the sunset lovers

Je me rappelle de cet été-là comme si c’était hier. Ça faisait quasiment un an que je travaillais dans le domaine familial, la vie était encore douce et l’insouciance de l’âge était encore présente. C’était peut-être là le dernier été que je passerais sur mon île natale alors j’avais bien l’intention de profiter de mon écrin de nature et de mes amis autant que possible.
Comme la plupart des étés, je passais mes soirées sur la plage d’Isola Bella, une plage de galets qui permet, lorsque la mer le décide, de rejoindre une petite île du même nom, riche de plantes exotiques plantées par une noble anglaise ayant fui le royaume britannique, en 1890. Si l’île et sa plage sont fortement prisées des touristes le jour, la nuit révèle la pureté du lieu sans aucun artifice. C’est pour cela que j’aime fréquenter cet endroit, ma guitare toujours à portée de main et des amis pour rendre l’instant immortel.

Pendant que certains se motivent à entamer un bain nocturne, d’autres en profitent pour décapsuler quelques bouteilles de bière, tandis que moi, je m’obstine à passer un enchaînement d’accords sur There’s nothing holding me back de Shawn Mendes. C’est souvent comme ça que nos soirées se passent.
Parfois, il s’avère que ces petites retrouvailles nocturnes avec la bande prennent un peu plus d’ampleur. Les rires, la musique, c’est un peu comme une invitation à partager un moment convivial et il n’est donc pas rare de voir débarquer des inconnus dans le cercle pour passer un bon moment.

L’été n’en est qu’à ses balbutiements et pourtant, Lucio a déjà réussi à rameuter un premier groupe de touristes d’un âge plutôt similaire au nôtre.
“Les gars, ça vous dit un peu de compagnie ?” La rhétorique de la question est évidente, Lucio a évidemment déjà convié le petit groupe à nous rejoindre.
“Ah et Diego… tu vas avoir de la concurrence !”. Alors dos aux nouveaux arrivants, je ne saisis pas immédiatement à quoi il fait référence. C’est en découvrant la guitare sur le dos d’un des types à ces côtés que je comprends enfin ce qu’il voulait dire.
“Ecoute ça tombe bien, pour une fois je ne serais pas le seul jukebox du groupe !”.
Je dépose alors ma guitare contre le morceau de bois flotté sur lequel je suis assis et saisis ma bouteille de bière coincée entre deux galets.
Le petit groupe de touristes vient prendre place dans le cercle dont deux types qui viennent s’installer à côté de moi. “Diego” me présentais-je en tendant une main chaleureuse à chacun d’eux.  

Des mois qui paraissaient comme une éternité, des mois qu'il avait crié stop, qu'il avait dit 'non'. Non, j'arrête tout, non, je n'en peux plus, non, je veux penser à moi. Un cri qui venait du coeur, de l'émoi. Et Coby s'était lancé dans une quête avec lui-même et qui l'avait emmené à passer trois mois en italie : après deux semaine de road-trip sur la botte, leur chemin s'arrêterait pour deux mois en sicile. L'une de ses amies avait la maison de sa grand-mère inoccupée pour l'été : une aubaine qu'avait saisi le Monaghan pour se dépayser, être loin des siens, loin de sa famille : couper court à tout. Cinq jours qu'ils étaient arrivés sur les terres siciliennes, à passer leurs soirées sur les plages à jouer de la guitare, à chantonner. Cette chaleur humain poussait Coby à penser qu'il avait fait le bon choix. Et voilà que les locaux venaient les chercher. Des musiciens qui en attiraient d'autres. Et Coby suivit le mouvement avec ses trois amis, se laissant guider pour arriver jusqu'à la plage d'Isola Bella où les attendaient un groupe de jeunes de leur âge. Un petit sourire qui s'élargissait jusqu'aux oreilles, le coeur réchauffé par les nouvelles rencontres. L'un d'eux se présenta, qui semblait être le guitariste. D'une poignée de main, Coby répondit naturellement « Coby ». Les siciliens avaient un sacré charme et ce Diego en était la preuve vivante. « Les gars, merci pour tout. Ca fait toujours plaisir de rencontrer du monde. » souligna-t-il à l'assemblée, faisant un mouvement des mains pour leur signifier que cela lui faisait chaud au coeur. Il se tourna vers Diago, s'asseyant à ses cotés « Pas trop mal les accords, j'ai entendu de loin. » Une chanson qui l'avait accompagné ces derniers mois, une chanson qui avait une signification toute particulière. « On lance un accord et on voit où ça nous mène » dit-il à l'assemblée. « Je peux ? » demanda-t-il à Diego, voulant tester une nouvelle guitare avant de l'accorder et de la gratter, lançant une chansonnette improvisée.

Après une vingtaine de minutes, les gens se dispersaient sur la plage, boissons, amusements et rire et il ne resta plus que Coby et Diego. « J'admets que je ne pensais pas les siciliens si accueillants. » fit-il avec une moue ravie.  

A l’inverse de la plupart des Siciliens, l’été est une saison qui sied plutôt bien à mon cœur. Si le climat est agréable et la nature luxuriante, les touristes amènent souvent leurs lots de désagréments qui exaspèrent les locaux. Si je suis contre toute forme de pollution touristique, j’aime malgré tout l’arrivée de ces nouveaux visages dans notre quotidien d’îliens. Face à eux, je ne suis plus qu’un simple inconnu dont le patronyme Salvatori ne représente rien d’autre qu’un nom à consonance italienne. L’occasion pour moi de faire fi, un temps soit peu, du poids de l’héritage.

« Diego », « Coby »
Nos mains se serrent chaleureusement et moi, je reste hypnotisé par la prestance et l’assurance du type alors que de sa bouche, je n’ai pour le moment entendu que son prénom.
« Les gars, merci pour tout. Ça fait toujours plaisir de rencontrer du monde. »
Son anglais est parfait, son accent distingué, j’en déduis que ce fameux Cody nous vient tout droit de Grande Bretagne. Ce n’est pas le premier britannique que je rencontre mais je ne saurais comment l’expliquer, lui à un petit truc en plus, comme s’il profitait d’une liberté nouvelle, comme si l’instant présent était pour lui un nouveau souffle. A ce stade, je ne me base sur rien d’autre que son regard et son sourire pour tirer de telles conclusions, mais cette quête de soi que je crois lire en lui ne me parle que trop bien.
« Pas trop mal les accords, j'ai entendu de loin. » me dit-il en prenant place à mes côtés.
« Mmh… j’ai encore du boulot n’est-ce pas ? » ajoutais-je dans un anglais marqué par mon accent italien. Coby a l’air bien plus expérimenté que moi dans le domaine, d’ailleurs il propose à l’assemblée de lancer une sorte de jam session avant de solliciter l’emprunt de ma guitare.
Un peu pris au dépourvu, j’accepte toutefois de lui prêter mon instrument et dès lors qu’il se met à jouer, son esprit semble s’évader. L’observer est un véritable spectacle à tel point que mon regard n’ose se poser autre part que sur ses doigts virevoltant avec une dextérité presque sensuelle sur le manche de mon instrument. Son corps transpire la passion et la diffuse autour de lui et cela le rend particulièrement beau.

Après quelques minutes, le concert improvisé prit fin, me laissant l’opportunité de faire plus amples connaissances avec le touriste.
« Laisse moi deviner, tu nous imaginais en costume trois pièces, voix grave et pistolet dans la poche arrière au cas où nous aurions des comptes à régler ? » plaisantais-je en faisant référence au Parrain.
« Sans blague, je crois qu’on sait accueillir les gens qui le méritent…» ajoutais-je en croisant furtivement son regard avant d’ajouter : « Et toi, dis moi, les Britanniques sont-ils tous aussi doués avec une guitare à la main ? Parce que j’aurais bien besoin d’un cours particulier sur la chanson de toute à l’heure ! ».

Les yeux arrondis, le petit sourire en coin, les joues rougies, Coby continuait à observer Diego, n'ayant pas encore questionné ce qu'il ressentait à son égard. Il se mit à rire face à la reflexion qu'il lui partageait à propos de l'imaginaire qu'on pouvait se faire des siciliens : « Okay, je n'allais pas aller jusque là, mais là, tu vas me faire flipper. » dit-il sans le prendre au séreux. Il avait eu vaguement connaissance d'histoire de gangs ou de loi de la rue tel un terrain de jungle mais il avait préféré chasser ces pensées, voulant voir de ses propres jeux, constater et juger après. Et pour l'instant, il n'avait eu guère de problèmes - peut-être forcément du au fait qu'ils étaient dans des quartiers favorisés. « Qui le méritent ? » tiqua Coby face à sa phrase, arquant un sourcil, l'air faussement envieux. Il voulait savoir si justement il faisait partie de ces gens méritants. Il avait la flatterie facile mais le Monaghan était tout aussi réceptif, appréciant cela plus que de raison. « Nan, j'suis un gars unique. » dit-il sans aucune modestie, bombant le torse et montrant sa fierté. « Des cours particuliers de chant, carrément ! » en reprenant sa phrase. Le Monaghan se voyait tout sauf professeur mais il pouvait bien faire une exception. « J'en donne qu'aux locaux qui le méritent…» fit-il avec un petit clin d'oeil. « Ca te dit de marcher un peu au bord ? J'adore ça. Là d'où je viens, y'a pas de la place aux plages alors... » alors, il avait justement envie de profiter de ce cadre en bonne compagnie. Il se servit d'une autre bière dans le pack, la décapsulant afin de ne pas partir les mains vides et de commencer à marcher pour gagner le rivage.

« C'est dingue, si je vivais ici, j'aurai l'impression d'être en vacances toute l'année... » Sentir la chaleur caresser ses joues, voir le sommeil, être de meilleure humeur. Il aimait bien l'ambiance grisâtre de Bristol qui avait du charme quoiqu'on puisse en dire mais les paysages - comme la Sicile - avait cet air dépaysant qui montrait qu'on ne pouvait jamais regretter d'être passé par là. « Donc, t'es musicien de profession ? Ou t'es en études ? J'dis ça, car j'ai un peu l'impression qu'on a le même âge et c'est rare les personnes qui débutent tôt la musique. » Il y avait quelque chose à la fois de beau, de prodigieux et qui était aussi réservé à une classe sociale. « Raaah, bellisima. » dit-il avec un accent italien pitoyable alors qu'il venait de voir un coquillage rose à ses pieds. « Vous faites des colliers de coquillage par ici ? »

Par le passé, il m’est déjà arrivé de faire connaissance avec des inconnus de passage sur l’île, mais je n’ai pas le souvenir d’avoir eu une rencontre particulièrement marquante. En tout cas, échanger avec Cody n’est pas qu’un simple passe temps ce soir. Le Britannique dégage quelque chose qui me donne envie d’en savoir plus sur lui, de discuter de tout et de rien, et même si cela ne dure que le temps d’une soirée, j’aurais eu le plaisir de satisfaire ma curiosité. D’ailleurs, j’ai la sensation que sa curiosité à lui aussi était piquée puisqu’il n’est pas avare en questions à mon égard.

« On rabâche ces histoires de mafia dans les médias simplement pour vous tenir éloigner de notre île hein si jamais ce n’était pas clair… mais bon, je crois que ça marche pas trop puisque tu es là ! » plaisantais-je. C’est vrai que la Sicile est connue pour sa mafia et ses règlements de compte dignes du cinéma hollywoodien, mais la réalité est tout de même légèrement différente aujourd’hui. Bien sûr qu’il existe toujours des réseaux peu vertueux régis par la politique de l’argent et de la sécurité mais nous sommes loin d’être tous à la merci de ces derniers.
« Qui le méritent ? » ajoute-t-il afin d’obtenir de plus amples éclaircissements sur mon sous-entendu.
« Disons qu’on a le sens de l’hospitalité pour les personnes respectueuses et agréables.»

Quant-à mes interrogations concernant le peuple anglais, le musicien opte pour une réponse sur le ton de l’humour.
« Nan, j'suis un gars unique. ». Je ne peux m’empêcher de rire lorsqu’il se met à jouer le crâneur. Toutefois, je suis persuadé qu’il n’a pas tout à fait tort. Cody à l’air d’avoir un style bien à lui, il dégage un truc particulier que je n’avais jusqu’alors pas eu l’occasion de ressentir lors de mes rencontres passées. Il rebondit ensuite sur ma demande de cours particuliers. « Des cours particuliers de chant, carrément ! J'en donne qu'aux locaux qui le méritent…». La petite note humoristique finale fait évidemment mouche. « Par contre je parlais plutôt de cours de guitare plutôt que de chant… Je ne suis pas sûr d’avoir les cordes vocales aussi affûtées que les tiennes ! ». Il faut dire que sa démonstration vocale un peu plus tôt dans la soirée fut particulièrement agréable et je ne suis pas sûr d’être capable d’en faire autant.

Sur l’invitation de Cody, nous nous retrouvons quelques minutes plus tard à marcher côte à côte, les pieds dans l’eau, une bouteille de bière à la main.
« C'est dingue, si je vivais ici, j'aurai l'impression d'être en vacances toute l'année... ». Le voici le piège dans lequel tombent la plupart des visiteurs de l’île. Vivre au bord de l’eau semble toujours être une meilleure option de vie sur le papier, mais dans les faits, ce n’est pas toujours le cas.
« Je vais sûrement te décevoir mais il n’y a de vacances que le climat et le paysage. En dehors de ça on cravache au boulot comme tout le monde et puis pour être honnête, ça manque franchement d'opportunités ! On a la chance d’avoir une université à Palerme mais les choix sont limités, les mentalités sur l’île sont encore parfois archaïques… Comme partout y’a des avantages et des inconvénients quoi. Mais c’est vrai que c’est quand même le pied de se réveiller dans ce cadre. » conclus-je en lui adressant un sourire.
« Donc, t'es musicien de profession ? Ou t'es en études ? J'dis ça, car j'ai un peu l'impression qu'on a le même âge et c'est rare les personnes qui débutent tôt la musique. »
« Musicien de profession ! Tu me charries là non ? » Vu la qualité de sa démonstration un peu plus tard, je peine à croire qu’il puisse comparer son niveau au mien.
« J’aurais jamais la prétention de vivre de la musique, je n’ai ni les épaules, ni le talent pour ! Pas comme toi en tout cas. Non, actuellement je travaille dans le domaine viticole de ma famille sur les hauteurs de la ville. C’est une situation un peu… transitoire dirais-je, en attendant de trouver mon chemin, qui me mènera ailleurs qu’ici j’espère. Ma grande sœur est partie vivre à Bristol il y a quelque temps, je me tâte à la rejoindre, j’imagine que j’aurais sûrement plus d’opportunités là-bas. Mon truc à moi, c’est l’environnement, la transition écologique, tu vois le genre ? Et toi alors ? J’ai l’honneur de côtoyer une future rock star ? »

Quelques pas plus tard, Cody ramasse à nos pieds un splendide coquillage aux reflets nacrés. L’occasion pour lui de tenter quelques pirouettes peu assurées dans la langue de Léonard de Vinci. Une chose est sûre, l’accent anglais en italien à un charme fou. « Very Good ! » le félicitais-je avec un anglais assaisonné à la sauce italienne.
« Vous faites des colliers de coquillage par ici ? »
« Uniquement aux personnes qui le méritent… » le charriais-je en lui donnant un petit coup d’épaule. Son regard croise le mien au moment où une vague vient caresser nos pieds. Un sourire naît alors simultanément sur nos visages.
« Tu as des choses prévues demain ? Si tu veux, je te propose un tour privé du domaine contre mon cours particulier. Si t’étais sérieux à ce sujet évidemment… Enfin je suis bête, si ça se trouve tu quittes l’île dès demain !  »

Il ne peut pas s'empêcher de sourire, plus que de raison et dès qu'il lui jette un coup d'oeil. Il avait l'impression de retourner à ses quatorze ans, quand ses yeux s'étaient posés sur le premier mec qui l'avait attiré. Les italiens avaient du charme certes, mais il n'avait pas eu envie de se laisser avoir - à croire que c'était trop tard maintenant. Sous des allures d'histoires de vie complètement banales, Coby en était totalement captivé. Ce gars aimait la musique sans en vouloir faire sa vie, travaillant plutôt pour ses parents. Et puis, il tiqua. Tel un foutu hasard du destin, sa grande soeur était à Bristol. Sa putain de grande-soeur était à Bristol et ce putain de beau garçon hésitait à venir s'installer à Bristol. Il sourit face aux allusions de rock-star : intérieurement, il était bouche bée, il ne savait que dire face à ce gars, mais il avait l'impression d'être directement cerné comme s'il lisait dans son coeur. Avant même qu'il ait pu répondre, son regard s'était attardé sur ce coquillage rose, lui demandant si c'était une coutume d'ici de créer des colliers. Même réponse et Coby lâcha un rire. Il souffla comme s'il tentait de reprendre la respiration. « Désolé, tu m'as perdu... euhm. » Il souffla, soulagé, essayant de ne pas paniquer. « En fait, on - enfin, je - peut-être songe à m'installer dans le coin. Je suis de repérage. Mais, je suis pour sûr ici pour deux mois et - et je verrais ce qui se passe ensuite. » Il haussa les épaules, fuyant son regard, ayant peur que le Salvatori le prenne pour un fou. « Mais volontiers pour faire le tour de chez toi contre de cours de guitare. » En même temps, pouvoir passer un temps seul à seul avec lui, il ne pouvait certainement pas dire non.

« C'est cool, l'écologie, c'est important. Mais j'espère que c'est ton choix de vie, hein ! Mon père m'a poussé à faire des études de droit et j'ai fuit. Y'a quelques mois, j'ai hurlé. Et maintenant, je poursuis mon rêve mais j'admets que ouais, l'idée d'être une rock star me séduit. Remplir des stades, chanter avec passion, pouvoir transmettre des émotions avec la musique. » Il s'emballait, comme s'il criait une déclaration d'amour au monde tandis que son regard se perdait vers le ciel. Il éclata de rire « Des fois, j'ai l'impression de me comporter - enfin de faire des choses de dingue. » Comme si depuis février dernier, il avait perdu la raison, qu'il se laissait aller complètement à ses envies. « T'as déjà fait des choses de dingue, Diego ? » curieux de savoir ce qu'il pourrait lui répondre alors qu'ils continuaient à marcher aux abords de l'eau, les pieds encore trempés jusqu'à ce que Coby glisse sur un rocher trop humide, manquant de tomber à la renverse.

Est-ce l’été qui rend nos cœurs plus vulnérables ? J’ai souvent entendu dire que lors de la saison estivale nos mœurs devenaient plus légères. C’est peut-être plus qu’une rumeur finalement ? Cette rencontre avec Coby m’invite à me poser des questions à ce sujet en tout cas. C’est indéniable, il y a un truc qui m’attire chez lui. Pourtant, ce n’est pas trop dans mes habitudes de m’enticher du premier venu. D’ailleurs, lors des soirées comme celles-ci, ce sont plutôt mes camarades qui finissent par passer la soirée avec des inconnus. En même temps, il faut dire que pour eux c’est un peu plus simple : La plupart sont hétéros ou bien leur orientation sexuelle n’a aucune incidence sur leur quotidien tandis que de mon côté c’est un un peu plus compliqué. Ma famille n’est pas vraiment ouverte sur ces sujets, surtout mon père, donc je suis plutôt sur la réserve habituellement, mais ce soir semble être un soir différent.

Je me surprend à me confier aussi facilement sur mes projets de vie, mon envie d’ailleurs et, sans trop savoir pourquoi, j’ai l’impression que mes confessions perturbent le Britannique au point de le laisser sans voix. « Désolé, tu m'as perdu... euhm. » se reprend-il.
« En fait, on - enfin, je - peut-être songe à m'installer dans le coin. Je suis de repérage. Mais, je suis pour sûr ici pour deux mois et - et je verrais ce qui se passe ensuite. »
C’est donc ça qu’on appelle la karma ? Quand je rencontre un mec cool, il faut que celui-ci envisage de quitter son pays pour, peut être, emménager ici alors que je songe à tout plaquer pour rejoindre la Grande Bretagne ? Foutu destin. Néanmoins, je fais en sorte de me concentrer sur une info : le beau Cody a prévu de rester dans le coin pendant deux mois. Intérieurement, je nourris le souhait de pouvoir le revoir mais ça, seul le destin nous le dira.
« Mais volontiers pour faire le tour de chez toi contre des cours de guitare. »
« Affare Fatto ! » conclus-je en lui tendant ma main droite afin de sceller notre accord.

C’est désormais autour de Cody de me confier une partie de son histoire. Vraisemblablement, mon intuition concernant sa quête de liberté était bien fondée. Il y a dans son récit une forme de rage, une envie de changement presque vitale qui ne me laisse pas indifférent. Cette ode à la liberté dans sa voix donnerait à quiconque l’envie d’assister à son envol. « Des fois, j'ai l'impression de me comporter - enfin de faire des choses de dingue. T'as déjà fait des choses de dingue, Diego ? ». Soudain, le musicien perd l’équilibre en marchant sur une roche polie par les vagues. Coup du destin ou simple réflexe, je parviens à le rattraper de justesse grâce à un bras habilement glissé dans le bas de son dos.
« Wow ! Je pensais que les Anglais tenaient un peu mieux l’alcool que ça ! » plaisantais-je en l’aidant à se redresser sans pour autant libérer l’étreinte de mon bras.
Une nouvelle fois je croise son regard mais cette fois-ci, il est différent car la lune se reflète dans ses pupilles. Ce garçon est beau, beaucoup trop pour que je le laisse poursuivre son chemin et je lutte pour ne pas me noyer complètement jusqu’à ses lèvres. Je ne peux pas faire ça, je n’en ai pas le droit. Le souhaiterait-il ? Est-il attiré par moi comme je le suis par sa personne ? Alors, comme bouée de sauvetage, je me raccroche à notre discussion juste avant sa chute. « T'as déjà fait des choses de dingue, Diego ? ».
« Je ne crois pas… avoir fait des choses de dingue je veux dire ! Mais… j’ai bien envie de commencer ce soir. » Conforté par l’obscurité qui vient rassurer ma pudeur, j’ôte un à un l’ensemble de mes vêtements devant le regard surpris mais souriant du Britannique. Sans plus attendre, j’entame un sprint vers le rivage, un cri d’extase accompagnant cette envie subite. « Allez Cody, toi qui voulais faire des trucs de dingue, viens ! » l’invitais-je en priant pour que cette invitation ne reste pas vaine.

Il manqua de se tomber au sol mais le siclien avait des réflexes qui provoqua l'ébahissement chez le Monaghan, écarquillant les yeux. Il resta ainsi figé quelques instants dans cette position, comme si le temps s'était arrêté. Il avait eu juste le temps de se noyer dans ses yeux, quelque peu, de s'imaginer - pourquoi pas - l'embrasser, de pouvoir le toucher encore plus qu'une poignée de main qui avait scellé leur contrat quelques instants plus tôt. Et le temps reprit. Coby se redressa, soufflant quelque peu comme s'il avait retenu sa respiration trop longtemps. « Wow ! Joli réflexe. » fit-il en reprenant ses esprit. Il l'avait échappée belle et pourtant, il ne se sentait pas bourré : certes, il avait bu quelques bières mais il avait pourtant encore conscience de ce qu'il faisait. Et pour une chose dingue, c'en était bien une. Et pourtant une question que Coby avait posé restait en suspens. Est-ce que le Salvatori avait déjà fait des choses de dingue ? Peut-être était-ce plus difficile pour lui ? Vivre sur une ile, avec tous ses inconvénients : les locaux se connaissaient tous peut-être, pas le droit à la vie privée non plus, sûrement.

Et les choses venaient de prendre une tournure totalement différente et qui surprit totalement l'anglais. Il resta bouche bée face à l'assurance dont venait de faire preuve Diego, venant de se mettre nu avant de courir à l'eau et d'inviter Coby à en faire de même. Si ses yexu s'étaient attardé ssur son postérieur, son esprit s'était mis en pause. Il haussa les épaules, levant les bras. Avait-il réellement envie de faire ça ? il prit une bouffée d'air, retirant son haut, avant d'enlever son bas. Dans ce genre de moments, il ne fallait ni réflechir, ni penser et il ne se voyait clairement pas laisser Diego dans ce délire. Il se dépécha de courir jusqu'à l'eau pour au moins se recouvrir jusqu'à la taille et de nager jusqu'à se rapprocher de lui « Okay : alors est-ce que ça va ? Est-ce que tu veux en parler ? » dit-il d'un air amusé. « Je disais pas ça pour faire une compétition. » fit-il d'un air amusé alors que la sensation de l'eau fraiche le dérangeait moins qu'il le pensait mais c'était peut-être parce que le sicilien était à ses cotés.

Je m’étais finalement jeté à l'eau, au sens propre comme au sens figuré. Une folie exultante motivée par les mots de Coby, comme contaminé par sa soif de liberté. Moi qui ai porté pendant si longtemps l’étiquette de la tête brûlée, comment ais-je pu me complaire dans la retenue ces derniers temps ?
Une chose est sûre, ces retrouvailles avec l’insouciance me font le plus grand bien. Ou bien est-ce la présence du musicien à mes côtés qui me revigore ?
En tout cas, je dois dire que je peine à rester de marbre lorsqu’il finit par me rejoindre dans l’eau en tenue d’Adam. En quelques brasses, il se retrouve face à moi, visiblement amusé par la situation.
« Okay : alors est-ce que ça va ? Est-ce que tu veux en parler ? » m’adresse-t-il comme si je venais de perdre la tête.
« C’est pas toi qui me parlait de faire des folies il y a encore quelques minutes ? » rétorquais-je en appuyant mon index sur son pectoral droit.
« Je disais pas ça pour faire une compétition. » Je hausse les épaules en souriant à sa remarque avant d’ajouter d’un air faussement déçu :
« Dommage, j’aurais été curieux de savoir quelle aurait été la prochaine étape ! ».Le clapotis de l’eau vient alors ponctuer ma phrase.

Si l’obscurité qui nous entoure pourrait être terrifiante habituellement, la lune est ce soir pleine et lumineuse. Elle illumine et met en valeur chacun des traits du visage de Coby : ses yeux, l’arête de son nez, ses lèvres délicates et même sa petite fossette qui naît lorsqu’un sourire en coin se dessine. Mon regard est comme attiré par sa beauté singulière, tout du moins, jusqu’à ce qu’il se pose finalement sur une mèche rebelle sur laquelle une sorte de végétal a trouvé refuge. Je ne prends pas vraiment le temps de réfléchir lorsque je décide d'aventurer ma main jusqu’à son visage, frôlant sa cuisse au passage.
Si seulement il n’y avait que ma main qui souhaitait avancer vers lui. Attiré comme un aimant, mon corps rêve de se rapprocher encore du sien, de frôler à nouveau ses doigts agiles de musicien et de goûter à ses lèvres. Je ne sais pas ce qu’il pourrait me coûter de succomber à la tentation mais je crois que je serais prêt à en payer les conséquences.
« Est-ce que tu m’autorises une dernière dinguerie pour la soirée ? »
Presque chuchoté, cette invitation ne laisse aucun doute planer sur mes intentions. Reste à savoir si celles-ci seront partagées par Coby.

L'eau était fraiche, bonne mais fraiche et il réalisait tout d'un coup la chose : être nu, dans un bain de minuit, avec un homme tout aussi nu et qui lui plaisait aussi. Et Diego jouait à son jeu, il le ovyait, il le sentait. Il sentait aussi un jeune homme qui était contraint à des choses et qui souhaitait être libéré de ses chaines, comme lui un an auparavant. Il ne pouvait décrire ce sentiment qui naissait à son égard. Il était là, à nager, à l'observer, le scrutant dans le clair de lune alors que leurs amis semblaient se trouver si loin maintenant, probablement saoul à chahuter au bord du feu. Il vit l'autre se rapprocher dangereusement de lui ; Coby fronça les sourcils par défiance alors qu'il le vit enlever l'algue qui s'était posée sur son front. Petit sourire - ou plus grand, plus que de raison même. Il était là, planté avec un sourire béant, à scruter son regard, ne prenant pas réellement conscience de la gravité de ce qu'il lui disait. Tel un aimant, il s'était rapproché considérablement de lui. Il n'arrivait même pas à répondre, les mots ne sortaient pas de sa bouche, il crut juste percevoir le souffle chaud de leurs corps et lui qui se collait à lui, ses lèvres venant se poser sur elles, leurs bassins se coller, le bas de son ventre s'échauffer terriblement. C'était juste un arrêt dans le temps. Avant de prendre conscience de ce qu'il faisait, de prendre conscience des choses et de lâcher un « Hein ? Quoi ? Oui ? » désorienté.

Je l’avais fait. Était-ce la bière qui m’était monté au cerveau ? Ou bien la fraîcheur de l’eau qui m’avait gelé quelques neurones ? Je ne sais pas s’il existe une explication rationnelle à l’origine de ce baiser mais là, au beau milieu de l’eau, c’est comme si le temps s’était arrêté. Il n’y avait plus que Coby et moi, l’un en face de l’autre, dans le plus simple appareil.
Histoire de ne pas commettre d’impair, j’ai tenté d’assurer mes arrières en tendant une perche au beau Britannique, mais avait-il seulement sû la décrypter ?
Le sourire qui s’était élargi sur ses lèvres après mon invitation m’avait paru être une réponse favorable à ma proposition. Alors, nous nous sommes rapprochés…
Mon bras a rapidement retrouvé le chemin de ses hanches, son bassin s’est sensiblement rapproché du mien et nos lèvres se sont jointes. Un baiser simple dans la douceur de la nuit qui, pendant un temps, avait su mettre l’horloge de nos mondes sur pause.
Lorsque cette parenthèse prit fin, je ne m’attendais pas à retrouver Cody aussi confus. Je fus rapidement pris d’angoisse à l’idée d’avoir mal interprété les signes.
“Je suis désolé, je sais pas ce qui m’a pris !” m’excusais-je en italien d’un air paniqué.


De retour sur le sable, seul le bruit des vagues venait interrompre le silence qui s’était installé pendant que nous tâchions de revêtir nos vêtements.
Je ne crois pas que nous étions en train  d’essayer de nous fuir, au contraire, lorsque nos regards se croisaient, nous souriions un peu bêtement. Je pense surtout que ni lui ni moi n’avions imaginé qu’une telle chose aurait pu se produire ce soir.
“On retourne avec les autres ?”
“Ouais pourquoi pas !” dit Cody en haussant les épaules.
“Okay allons-y ! Par contre attends, tiens!” Je lui tendis ma carte de visite du domaine.
“Je sais c’est un peu old school mais je veux pas t’imposer de me donner ton numéro. Si jamais t’es toujours ok avec ce qu’on s’est dit :la visite du domaine, le cours de guitare, tu peux venir vers 15h à cette adresse. Tu ne pourras pas manquer la villa, elle tout en haut de la colline et il n’y aura que moi, mes parents sont à Cefalù pour quelques jours.”.
Le musicien vint récupérer la carte entre mes doigts.
“Et si c’est pas le cas… je t’en voudrais pas. En tout cas, merci pour la soirée !” conclus-je en lui offrant un large sourire.

Ma guitare sur le dos, j’enfourche quelques minutes plus tard mon vespa afin de regagner les hauteurs de Taormina. Sous les étoiles qui illuminent la route, je prie pour que ma route croise à nouveau celle de Cody.