas longtemps et c’est tout une aventure. J’avale des tutos, là, je veux pas me louper. Je peux pas en fait.” ai-je expliqué, formelle et faussement perdue dans la contemplation du bouquin édité par ma mère. J’aurais pu m’abstenir de tout commentaire à propos de son boulot : c’est néanmoins plus fort que moi. Je suis critique par rapport au choix de Sloane et l’écho de mes doutes résonne étrangement en moi.  ”Platonique, donc. ça change de ce qui se fait actuellement donc.” Étrangement, l’idée de me pencher sur le contenu de l’ouvrage m’effleure. ”Ce n’est pas l’intelligence des lecteurs que je remets en doute, tu sais. Ils réagissent à ce que la publicité et le principe du commerce leur balancent comme conneries pour qu’ils achètent. On essaie même de leur faire croire qu’ils ne peuvent qu’aimer.” Ce qui biaise leur esprit critique et enferme l’être humain dans un carcan de bêtise.  ”C’est ma mère qui se gâche en participant à tout ça. Mais, j’avoue que tu le vends bien. Tu me ferais presque envie. ” Pas autant que ces œuvres qu’elle me présente. ”Ce sont des livres narratifs ?” Des récits documentés ? Des espèces de contes initiatiques dont on ressort grandi ? J’en ai ouvert un à la centième page par curiosité et j’ai tranché : le premier m’appelle, m’interpelle : je l'achèterai. J’en informerai la “vendeuse” plus tard. Sur l’heure, elle me rappelle le but initial de ma venue et j’ai aussitôt retrouvé ma place dans le canapé.  ”Alors, voilà. Je me demandais si tu avais besoin d’aide ici, maintenant, plus tard, pour tout le temps ou pas. Comme ça t’arrangerait quoi. J’ai besoin d’être dépannée, tu vois. Je….” A mesure que j’expose mes besoins, je prends le pouls de l’étendue de mon égoïsme. Alors, mal à l’aise, j’ai baissé les yeux sur mon gobelet que j’ai finalement vidé.  ”Tu dois me trouver culottée. Mais, je te le répète, tu peux refuser. C’est moi qui demande, je suis préparée à tout. Mais, je me tais. Vas-y.” Tranche la corde qui activera peut-être cette guillotine dont la lame tranchera une des têtes de mes espoirs et de mes rêves, sans que ça ne soit grave : elle en a au moins huit autres.